« Il est nécessaire de transmettre au public les armes pour interroger les savoirs »

Rencontre avec Mathieu Poupon, normalien passeur de sciences et futur enseignant chercheur en océanographie

À travers une série de portraits, partez à la rencontre de normaliens et d’alumni. Mathieu Poupon est en troisième année de géosciences et passionné de vulgarisation scientifique. S’il se destine à une carrière d’enseignant chercheur, il est aussi essentiel pour lui de s’impliquer dans des projets de sensibilisation du grand public à la science.

Mathieu Poupon
Mathieu Poupon

En troisième année au département de Géosciences, Mathieu Poupon s’est construit un véritable parcours sur mesure, centré sur la compréhension du climat, mélangeant les approches physique et géopolitique.

Celui qui avait choisi de faire une classe préparatoire pour ne pas se « fermer de portes » a aujourd’hui trouvé sa voie. Un chemin professionnel qui conjugue sa passion pour les sciences, son engagement écologique et sa vocation de passeur de savoirs. Dans un entretien passionnant, il revient sur la multitude de projets qui le porte, sur sa rencontre avec l’École et aussi sur les risques de l’autocensure.

 

Des études en adéquation avec ses passions et ses convictions

Après un baccalauréat scientifique obtenu au lycée Jehan Ango de Dieppe sur la côte normande, son établissement de secteur, Mathieu Poupon, guidé par ses professeurs, se dirige vers une classe préparatoire BCPST (Biologie, Chimie, Physique et Science de la Terre) au lycée Hoche de Versailles. Un choix qui, si Mathieu n’est pas encore bien sûr du chemin professionnel à prendre, témoigne de son appétence pour les sciences : « pendant ces deux années j’ai pu prendre le temps de découvrir plus en profondeur chacune de ces matières, dans une ambiance assez familiale et bienveillante que je n’aurais pas soupçonnée », se souvient le normalien.

Mathieu intègre ensuite le département de Géosciences de l’ENS-PSL. Pendant trois ans, il affine ses envies et ses projets en se construisant un parcours à la carte qui correspond à ses aspirations. Intéressé depuis toujours par les systèmes complexes, mettant en jeu de nombreux processus interagissant les uns avec les autres, il s’essaye aux sciences du climat, qui lui semblent bien convenir à ses inclinations. « Le département de Géosciences de l’ENS, dont la formation est d’abord très généraliste, permet d’avoir une vision d’ensemble du fonctionnement de la Terre, puis laisse la liberté de se spécialiser dans le domaine qui nous intéresse le plus : pour ma part l’océanographie. »

Le normalien est particulièrement intéressé par la biogéochimie océanique, un domaine de recherche qui se concentre sur l’étude du cycle des éléments dans l’océan comme le carbone, l’oxygène, l’azote... « Je me suis passionné pour ce domaine car il met en jeu une multitude de processus, de natures très différentes, mais ayant chacun une influence sur les autres, explique l’étudiant. Par exemple, les courants marins transportent du carbone qui est consommé par le phytoplancton, en échange cet organisme libère de l’oxygène dans l’océan. Pour comprendre ce système, il est donc indispensable de mener des recherches à l’interface entre dynamique des fluides, chimie et biologie. »

Un domaine de recherche qui lui plaît pour son côté interdisciplinaire mais aussi en adéquation avec ses convictions personnelles, Mathieu étant très sensible aux problématiques du réchauffement climatique : « ces recherches sont actuellement au cœur de nombreux enjeux écologiques, car l’océan absorbe une partie importante du carbone émis par l’Homme, ainsi que l’énergie supplémentaire issue de l’effet de serre. La compréhension du fonctionnement de l’océan est centrale dans l’étude du changement climatique et les résultats de recherche alimentent directement les négociations internationales sur la lutte contre le réchauffement climatique. Cet impact hors de la sphère scientifique est extrêmement stimulant. » justifie-t-il avec enthousiasme.

 

Transmettre les sciences au plus grand nombre de la façon la plus adaptée

Cet appétit et cette curiosité pour les sciences, Mathieu aime les partager au plus grand nombre. Le normalien est impliqué dans plusieurs projets de vulgarisation scientifique, au sein de l’École mais aussi à l’extérieur.

