[#8mars] « Il faut exposer le grand public à des images de femmes scientifiques à travers lesquelles on peut se reconnaître »

Journée internationale des droits des femmes

Créé le
7 mars 2025
À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, l'ENS-PSL a donné la parole à trois étudiantes de ses départements scientifiques. Elles racontent leurs parcours, la naissance de leurs vocations pour la recherche scientifique, évoquent la difficulté parfois d'être une femme scientifique, et distillent leurs conseils aux jeunes filles qui voudraient suivre leurs traces. Rencontre avec Valentine Blanpain, élève en master d'informatique à l'ENS-PSL, qui se destine à une carrière dans la cryptographie et l'informatique quantique. 
Valentine Blanpain
Valentine Blanpain © Pole communication ENS-PSL

Pouvez-vous nous parler de votre parcours d'études ?

Valentine Blanpain : J’ai fait un baccalauréat scientifique, puis une classe préparatoire MPSI (maths-physique et sciences de l’ingénieur). J’y ai découvert l’informatique, que j’ai beaucoup aimée, donc quand je suis rentrée en première année à l’ENS, j’ai choisi de faire une double licence maths-informatique. Puis j’ai fait ma deuxième année en maths, et après une année d’étalement pour réfléchir et faire une stage, je suis finalement en quatrième année à l’ENS, en master d’informatique. Je suis en train de me spécialiser en cryptographie et en informatique quantique.

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir scientifique ? Pourquoi avez-vous choisi les sciences pour vos études et votre carrière ?

Valentine Blanpain : Je dirais que mon choix s’est fait très progressivement. J’aimais bien les maths et la physique au collège et au lycée, mais je ne me disais pas que ça allait forcément être mon métier. En terminale, j’ai commencé à plus m’intéresser aux maths, et ma professeure de maths m’a inscrite à une journée en non-mixité où j’ai pu assister à des conférences, et rencontrer des femmes chercheuses. Cela m’a beaucoup marquée. Puis en avançant dans mes études, j’ai commencé à faire des maths et de l’informatique en groupe avec d’autres étudiants et étudiantes, et j’ai trouvé ces moments très enrichissants. Je pense que c’est en grande partie ce qui m’a fait choisir les sciences, je trouve que c’est un domaine où l'on peut travailler des journées entières à plusieurs, et avoir des discussion passionnantes.

Quelle a été votre expérience du manque de parité en sciences, dès le plus jeune âge ?

Valentine Blanpain : Mes deux parents ont fait des études de sciences, donc j’avais un exemple très proche de femme scientifique. Je dirais que j’ai commencé à avoir conscience que ce n’était pas perçu comme normal pour une femme de faire des sciences au lycée, à cause de remarques désagréables d’autres lycéens. Mais mes classes de lycée ont toujours été paritaires, je sais que ce n’est malheureusement plus le cas pour les lycéennes actuelles à cause de la reforme du lycée qui a donné le choix aux lycéens et lycéennes d’arrêter les maths et les sciences en général dès la première.
C’est en rentrant en classe prépa que j’ai été frappée par le manque de femmes, nous étions 9 sur 47 en première année, puis 6 sur 35 en deuxième année. J’ai commencé à avoir conscience de vivre du sexisme. Je ressentais que c’était plus difficile d’être écoutée et vue comme capable de comprendre ce qu’on apprenait par mes camarades de classe. C’était aussi plus dur de me sentir légitime à faire des maths, alors que je n’avais jamais ressenti ça dans des classes paritaires. En avançant dans mes études, j’ai gagné en confiance, mais ça m‘arrive encore souvent de devoir prouver que j’ai ma place, par exemple face à des étudiants qui essayent de m’expliquer des choses que je connais déjà, en partant du principe que je ne peux pas avoir compris (c’est du mansplaining).

Au regard de votre expérience à l'ENS et dans le milieu scientifique en général, qu'est-ce qui permettrait d'atteindre plus de parité en sciences, selon vous ?

Valentine Blanpain : Je pense qu’il faut des actions à tous les niveaux. Actuellement, les sciences, et surtout les maths et l’informatique sont perçues comme des disciplines masculines, mais aussi réservées à un certain type de personnes : il faudrait être un génie, et avoir voulu faire des sciences toute sa vie. Ce n’était pas le cas pour l’informatique avant son essor dans les années 1980. Dans ses débuts, l’informatique était peuplée de femmes, beaucoup de fondations de l’informatique ont été développées par des femmes. Puis l’image de la discipline a changé, c’est devenu le domaine des geeks, isolé des autres domaines. Je pense qu’il faut exposer le grand public, en particulier les enfants, à des images de femmes scientifiques à travers lesquelles elles peuvent se reconnaître. Cela passe par des actions dans les classes, des journées en non mixité, la création de contenu (vidéos, livres, films...) où des femmes scientifiques sont visibles…
Puis dans le monde professionnel, je pense qu’il faut augmenter la visibilité du travail des femmes, notamment des chercheuses. Lors de mon stage de deuxième année, j’ai assisté à une conférence donnée par une chercheuse qui présentait un travail réalisé avec sept autres auteurs. J’ai réalisé à la fin de la conférence que c’étaient toutes des femmes. Ça m’a beaucoup marquée.
Je pense aussi qu’il y a actuellement beaucoup de personnes engagées, et d’associations, qui travaillent pour augmenter la parité, et qui ont un impact. Mais elles le font souvent bénévolement, ça leur prend beaucoup d’énergie, qu’elles doivent avoir en plus de toutes leurs autres responsabilités. Je pense que cet engagement devrait être valorisé de façon à les décharger sur d’autres taches.

