Un risque accru pour les écosystèmes de l’océan Arctique en raison d’une acidification plus sévère que prévue

Parution dans la revue Nature

L'océan Arctique devrait absorber plus de CO2 au cours du XXIe siècle que ce que projettent la plupart des modèles climatiques. L’acidification attendue pourrait en conséquence être plus importante que prévue – c’est ce que démontre une nouvelle étude scientifique menée par une équipe de chercheurs du CNRS, de l’École normale supérieure et de l’Université de Berne. Cette acidification poserait un risque accru pour les écosystèmes fragiles de l'océan Arctique.
Un risque accru pour les écosystèmes de l’Océan Arctique en raison d’une acidification plus sévère que prévue

Ptéropode, dans le fjord Kongsfjorden, au Spitzberg, dans l'archipel du Svalbard, en Norvège. Avec sa fine coquille calcaire, c'est une espèce qui pourrait être directement impactée par l'acidification des océans. © Erwan AMICE / LEMAR / CNRS Photothèque

 

L'océan mondial absorbe près d’un quart des émissions de CO2 libérées chaque année dans l’atmosphère par les activités humaines. Ce CO2 additionnel est responsable de l’acidification de l’océan, un phénomène bien compris et observé par les océanographes. Pour le grand public, la menace posée aux écosystèmes marins par l’acidification est associée le plus souvent aux récifs coralliens tropicaux, comme ceux de la grande barrière de corail, des environnements qui souffrent à la fois du réchauffement des eaux et de l'acidification. Or, c’est dans l'océan Arctique que l'acidification des océans est la plus sévère. Les températures froides de l'Arctique et l’accélération de la fonte de la banquise conduisent en effet à une forte dissolution du CO2 dans les eaux de surface.

L’étude qui vient d'être publiée dans la revue Nature montre que l’acidification future de l’Arctique serait plus importante que prévue par la plupart des modèles climatiques. Dans un scénario où le CO2 continue à augmenter au cours du XXIe siècle, l’océan pourrait en absorber 12% de plus que prédit jusqu’à maintenant. « Cela conduit à une plus grande acidification, en particulier entre 200 et 1 000 mètres de profondeur », explique Jens Terhaar, premier auteur de l’étude. Et c’est un enjeu majeur pour la biodiversité car ces profondeurs sont des zones de vie importantes pour de nombreux organismes marins.

Pour parvenir à ces résultats, l'équipe de chercheurs a appliqué une nouvelle technique d’analyse des simulations climatiques appelée « analyse par contrainte émergente ». Laurent Bopp, directeur du département de géosciences de l'ENS-PSL et l’un des co-auteurs, en rappelle l’intérêt : « cette technique peut permettre de réduire les incertitudes sur les projections futures en sélectionnant les modèles qui reproduisent le mieux certaines caractéristiques observées aujourd’hui ». Dans leur article, les chercheurs mettent en évidence une relation entre la densité des eaux de surface de l'océan Arctique et son acidification future. Les modèles simulant une densité des eaux de surface importante – et plus proche de la réalité – conduisent à une formation plus intense des eaux profondes, un transport plus élevé du CO2 vers les profondeurs de l’océan et une acidification accrue. La densité de surface de la mer est donc un indicateur indirect de l'acidification océanique dans la région. Cette relation permet, lorsqu'elle est combinée avec des observations de la densité de surface de la mer, de réduire l'incertitude issue des projections climatiques. C’est cette technique qui permet d’affirmer que l’acidification arctique pourrait être plus élevée que ce qu’indiquent la majorité des modèles utilisés jusqu’à présent.

L'acidification des océans n'affecte pas seulement les coraux tropicaux, mais beaucoup d’autres espèces marines, en particulier toutes les espèces calcifiantes qui synthétisent des coquilles ou squelettes en carbonate de calcium comme les crustacées, des mollusques ou des espèces de phytoplancton. « Nos résultats suggèrent que le milieu marin serait encore plus hostile à ces organismes dans cette région polaire », déclare Lester Kwiatkowski, co-auteur de l’étude. Si ces organismes sont affectés, cela aura probablement des effets négatifs sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, jusqu’aux poissons et aux mammifères marins.

 

Bibliographie

Emergent constraint on Arctic Ocean acidification in the twenty-first century, Jens Terhaar1,2,3, Lester Kwiatkowski1,4, Laurent Bopp1, Nature, 18 juin 2020. DOI : 10.1038/s41586-020-2360-3

1LMD/IPSL, École Normale Supérieure/PSL Université, CNRS, École Polytechnique, Sorbonne Université, Paris, France.
2Climate and Environmental Physics, Physics Institute, University of Bern, Bern, Switzerland.
3Oeschger Center for Climate Change Research, University of Bern, Bern, Switzerland.
4LOCEAN/IPSL, Sorbonne Université, CNRS, IRD, MNHN, Paris, France.