Repenser le « nous » en temps de pandémie

Séminaire de recherche

Au centre de ce séminaire il y a l’idée que la pandémie en appelle à une réflexion sur le “nous” capable de se situer à une échelle planétaire, c’est-à-dire de théoriser la relation d’interdépendance qui nous unit en une seule humanité. Au cours des séances, ce séminaire s’attache à interroger l’idéal d’un “nous” à l’échelle planétaire, et, cela à travers plusieurs approches disciplinaires, dont la phénoménologie, la sociologie, la psychanalyse, la psychologie sociale, l’anthropologie et la théorie politique.
Repenser le « nous » en temps de pandémie

 

PROGRAMME DES SÉANCES

Vendredi 19 novembre 2021
salle Evariste Gallois, immeuble Rataud, 45 rue d’ULM, de 16h30 à 18h30
Introduction au séminaire et séance d’ouverture
Intervenante : Lucia Angelino (Archives Husserl-Pays Germaniques-UMR 8547 CNRS-ENS-PSL)

Vendredi 17 décembre 2021
salle Evariste Gallois, immeuble Rataud, 45 rue d’ULM, de 16h30 à 18h30
Nous sommes des animaux. Zoonoses et pandémie
Intervenant : Frédéric Keck (CNRS, Laboratoire d’Anthropologie Sociale)

Vendredi 21 janvier 2022
salle de conférences, 46, rue d’Ulm, de 16h30 à 18h30
La catastrophe: quelle communauté ?
Intervenant : Michaël Foessel (École polytechnique)

Vendredi 4 mars 2022
salle Cavaillès, 45 rue d’Ulm, de 16h30 à 18h30
Ces surprises qui nous transcendent: la surprise politique
Intervenante : Natalie Depraz (Université de Rouen)

Vendredi 25 mars 2022
salle Evariste Gallois, immeuble Rataud, 45 rue d’Ulm, de 17h00 à 19h00
L'expérience incertaine du Nous
Intervenant : Laurent Perreau (Université de Franche-Comté)

Vendredi 15 avril 2022
Salle Cavaillès, 45 rue d’Ulm, de 16h30 à 18h30
Présence, absence et inscription
Intervenante : Dorothée Legrand (CNRS, ENS-PSL)

Vendredi 20 mai 2022
salle de conférences, 46, rue d’ULM, de 16h00 à 18h00
Le nous écologique : penser ensemble l'appartenance et la responsabilité
Intervenant : Jean-Philippe Pierron (Université de Bourgogne)

 

À propos du séminaire "Repenser le « nous » en temps de pandémie"

Au centre de ce séminaire il y a l’idée que la pandémie en appelle à une réflexion sur le “nous” capable de se situer à une échelle planétaire, c’est-à-dire de théoriser la relation d’interdépendance qui nous unit en une seule humanité.

Nous voudrions accorder une attention particulière non seulement au fait qu’il est tout à fait réaliste de parler aujourd’hui de l’humanité comme unité première de survie, mais aussi au fait que les individus qui en font partie n’en ont pris qu’une conscience vague et très limitée.

Il semble bien en effet que l’on ne voie pas très clairement encore le fait, pourtant frappant, que nous nous trouvons actuellement dans une situation où c’est l’humanité tout entière qui l’emporte en tant que “nous”. À cet égard, l’une des particularités de la situation actuelle est, entre autres choses que, l’image du “nous” de la plupart des individus – leur identification à des groupes restreints – est en retard sur la réalité du réseau d’interdépendances que la pandémie nous a révélée.

Ce décalage produit un conflit, voire une tension, que l’on a pu constater plus particulièrement entre la première et la deuxième vague de l’épidémie. D’un côté, un soudain réveil des solidarités et une tendance marquée vers la constitution d’unités d’intégration supranationales. D’un autre, une tendance au repli identitaire et communautaire, un renfermement des uns contre les autres et une fixation des identités collectives sur les égoïsmes nationaux, autrement dit sur des “nous” nationaux, étatiques et territorialisés, qui ironiquement sont devenus une cause majeure de division, d’inégalités et de conflits.
Ce conflit spécifique, par ailleurs bien connu dans les crises engendrées par des menaces globales, soulève une question en vérité philosophique.