Passionné par la réalisation de films documentaires consacrés au fonctionnement de la planète Terre et à son évolution, Mathieu a notamment réalisé la série vidéo de vulgarisation scientifique « Ordre de grandeur » pour le département de Géosciences : « C’est une idée de mon directeur des études, Nicolas Coltice, qui cherchait une personne pour la concrétiser. J’ai toujours été enthousiasmé par la vulgarisation et la réalisation vidéo ; je me suis proposé. » explique l’étudiant.

L’objectif de cette série ? Transmettre une intuition physique sur l’amplitude des phénomènes observables en Géosciences. « Savez-vous par exemple combien pèse un nuage ? demande Mathieu en guise d’exemple. Nous avons donc fait le tour des laboratoires en quête de chercheurs et chercheuses pouvant répondre à ce genre de question avec des calculs accessibles pour tout lycéen. »

Sept épisodes ont été réalisés à ce jour, couvrant des sujets aussi variés que la datation de matériau, l’âge du noyau interne de la Terre ou encore la taille des nuages. Tous sont à visionner gratuitement sur la chaine YouTube du département de Géosciences.

Membre de l’association JAC (jeunes ambassadeurs pour le climat), le normalien s’implique aussi dans TalENS, un programme de tutorat de l’ENS en partenariat avec plusieurs lycées d’Île-de-France. À raison d’un cours toutes les deux semaines, Mathieu est en lien avec des lycéens de Première et de Terminale avec lesquels il approfondit des sujets ou travaille des problématiques nouvelles. « Je me suis senti concerné par la nécessité de participer au développement de la curiosité intellectuelle d’élèves que j’ai découvert extrêmement volontaires. »

Mathieu a rejoint ce programme comme tuteur du parcours « Homme, Biologie, Société ». Il a pu déjà aborder des « sujets d’actualité comme le changement climatique, ou importants pour la construction de jeunes adultes comme l’explication du fonctionnement du VIH, mais aussi apporter des réponses à des questions plus légères comme ‘’Pourquoi pleure-t-on lorsque l’on épluche des oignons ?’’. »

« À travers cet engagement je pense participer à la construction d’étudiants plus curieux et ouverts sur le monde extérieur. J’espère aussi les avoir éclairés sur leurs possibilités d’avenir et sur des orientations professionnelles auxquelles ils n’auraient peut-être pas pensé auparavant. »

Insatiable passeur de sciences, Mathieu participe également au développement d’une application nommée ClimateScience déjà téléchargeable sur tous les smartphones. Interactive et accessible aux plus jeunes, avec ses nombreux quizz et illustrations, elle fournit aux plus jeunes des connaissances sur le changement climatique. Dès 12 ans et plus, ils peuvent ainsi trouver des réponses à des questions essentielles formulées simplement : Pourquoi et comment le climat change ? Quels sont les conséquences de ces changements ? Que faire pour les limiter ?

Et les projets ne s’arrêtent pas là. En janvier 2021, celui qui avoue avoir nourri sa passion pour les sciences grâce à « C’est pas sorcier », lancera sa propre chaine YouTube. Dans un contexte propice aux thèses climatosceptiques, Mathieu est convaincu du rôle et de la responsabilité des chercheurs sur les questions de vulgarisation. Elle mélangera « vulgarisation scientifique et discussion sous forme de podcast avec des étudiants et chercheurs, et des tas d’autres choses encore », explique l’étudiant, un peu mystérieux. « L’idée est de faire découvrir au plus grand nombre ce qui se passe dans les coulisses de la science, comment les chercheurs travaillent ou bien encore comment se montent des campagnes scientifiques ». Au-delà de rendre accessible le savoir au plus grand nombre, « il est également nécessaire de transmettre au public les armes pour interroger ce savoir », affirme avec conviction Mathieu.

« Le plus important lorsque l’on vulgarise, c’est de transmettre une connaissance, mais également la manière dont elle a été produite, afin de donner l’occasion au grand public de développer son esprit critique. »

Sans prétendre donner la recette miracle de la bonne diffusion des savoirs, il partage volontiers quelques conseils à celles et ceux qui voudraient se lancer dans la vulgarisation scientifique : « je pense qu’il faut respecter quelques règles d’or. Le plus important est de bien cibler son audience. On ne vulgarise pas de la même manière à un enfant qu’à un adulte. » Il rappelle aussi que la réception et l’assimilation d’une information est aussi plus efficace si elle s’accompagne d’une émotion : « n’hésitez pas à introduire des exemples personnels auxquels le public pourra s’identifier, interagissez avec votre audience, étonnez-là … à quoi bon partager ses connaissances si cela ne se fait pas dans la joie et la bonne humeur. » encourage-t-il avec chaleur.

