[#8mars] « L'idéal, ce serait une éducation non genrée : j’ai eu la chance de recevoir les mêmes jeux d’éveil scientifique que mon frère. »

Journée internationale des droits des femmes

Créé le
7 mars 2025
À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, l'ENS-PSL a donné la parole à trois étudiantes de ses départements scientifiques. Elles racontent leurs parcours, la naissance de leurs vocations pour la recherche scientifique, évoquent la difficulté parfois d'être une femme scientifique, et distillent leurs conseils aux jeunes filles qui voudraient suivre leurs traces. 
Rencontre avec Amélie Fournier, élève en M1 de physique théorique (master ICFP) à l'ENS, et boursière du programme Bourses d'excellence « Femmes & Sciences » de l’ENS-PSL.
Amélie Fournier
Amélie Fournier © Pole communication ENS-PSL

Pouvez-vous nous parler de votre parcours d'études ?

Amélie Fournier : Après avoir passé un bac scientifique, j'ai choisi de m'orienter en classe préparatoire PCSI/PC. Lors de la deuxième année, j'ai candidaté au département de physique via le concours normalien.ne étudiant.e en parallèle du concours normalien.ne élève en tant que préparationnaire. Ça m'a permis d'intégrer l'ENS d'une façon beaucoup plus humaine et détendue qu'au travers de la sélection sur concours où c'est la performance à un instant donné qui prône sur le reste de nos capacités intellectuelles. Je ne suis pas quelqu'un qui performe mieux sous la pression. Cette voie parallèle d'entrée sélectionne sur la base du dossier académique, d'un entretien oral autour d'un exercice de physique et d'un entretien de motivation. Cela reste difficile et le nombre de place est limité, mais je trouve l'expérience beaucoup plus stimulante que de passer quatre (voire six) heures à noircir une copie en espérant avoir un meilleur classement que sa voisine ou son voisin. Je trouve ce processus de recrutement peu en accord avec la réalité de la formation proposée par l'ENS, axée sur la recherche et l'interdisciplinarité. Cela requiert des capacités de réflexion et d’initiative qui vont au-delà des exigences d’un concours scolaire.

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir scientifique ? Pourquoi avez-vous choisi les sciences pour vos études et votre carrière ?

Amélie Fournier : Je suis très reconnaissante envers ma mère qui m'a emmenée dès mes années de collège aux Fêtes de la Science. Habitant près de Grenoble, qui possède un grand pôle technologique et scientifique ainsi que de nombreuses écoles d’ingénieur, j’ai pu visiter lors de ces journées des laboratoires de recherche, parler avec des personnes exerçant des métiers scientifiques, et assouvir ma curiosité avec des animations grand public sur la science. C’est petit à petit que l’envie de faire de la recherche scientifique m’est venue, car c’est plus facile de se projeter quand on a un exemple concret de la vie en laboratoire. 
Dans mon cas, le choix entre les sciences dures et les sciences humaines a été difficile à réaliser. L’histoire m’a toujours attirée, et j’ai candidaté à une licence d’anthropologie après le bac, en plus de ma candidature en classe préparatoire scientifique. Je n’ai finalement pas vraiment choisi, car j’ai la possibilité à l’ENS de « colorer » mon cursus avec des disciplines classiquement jugées comme opposées aux sciences exactes, et c’est même encouragé !

Quel a été votre expérience du manque de parité en sciences, dès le plus jeune âge ?

Amélie Fournier : J’ai vraiment ressenti et observé le manque de parité en sciences lorsque je suis arrivée au lycée. Déjà avant, j’avais remarqué un manque de parité dans les professeurs au collège, quand je n’ai eu que des professeures en langue et en français, et quasiment uniquement des hommes en mathématiques et physique. J’ai choisi de m’orienter en filière S-SI au lycée (scientifique – sciences de l’ingénieur). Malgré tous les efforts des enseignants de sciences de l’ingénieur pour encourager les jeunes femmes à choisir cette filière, il n’y avait jamais plus d’un tiers de filles dans la classe, ce qui reste un très bon chiffre. L’un des professeurs organisait une rencontre annuelle entre lycéennes et ingénieures, chercheures et scientifiques sous forme de tables rondes informelles. L’évènement était strictement réservé aux femmes. Je me souviens qu’un de mes camarades masculins avait fait remarquer qu’il aurait bien aimé y participer. Je trouve au contraire important d’avoir un espace de non mixité où les jeunes femmes peuvent poser leurs questions relatives à leur orientation professionnelle sans se censurer et oser considérer une carrière scientifique. 
Malheureusement, on a encore trop de stéréotypes genrés au quotidien sur l’accès aux métiers scientifiques et on manque encore de modèles féminins dans la culture populaire. Une rencontre annuelle pour des lycéennes peut aider à faire bouger les choses, mais c’est d’abord une question d’éducation où le genre ne détermine pas nos centres d’intérêts, à commencer par les livres, dessins animés et jeux pour enfants. J’ai eu la chance de recevoir les mêmes jeux d’éveil scientifique que mon frère par exemple.

