PlastoNuc, la structure 3D des chromosomes contrôlée à distance par les chloroplastes

Un projet de recherche fondamentale au cœur de la cellule végétale

Clara Richet-Bourbousse, chercheuse en biologie végétale à l’Institut de Biologie de l’ENS-PSL (IBENS), vient d’obtenir une ANR Jeunes Chercheurs et Jeunes Chercheuses (JCJC) pour son projet PlastoNuc. L’objectif ? Comprendre comment les chloroplastes, lieu de la photosynthèse dans une cellule végétale, sont capables d'influencer la structure des chromosomes et l’architecture du noyau cellulaire. Au-delà de nouvelles connaissances fondamentales, les résultats de ces recherches devraient permettre de mieux anticiper les effets du changement climatique sur le développement des plantes sauvages ou cultivées en montrant une nouvelle manière par laquelle les chloroplastes et la lumière contrôlent l’expression des gènes.
Clara Richet-Bourbousse
Clara Richet-Bourbousse

Étudier les organismes photosynthétiques

Clara Richet-Bourbousse est membre de l’équipe « Génomique des plantes et algues » de Chris Bowler, à l’Institut de Biologie de l’ENS-PSL (IBENS), un groupe qui étudie comment les organismes photosynthétiques s’adaptent à leur environnement. « Les plantes et le phytoplancton, en plus d’être capables de faire la photosynthèse, sont soumis à leur environnement soit du fait de leur immobilité (plantes) ou en étant porté par les courants marins (phytoplancton)», précise la scientifique. Pour étudier ces questions fondamentales, l’équipe de chercheurs a mis au point deux stratégies complémentaires : l’exploration expérimentale en laboratoire des mécanismes adaptatifs de plusieurs espèces modèles et l’exploration de la biodiversité des écosystèmes.
L’un des axes de recherche, dirigé par Fredy Barneche dans lequel s’inscrivent les travaux de Clara Richet-Bourbousse, explore les réponses chromatiniennes aux changements de conditions de lumière chez une plante modèle Arabidopsis thaliana. Récemment, elle identifie que la photosynthèse d’une plante, qui a lieu au sein de petits compartiments subcellulaires appelés chloroplastes, a en effet de nombreuses conséquences sur la chromatine, la structure au sein de laquelle l’ADN se trouve empaqueté dans le noyau cellulaire.

 

Structure d’une cellule végétale © Mariana Ruiz Villarreal / Wikimedia
Structure d’une cellule végétale © Mariana Ruiz Villarreal / Wikimedia

« Chez les plantes, en plus d'une réorganisation drastique de l’architecture nucléaire, le développement post-germinatif nécessite une reprogrammation massive de l'expression du génome nucléaire conduisant, parmi de multiples fonctions, à la maturation des chloroplastes (1) et l'acquisition de la photosynthèse » détaille Clara Richet-Bourbousse.
Les liens entre la maturation des organites (1) cellulaires et l’expression des gènes nucléaire ont été largement étudiés chez les plantes, au niveau des chloroplastes (2), mais aussi chez les animaux au niveau des mitochondries. Les travaux récents de Clara Richet-Bourbousse visent à aller plus loin, notamment en identifiant quels types de signaux provenant de ces organites d’origine endosymbiotique (3) sont capables d'influencer l’organisation tridimensionnelle de la chromatine et du noyau cellulaire, par un processus encore inconnu.

 

Le projet PlastoNuc : l’organisation des chromosomes impactée par la photosynthèse

La chercheuse est spécialisée en biologie de la chromatine, une discipline qui étudie comment sont organisées les longues molécules d’ADN que forment les chromosomes et l'influence que cette organisation peut avoir sur l'activité du génome. La chromatine comprend l’ADN associé à de multiples protéines dont des protéines spécialisées dites "histones", formant une fibre qui empaquète et organise le génome dans le noyau cellulaire. La façon dont est organisée la chromatine dans l’espace nucléaire est en constant changement, notamment pour contrôler la fonction des gènes. La façon dont la chromatine se positionne dans le noyau contribue à allumer ou à éteindre des gènes au cours du développement, comme lors de la différentiation cellulaire, ou en réponse à des changements environnementaux.

Son projet de recherche PlastoNuc, pour lequel elle a obtenu l’ANR Jeunes Chercheurs Jeunes Chercheuses (JCJC) 2021, devrait permettre d’en apprendre plus sur ce processus cellulaire, mais aussi sur les conséquences induites sur le développement de la plante. « Nous ne savons encore rien de ce mécanisme de réorganisation de l'architecture chromatinienne répondant au statut fonctionnel des divers types de plastes » souligne Clara Richet-Bourbousse. « En combinant des stratégies d'imagerie, de génétique, de génomique fonctionnelle et de métabolomique, je propose, grâce à ce financement ANR, d’identifier les voies de signalisation des chloroplastes vers la chromatine et leur importance dans la reprogrammation transcriptionnelle, dans le développement post-embryonnaire et la capacité photosynthétique de la plante. » explique la chercheuse.