Lorsque les frontières des états ne suffisent plus à régler la constitution d’un ‘monde commun’, quel “nous” permettra-t-il de fonder des références communes et, par là même une solidarité à l’échelle planétaire ? Qu’est-ce que cela signifie sentir, agir et penser en tant que “nous” (i.e., en tant que membre de la communauté mondiale) au beau milieu d’une crise mondiale ?

Peut-on élargir le Nous à l’humanité tout entière, dans un souci de justice et d’égalité, « où l’égalité de tous est portée par mon inégalité, par le surplus de mes devoirs sur mes droits » (Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, p. 248) ? Sommes-nous à même de penser l’épreuve d’un Nous coextensif à l’humanité tout entière, et d’en définir aussi bien l’origine que les conditions de possibilité ? Comment la pensée peut-elle échapper à la chute dans la mythologie, lorsqu’il s’agit de décrire la genèse d’un “nous” coextensif à la pluralité de tous? Est-ce qu’il s’agit d’une expérience vraie, pensable ? Un tel “nous” inclusif au sein duquel « ce n’est pas simplement à nos semblables que s’entend le même respect pour tout un chacun, mais à la personne de l’autre ou des autres dans leur altérité », (Jürgen Habermas, L’intégration Républicaine, p. 5), serait-elle une pure fiction, une mythologie collective, ou bien le « début de percée vers un niveau d’intégration » (Norbert Elias, La société  des individus, p. 217) plus vaste et rigoureuse de l’humanité tout entière, que l’on peut prévoir de loin ? Comment passe-t-on d’un “nous” exclusif, ou électif qui inclut plusieurs, tout en établissant qu’il en exclut d’autres à un “nous” inclusif et solidaire qui ne cesse d’éteindre ses frontières ? Sommes-nous à même de penser l’épreuve d’un Nous coextensif à la pluralité de tous, « malgré leur antagonisme et le différend qui le sépare » (Jan Patocka, Essais hérétiques, p. 205) ?

Puisqu’un tel Nous suppose « un retournement du je en ‘comme les autres’, dont il importe de se soucier » (Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, p. 250), le dénouement de cette question en suscite une seconde qui porte sur la question dite de la dimension morale (justice, solidarité) du lien social : quelle est la nature du lien qui m’unit aussi bien aux « proches » qu’aux « lointains » (Levinas, Autrement qu’être p. 200), indépendamment de leur appartenance nationale ou ethnique et de leur identité collective en général ? Quelles formes de la conscience morale et de la relation aux « autres » pourraient-elles fonder le sentiment d’être ‘citoyen du monde’, au-delà des nations, sans être rivé à l’une d’elles ? À quelles sources morales, psychologiques, pulsionnelles, les hommes puisent-ils ce qui le rassemble et ce qui les identifie, indépendamment de leur appartenance à tel ou tel groupe de l’humanité ? Parmi l’éventail des relations possibles, pourquoi la relation entre frères s’impose-t- elle comme modèle du lien social, en dépit de son ambivalence fondamentale ?

Le dénouement de ces questions, liées les unes aux autres, devra permettre, in fine, de relancer la question du rapport entre l’identité du “je” et l’identité du “nous”, en temps de pandémie, et par extension, en temps de crise mondiale : quel Je pour quel Nous ? Quel Nous pour protéger sans dominer chaque Je ? Comment, sur le plan politique, l’articulation entre le je et le nous peut-elle prendre forme ? Comment, par exemple protéger les intérêts d’un pays, d’une nation, et même d’un continent, dans la perspective de favoriser en même temps une coopération à l’échelle mondiale ?
En prenant ces questions pour fil conducteur le séminaire s’attache à interroger l’idéal d’un “nous” à l’échelle planétaire, et, cela à travers plusieurs approches disciplinaires, dont la phénoménologie, la sociologie, la psychanalyse, la psychologie sociale, l’anthropologie et la théorie politique.

Mis à jour le 23/2/2023