Au regard de votre expérience à l'ENS et dans le milieu scientifique en général, qu'est-ce qui permettrait d'atteindre plus de parité en sciences, selon vous ?

Amélie Fournier : L'idéal, ce serait une éducation non genrée, où les petits garçons peuvent rêver d'exercer un métier dans le soin et l'aide à la personne et où on normalise le fait que les filles aussi peuvent être des geek. Malheureusement, il y a encore beaucoup de biais sexistes présents dans notre langage commun, qui ont une influence importante sur les comportements acceptés et les traits de caractères associés à certaines professions. Plus il y aura d'images de femmes cheffes d'entreprise et entrepreneuses dans l'imaginaire collectif, plus les jeunes femmes seront inspirées à poursuivre ces carrières. C'est la même chose lorsque l'on parle de parité dans les sciences et technologies. Je pense que c'est important de montrer que les femmes peuvent être épanouies dans un travail scientifique, et j'espère qu'on atteindra la parité dans ces domaines.

Selon vous quel impact a le programme de bourses Femmes et sciences pour la parité à l'ENS, et pour les conditions d'étude des boursières ?

Amélie Fournier : La bourse offre un avantage financier lors des mobilités à l’international pour les stages de recherche et les expériences d’études dans un contexte culturel différent. Elle s’accompagne aussi d’une prise en compte des biais de genre lors du processus de sélection, car les jeunes femmes ont tendance à moins se mettre en avant. Au département de physique, cela a notamment permis d’avoir la parité au sein de la promotion 2023. A l’opposé, le département d’informatique peine encore à recruter des étudiantes. 
La parité femme-homme est d’abord un problème systémique que l’ENS essaie d’améliorer à sa propre échelle. Il y a aussi le problème du recrutement des enseignantes chercheuses, car on manque d’enseignantes femmes au sein de la formation en physique.

Participez-vous à des initiatives pour promouvoir les femmes en sciences ?

Amélie Fournier : Non, mais j'ai pu en profiter en étant plus jeune, comme les RJMI, des weekends autour des mathématiques, organisés par des étudiant.e.s dans les universités et grandes écoles pour des lycéennes. J’ai été accueillie par des étudiant.e.s de l’ENS de Lyon, et je garde un très bon souvenir des moments partagés avec les autres participantes.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes femmes qui veulent poursuivre des études et une carrière scientifique ?

Amélie Fournier : Oser avoir des ambitions et étudier d'abord par plaisir et curiosité. Trop souvent, les jeunes femmes doutent d'elles-mêmes lorsqu'elles ne se sentent pas à leur place dans un environnement masculin. J'estime que personne ne devrait se poser de telles questions. À compétences égales, les femmes ont aussi tendance à se dévaluer par rapport à leurs homologues masculins. C'est important de s'entourer de personnes bienveillantes qui nous soutiennent dans nos projets et nos aspirations professionnels, quels qu'ils soient.

Enfin, que pensez-vous de la communication et des actions de l'ENS pour les femmes en sciences, qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

Amélie Fournier : Je trouve que mettre en avant les femmes dans la communication de l’ENS à l’occasion du 8 mars est une très bonne initiative. La bourse Femmes et sciences est un coup de pouce pour les étudiantes en sciences lors de leur scolarité à l’ENS. Cependant, la parité femme-homme est un combat de fond à mener sur plusieurs fronts, qui commence à l'école dès la petite enfance et qui continue jusque dans la poursuite des carrières scientifiques à l'université et dans le monde professionnel. La féminisation des carrières scientifiques passe par une promotion des visages féminins parmi la surreprésentation des hommes. J’aimerais notamment entendre parler de celles qui sont passées par là avant moi et la voie qu’elles ont suivie à la sortie de l’école. À travers cela, j'espère que la petite fille que j'ai été et les petites filles d'aujourd'hui pourront s'identifier à ces destins de femmes et rejoindre les rangs des futures générations de scientifiques.

 

À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, l'ENS-PSL a donné la parole à trois étudiantes de ses départements scientifiques.

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