 

« L’ENS est une école ou chacun peut trouver son compte, tracer sa propre voie »

Conscient d’avoir eu la chance de trouver sa vocation, Mathieu reconnait aussi l’unicité de son parcours que ses trois années passées à l’École lui ont permis de construire : « j’ai rencontré des chercheurs à l’écoute qui ont su me conseiller et avec lesquels j’ai pu construire un chemin qui me correspond. »

Il est reconnaissant des rencontres personnelles qu’il a pu faire sur le campus, « des personnes intéressantes avec lesquelles j’ai pu échanger, débattre et grandir. Des personnes passionnées aux cotés desquelles j’ai pu réaliser des projets et faire vivre l’École. »

Investi un temps au sein du Bureau des Sports (BDS) de l’ENS, l’étudiant souligne la liberté et la confiance accordées aux élèves pour animer l’École : « je n’ai jamais autant grandi qu’en participant à la vie associative du campus. Pendant mon mandat au BDS, j’ai pu apprendre à organiser de grands événements, gérer des budgets, assumer des responsabilités. Ces expériences ont été aussi importantes que ma formation académique dans la construction du scientifique que j’aspire à devenir. » tient-il à préciser.

Avant son entrée à l’ENS, Mathieu admet qu’il avait une image floue voire erronée de l’établissement : « j’imaginais l’ENS très élitiste, formant uniquement à la recherche et l’enseignement. Même si c’est une partie importante de son activité, j’ai réalisé plus tard que sa particularité majeure est sûrement la liberté laissée à ses étudiants de construire un parcours unique et qui leur ressemble. J’aurais aimé apprendre cela plus tôt. Je pense que cela serait facilement venu à bout de mes dernières hésitations. »

Mathieu s’est intéressé à l’ENS après plusieurs discussions avec Marie Labrousse, sa professeure de biologie en première année de prépa à Hoche. « Avant cela je me projetais surtout sur des écoles d’ingénieurs, en agronomie notamment, mais elle m’a convaincu que mon profil pourrait correspondre à l’esprit de l’École. »

C’est en deuxième année qu’il fait le choix de tenter sa chance, à l’issue d’une conférence organisée par cette même professeure. Laurent Bopp, océanographe et actuel directeur du département y avait présenté le rôle de l’océan dans le système climatique et, par la même occasion, la formation en géosciences de l’École. « Là où j’associais comme beaucoup les géosciences à la géologie, à l’étude des « cailloux » qui ne m’intéressait pas vraiment, j’ai pu découvrir les différents domaines proposés par le département. Cette conférence a marqué le début de mon profond intérêt pour l’océanographie et a ancré ma volonté de candidater à l’ENS. »

Le normalien souhaite d’ailleurs donner un conseil à celles et ceux qui n’oseraient pas tenter d’intégrer l’ENS, soit par peur de ne pas être fait pour la recherche, par peur d’échouer au concours ou de se retrouver perdu dans une École, à suivre des cours trop difficiles, ou pour toute autre raison : « Ne vous autocensurez pas. L’ENS est une école ou chacun peut trouver son compte, tracer sa propre voie. Aucun de mes amis n’a de parcours similaire, mais chacun a su trouver ce qui lui plaisait, même si cela a pu prendre du temps. Essayez d’intégrer l’ENS, ne prenez pas le risque de passer à côté des opportunités qu’offre cette école. »

Et pour la suite ? Mathieu en est certain, il aimerait beaucoup poursuivre vers une carrière dans la recherche et l’enseignement : « J’attache une grande importance à la connaissance et l’idée de continuer de découvrir et d’apprendre de nouvelles choses tout au long de ma vie me séduit. » Le normalien commencera d’ailleurs l’année prochaine un doctorat en océanographie, en France ou aux États-Unis en fonction des résultats d’admission dans les différentes universités auxquelles il a postulé.