Machine Learning for Scientific Discovery : l'ENS ouvre un cours d'IA pour tous ses élèves
À l'ENS, l'intelligence artificielle est abordée de manière ambitieuse et interdisciplinaire : les étudiantes et étudiants en IA collaborent avec les meilleurs chercheuses et chercheurs en biologie, en physique ou en sciences cognitives, et vice-versa.
Depuis septembre 2025, la formation de l'École s'est enrichie d'un nouveau cours d’IA mutualisé, Machine Learning for Scientific Discovery: From Foundations to Applications, dispensé par Tony Bonnaire, chercheur au CNRS, et Marc Lelarge, professeur associé à l'ENS-PSL et chercheur à l'INRIA.
Qu'apprend-on dans ce cours ? L'IA est-elle essentielle à la recherche scientifique ? En quoi l'ENS est-elle un endroit privilégié pour se former en intelligence artificielle ? Réponses dans cet entretien avec Marc Lelarge.
Depuis septembre 2025, vous enseignez avec Tony Bonnaire, un nouveau cours d’IA mutualisé (Machine Learning for Scientific Discovery: From Foundations to Applications) à l’ENS. Quels sont les enjeux de ce cours et que souhaite-t-il proposer ?
Marc Lelarge : Ce cours a été créé pour les élèves issus des différents départements scientifiques de l’École. Pour cette première année, il réunit des étudiants en géosciences, biologie, sciences cognitives, ainsi que quelques élèves des sciences sociales.
Avec Tony Bonnaire, nous avons conçu un tronc commun de huit semaines qui présente les fondements du machine learning et ses applications scientifiques. La validation du cours repose sur un projet de recherche encadré, proposé par des chercheurs des différents départements. Ces projets, ambitieux et interdisciplinaires, s’étendent sur six semaines et permettent aux étudiants de mettre en pratique les acquis du tronc commun à travers des études de cas directement inspirées de publications scientifiques récentes.
Concrètement, qu’est-ce que les étudiants (y a-t-il d'ailleurs un prérequis?) vont pouvoir apprendre ? Et dans quels buts ?
Marc Lelarge : Les étudiants doivent posséder une bonne maîtrise du langage de programmation Python, des bases en calcul différentiel et algèbre linéaire, ainsi qu’une connaissance élémentaire des probabilités et statistiques. Le cours introduit les fondations du machine learning, depuis les modèles statistiques classiques jusqu’aux approches modernes de deep learning, en insistant sur les applications à la recherche scientifique.
Les élèves acquièrent des méthodes et outils computationnels leur permettant d’appliquer ces techniques à leurs propres jeux de données ou problématiques de recherche.
Le tronc commun a pour objectif de donner à tous une base solide en apprentissage statistique et en programmation scientifique (avec l’utilisation des bibliothèques scikit-learn, PyTorch), pour leur permettre ensuite de développer un projet de recherche autonome et appliqué. Le but n'est pas de former des théoriciens de l'IA, mais des chercheurs (en biologie, géosciences, etc.) capables d'utiliser l'IA de manière autonome. Nous voulons qu'ils puissent prendre un problème de leur domaine, le formuler comme un problème de machine learning, et y appliquer les bonnes méthodes pour obtenir des résultats scientifiques.
En quoi l’IA est-elle devenue essentielle et incontournable pour la recherche scientifique ?
Marc Lelarge : L’intelligence artificielle, domaine à l’interface entre les mathématiques et l’informatique, existe depuis les années 1950. Mais les progrès récents en vision artificielle, en traitement du langage et en modélisation scientifique ont marqué un véritable tournant. Son impact sur la recherche scientifique est désormais incontestable — en témoigne le prix Nobel de chimie 2024, attribué à Demis Hassabis (DeepMind), conjointement avec David Baker et John Jumper pour leurs travaux en prédiction de structures protéiques. Ce prix illustre la maturité de l’IA comme outil de découverte scientifique. Aujourd’hui, les chercheurs explorent activement ses applications dans d’autres disciplines — physique, mathématiques, biologie, géosciences, etc. — où l’IA devient un vecteur d’accélération et d’innovation sans précédent.
Pourquoi l’ENS est-elle une « bonne école » pour se former à l’IA ? Comment l’École peut-elle se positionner en France et à l’international en tant que centre de recherche et de formation en IA et qu’est-ce qui en fait sa particularité ?
Marc Lelarge : L’ENS bénéficie d’un enseignement ancré dans la recherche : les cours sont assurés par des chercheurs actifs dans leurs domaines, et les étudiants sont très tôt exposés à la démarche scientifique. Depuis plusieurs années, les départements d’informatique et de mathématiques proposent déjà des enseignements d’excellence en apprentissage statistique, sciences des données et apprentissage profond. La particularité de ce nouveau cours est d’ouvrir la formation à d’autres disciplines, en associant des chercheurs de départements différents à l’encadrement de projets interdisciplinaires. Les élèves bénéficient ainsi d’un double accompagnement : une expertise thématique dans leur domaine scientifique et un soutien méthodologique sur les aspects pratiques et algorithmiques de l’IA. L'ENS est l'un des rares endroits où les meilleurs étudiants en IA peuvent collaborer directement avec les meilleurs en biologie, en physique ou en sciences cognitives, et vice-versa.
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle va changer dans la recherche scientifique ?
Marc Lelarge : C’est une question difficile, car le domaine évolue extrêmement vite. Mais il est clair que l’IA va accélérer la recherche scientifique, en aidant les chercheurs à explorer des espaces de solutions plus vastes, à automatiser certaines étapes d’analyse, et à générer de nouvelles hypothèses. J’espère surtout que ce changement viendra des étudiants que nous formons aujourd’hui qui sauront utiliser tous les outils à venir pour inventer de nouvelles façons de faire de la science, plus rapides, plus ouvertes et plus créatives.
