Les ENS et les normaliens : médiations entre la France et la Roumanie
Journée d'étude
L’École normale, « l’un des lieux du monde les mieux consacrés à la vie de l’esprit » (Jean Guéhenno), enrichit sa tradition de coopération internationale, au lendemain de la chute du Mur de Berlin, par l’ouverture du concours G/S aux jeunes mathématiciens roumains, en 1992, puis, l’année suivante, par la mise en place d’un concours spécifique, ouvert aussi bien aux étudiants scientifiques que littéraires, encadré par une convention bilatérale dont l’objectif se poursuivra sous une nouvelle forme, dès 2002, dans la Sélection internationale. Ce faisant, est institutionnalisée une coopération académique et scientifique qui remonte déjà au XIXe siècle.
Dans une perspective croisée d’histoire intellectuelle et d’histoire des institutions, cette journée d’études se propose de mettre au jour des trajectoires personnelles et des faits méconnus dans cette médiation à double sens, afin de tracer entre continuités, ruptures et reprises, l’historique d’une riche coopération académique bilatérale tout en interrogeant les suites possibles dans le contexte d’aujourd’hui.

Les Écoles normales ont en effet joué un rôle de premier ordre, un siècle durant, dans la construction et la circulation des savoirs savants sur l’espace roumain (géographie, histoire, histoire de l’art, philologie romane), aussi bien que dans la médiation culturelle et les relations diplomatiques franco-roumaines. Des échanges, transmissions et transferts dans la plupart des domaines du savoir (sciences exactes, sciences humaines et sociales confondues) ont été favorisés par diverses formes de sociabilité savante, formelles ou informelles, telle l’appartenance à l’Institut de France ou à l’Académie roumaine ainsi qu’à d’autres institutions et structures scientifiques.
Rappelons, à titre d’exemple, quelques noms parmi les plus connus, de cette histoire culturelle commune :
Mario Roques (1875-1961, reçu à l’ENS en 1894, agrégé de grammaire en 1897), philologue romaniste, l’un des fondateurs des études roumaines en France, découvre le roumain grâce à l’un de ses camarades, Pompiliu Eliade (1869-1914), boursier à l’École de 1892 à 1895.
Albert Thomas (1878-1932, reçu premier à l’ENS en 1899, agrégation d’histoire et géographie en 1902), a joué un rôle important quoique méconnu aujourd’hui dans l’histoire roumaine de la Grande Guerre en tant que ministre de l’Armement assisté par une « petite équipe de normaliens » (Mario Roques).
Emmanuel de Martonne (1873-1955, intègre l’ENS en 1892 ; agrégé de géographie en 1895), auteur d’une thèse sur la Valachie (1902, Prix Fabien de l’Académie française) fait de la Roumanie, en particulier de la Transylvanie, son terrain de recherche privilégié, entre 1907 et 1939, période où il se lie d’amitié avec Albert Thomas et Mario Roques. Son expertise sera prise en compte pour le tracé des nouvelles frontières en Europe centrale, à la fin de la Première Guerre, lors de la Conférence de la paix de Paris (1919-1920).
Alphonse Dupront (1905-1990, intègre l’ENS en 1925 ; reçu premier à l’agrégation d’histoire et de géographie en 1929), historien des sensibilités collectives et anthropologue du sacré, est nommé directeur de l’Institut français de Bucarest, qu’il conduit de 1932 à 1940. Il se prend de passion pour l’histoire et la culture roumaines au cours de sa mission diplomatique et gardera toute sa vie des liens d’amitié avec des intellectuels et des artistes roumains.
Pendant la même période de l’entre-deux-guerres, les échanges scientifiques s’intensifient entre les deux pays. Parmi les plus grands mathématiciens français, sont élus membres de l’Académie roumaine Émile Borel (1871-1956, reçu premier à la fois à l’ENS et à l’École polytechnique), son élève, Henri Lebesgue (1875-1941, ENS 1894), et Elie Cartan (1969-1951, ENS 1888), de même que le prix Nobel de physique Jean Perrin (1870-1942, ENS 1891) et le zoologiste Charles Pérez (1873-1952, ENS 1895).
À la même époque, nombre de mathématiciens roumains sont venus parfaire leurs études à l’ENS, parmi lesquels Miron Nicolescu (1903-1975, ENS 1925), plus tard président de l’Académie roumaine de 1966 à 1975, ou Simion Stoilow (1887-1961), auteur d’une thèse soutenue sous la direction de Émile Picard (1856-1941, ENS 1874), ambassadeur de Roumanie en France de 1946 à 1948 et fondateur de l’Institut de mathématiques de l’Académie roumaine, en 1949.
Une collaboration ou une amitié fructueuse (Mario Roques et Pompiliu Eliade), le choix d’un sujet ou d’un terrain de recherche (le cas du géographe Emmanuel de Martonne), la nomination à un poste (Alphonse Dupront), sont autant d’événements qui ont pu infléchir le cours d’une vie conduisant des normaliens français, roumains ou franco-roumains, à penser et à construire une communauté autour d’intérêts scientifiques communs et de valeurs partagées.