Vous participez à une initiative pour l'inclusion des femmes en sciences, pouvez-vous en dire plus ?

Valentine Blanpain : Je participe à l’organisation, à l’ENS, des Rendez-Vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes (RJMI). C’est un événement en non mixité qui a lieu à plusieurs moment de l’année dans des écoles d’ingénieures, des universités, ou à l’INRIA partout en France, épaulé par les associations Animath et Femmes et Mathématiques. Les RJMI ont pour but de rassembler le temps d’un week-end des lycéennes de première et terminale de spécialité maths, physique, ou NSI, intéressées par ces matières. Nous voulons montrer aux participantes qu’elles ont toutes leur place dans ces filières, leur montrer qu’elles ne sont pas les seules lycéennes à aimer les maths ainsi que leur donner un aperçu de la diversité des parcours d’étude et vocations possibles. On organise diverses activités : des conférences, des rencontres avec des femmes qui travaillent ou étudient en maths-info, des ateliers d’initiation à la recherche, un atelier stéréotype… Nous accueillons une trentaine de lycéennes à l’ENS chaque année, qui viennent en majorité d’Ile de France, mais aussi de plus loin, et l’événement est entièrement gratuit pour les participantes (celles qui le souhaitent sont également logées). Cela leur permet d’avoir des images de femmes qui aiment les maths ou l’informatique, mais aussi de rencontrer des lycéennes de leur âge qui ont les mêmes envies. Nous accueillons en priorité les participantes qui viennent de lycées qui ont habituellement moins accès à ce type d’événement, notre but est de favoriser la parité en sciences, mais aussi la diversité sociale.

Quel conseil donneriez-vous à des jeunes femmes qui veulent poursuivre des études et une carrière scientifique ?

Valentine Blanpain : Je leur dirais surtout de ne pas banaliser les remarques et comportements sexistes qu’elles vivent. Lors des RJMI, on organise un atelier stéréotype. C’est l’occasion de discuter sur pourquoi on aime les maths, et réfléchir aux freins que rencontrent les femmes dans les sciences. Chaque année, des lycéennes me racontent des moments très violents qu’elles ont vécu, en le disant comme si la personne ne faisait que plaisanter, que ce n’était pas grave. Mais en discutant, elles comprennent que ça a eu un impact sur leurs choix. C’est l’accumulation des remarques qui font que les femmes ne se sentent plus légitimes en sciences, elles perdent leur confiance en elle parce qu’elles sont censurées socialement.
Je leur dirais aussi de se rapprocher de femmes scientifiques (ou de personnes engagées en général), en allant à des événements, ou en contactant directement par mail si ce n’est pas possible. J’ai ressenti dans mes études une vraie sororité entre femmes étudiantes et chercheuses en sciences. Grace à des événements à l’ENS, j’ai pu discuter avec des chercheuses dès le début de ma première année, et ça a vraiment compensé le fait d’être peu de femmes en classe. Ça me fait toujours beaucoup de bien de discuter avec une chercheuse sur son parcours et sa vie professionnelle.
 
Enfin, que pensez-vous de la communication et des actions de l'ENS pour les femmes en sciences, qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

Valentine Blanpain : Je pense que l’ENS fait des actions importantes, et efficaces pour augmenter la parité. Je pense notamment au récent programme de bourses Femmes et Sciences de la Fondation de l’ENS, qui a déjà augmenté le nombre de femmes au département de maths et celui d’informatique. Il y a aussi des conférences et des tables rondes organisées sur ce sujet, qui sont toujours très intéressantes.  
Ce n’est pas une idée d’amélioration globale, mais l’année prochaine marque les 40 ans de la fusion des ENS pour femmes et pour hommes (ENS Sèvres et ENS Ulm). Je pense que ça peut être une bonne occasion de faire connaître l’ENS Sèvres, je pense que beaucoup de normaliens et normaliennes actuels ne savent pas qu’il y avait une ENS pour les femmes avant la mixité. Je l’ai découvert en première année, et depuis, j’ai rencontré plusieurs chercheuses qui ont étudié à l’ENS Sèvres, et chaque rencontre m’a énormément marquée, et donné une image d’un monde où beaucoup de femmes font des sciences (car elles étaient une promo entière, autant que les hommes). Je pense que donner de la visibilité aux femmes de l’ENS Sèvres peut donner de la légitimité aux normaliennes actuelles, pour montrer que ce n’est pas nouveau pour les femmes de faire des sciences à l’ENS, et qu’elles ont leur place au même titre que les hommes.

 

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