Entre hasards et choix délibérés s’inscrivant dans une politique culturelle d’État, orientée vers l’Europe centrale et orientale, surtout pendant la période de l’entre-deux-guerres, émerge un vaste réseau d’acteurs scientifiques, politiques, voire militaires à certaines époques l’histoire, qui ont dynamisé les circulations interinstitutionnelles et transnationales des savoirs et des discours.
Dans une perspective croisée d’histoire intellectuelle et d’histoire des institutions, cette journée d’études se propose de mettre au jour des trajectoires personnelles et des faits méconnus dans cette médiation à double sens, afin de tracer entre continuités, ruptures et reprises, l’historique d’une riche coopération académique bilatérale tout en interrogeant les suites possibles dans le contexte d’aujourd’hui.
Programme
9h15 : Accueil des participants
9h30 : Allocutions d’ouverture de la journée par
Frédéric WORMS (Directeur de l'ENS Ulm, Professeur de philosophie contemporaine)
Martin ANDLER (Président d'Alumni-Ulm et co-fondateur du programme SAFE, Professeur émérite, mathématicien et historien des sciences, CNRS UMR 8100)
Monique TRÉDÉ (Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, ancienne Directrice adjointe de l’ENS Ulm, Professeur émérite d’études helléniques)
Sorin CÎMPEANU (Président de l’Agence universitaire de la Francophonie)
9h50-10h30 : Président de séance Christian DUHAMEL
Conférence inaugurale
Philippe ÉTIENNE (ancien Ambassadeur de France en Roumanie), « Les échanges intellectuels franco-roumains dans l'histoire »
10h30-10h45 : Pause café
Première session
Modératrice : Anca Dan
10h45-11h10 : Raluca ALEXANDRESCU (MCF études politiques, Faculté des Sciences politiques, Université de Bucarest), "Roumains et Français dans la 'grande famille européenne' : un long récit d’adoption réciproque"
11h10-11h35 : Jean-Noël GRANDHOMME (historien, Professeur à l'Université de Lorraine), « Albert Thomas (1878-1932) et la Roumanie »
11h35-12h00 : Ștefan LEMNY (historien, Bibliothèque Nationale de France), « Le fonds d’archives ‘Alphonse Dupront’ de l'ENS : un riche témoignage de l’amitié franco-roumaine »
12h00-12h25 : Laurent MAZLIAK (Laurent MAZLIAK (mathématicien et historien des sciences, Sorbonne Université -LPSM), « De l’Institut de statistique de l’Université de Paris à l’Institut Henri-Poincaré. Les promenades aléatoires des mathématiciens français et roumains dans l’entre-deux-guerres »
12h30-14h00 : Déjeuner
Deuxième session
Modératrice : Ana-Maria Gîrleanu
14h00-14h25 : Cécile FOLSCHWEILLER (Maître de conférences en langue, littérature et civilisation roumaines, INALCO-CREE), et Irina GRIDAN (MCF en histoire de la Roumanie et des relations internationales, INALCO-CREE), « De la rue d’Ulm à la rue de Lille, via la Roumanie. Trajectoires entre l'ENS et les Langues O' »
14h25-14h50 : Catherine DURANDIN (Professeur émérite de l’INALCO, historienne) – « De l’ENS à l’INALCO : La Roumanie, un parcours atypique »
14h50-15h15 : Ioana POPA (Chargée de recherche au CNRS, Institut des Sciences sociales du politique), « Les voies multiples de la spécialisation aréale au milieu du XXème siècle. La place des trajectoires des Normalien.ne.s »
15h15-15h30 : Pause café
Troisième session
Modérateur : Victor Popa
15h30-15h55 : Vlad ALEXANDRESCU (Professeur de littérature française, Université de Bucarest), "Petre Alexandrescu (1930-2009) et la France : témoignage de sa correspondance sur la modernisation de l'archéologie classique en Roumanie"
15h55-16h20 : Cristiana PAPAHAGI (Maître de conférences en linguistique historique du français, Université Babeș-Bolyai de Cluj) et Adrian PAPAHAGI (Professeur, études médiévales anglaises, Université Babeș-Bolyai de Cluj), « L’esprit français en Roumanie : quel avenir ? »
16h20-16h45 : Marc CRÉPON (Directeur de recherche au CNRS/ENS Ulm, philosophie), « Des libertés académiques »
Table-ronde
Modérateur : Martin Andler
16h45-17h35
Première partie : Bilan des échanges franco-roumains autour des ENS
17h35-18h25
Seconde partie : Perspectives de la coopération franco-roumaine autour des ENS
19h30 : Réception à l’Ambassade de Roumanie à Paris
Mis à jour le 9/9/2025