Au-delà d’apporter de nouvelles connaissances fondamentales en biologie végétale, les résultats de ces recherches, en montrant une nouvelle manière par laquelle les chloroplastes et la lumière contrôlent le développement des plantes, permettront ainsi de mieux anticiper les effets du changement climatique sur la diversité des plantes sauvages et le rendement des plantes cultivées, notamment à cause de l'augmentation de la température, de la sécheresse, et du CO2 atmosphérique, qui influencent l'activité photosynthétique et la croissance des plantes.

Plantules d’Arabidopsis et noyaux cellulaires, avec les chromosomes marqués grâce à un colorant de l’ADN. Schéma réalisé par Clara Richet-Bourbousse
Plantules d’Arabidopsis et noyaux cellulaires, avec les chromosomes marqués grâce à un colorant de l’ADN. Schéma réalisé par Clara Richet-Bourbousse

« Le financement de l’ANR JCJC, qui a une durée de 4 ans, va me permettre de recruter un ingénieur d’étude dédié à ce projet et de financer les expérimentations, en particulier les besoins de séquençage haut-débit indispensables pour caractériser les reprogrammations transcriptionnelles mais aussi la conformation 3D des chromosomes, grâce aux nouvelles méthodologies de pointe de chromosome conformation capture. » détaille Clara Richet-Bourbousse. L’ANR permettra également à la chercheuse d’équiper le laboratoire d’une enceinte climatique permettant d’exposer les plantes Arabidopsis thaliana à un large éventail de conditions de lumière, reproduisant les conditions de différents environnements naturels.

Cette espèce de plante, indispensable pour son projet PlastoNuc, Clara Richet-Bourbousse la connait plutôt bien. La chercheuse l’étudie en effet depuis ses années de doctorat. Sa petite taille et son cycle de vie rapide en fait un modèle de choix de la recherche en biologie végétale depuis les années 1980. Son génome a également été l’un des premiers séquencés en 2000, en même temps que le génome humain.
 « Aujourd’hui elle reste le modèle de choix pour la recherche fondamentale », indique la scientifique. « Le séquençage, l’assemblage et l’annotation d’un nombre toujours croissant de génomes de plantes facilitent les travaux sur d’autres espèces, mais la masse de connaissances que l’on a sur la biologie de cette petite "mauvaise herbe" restera inégalé encore longtemps. » Le regroupement d’une communauté scientifique autour d’une espèce modèle permet aussi le partage d’outils, de lignées de plantes, de protocoles expérimentaux… « ces collaborations avec d’autres équipes de recherche, en premier chef celles de l'IBENS travaillant également sur Arabidopsis, nourrissent en permanence les projets que nous menons au laboratoire », constate avec enthousiasme Clara Richet-Bourbousse.

 

 

Le plaisir de la découverte et du travail en équipe

Un esprit de partage et de collaboration que la scientifique apprécie tout particulièrement et qu’elle retrouve à l’IBENS, un centre remarquable par la diversité des thématiques qui y sont étudiées : « neurosciences, écologie, évolution expérimentale ou théorique, génomique, épigénétique… avec des équipes qui travaillent à l’échelle de la molécule unique et d’autres à l’échelle des populations et des écosystèmes, c’est vraiment enrichissant. » témoigne Clara Richet-Bourbousse, ravie de travailler dans un environnement de recherche « très privilégié car particulièrement stimulant, avec des moyens exceptionnels ».

La chercheuse avait d’ailleurs effectué sa thèse au sein de l’IBENS. Des années « exigeantes mais extrêmement enrichissantes », appuyées par un travail d’équipe qui lui a apporté « un soutien indispensable ». Elle raconte : « la recherche académique peut être source de découragement et de frustrations : c’est un parcours long, concurrentiel, où les recherches de financements prennent du temps. Mais c’est un domaine qui attire toujours les jeunes, et heureusement car il a bien des aspects positifs : une très grande autonomie, des activités très variées. Expérimentations, montage de projets, dissémination de ses résultats dans des conférences ou des articles, encadrement d’étudiants, enseignements… mais bien sûr et surtout le plaisir de la découverte ! » ajoute la chercheuse avec passion.

Une mère professeure de mathématiques, un père arboriculteur et une adolescence dans la végétation luxuriante de Tahiti ont certainement nourri très tôt la curiosité de Clara Richet-Bourbousse sur les origines et le fonctionnement du monde vivant, en particulier du monde végétal. « Je me sens extrêmement chanceuse de faire de la recherche fondamentale », admet la chercheuse, « c’est un métier qui procure une liberté immense. Ce que je trouve passionnant chez les végétaux, ce sont les mécanismes incroyablement sophistiqués qu’ils ont développé au cours de l’évolution pour s’adapter à leur environnement, auquel ils ne peuvent pas se soustraire même lorsqu’il devient hostile. Une mémoire de cet environnement vécu peut même être transmis à la descendance dans certains cas par des mécanismes épigénétiques, c’est extraordinaire », conclut Clara Richet-Bourbousse.

 

(1) Un organite (parfois nommé organelle par anglicisme) est un compartiment différencié d'origine bactérienne indissociablement intégré aux cellules des organismes eucaryotes (humain, animaux, plantes, etc) et ayant des fonctions bien précises, comme par exemple les mitochondries avec l'approvisionnement de la cellule en énergie à partir de sucres et les chloroplastes avec la synthèse de sucres à partir de l’énergie solaire et du gaz carbonique de l'air par leur activité de photosynthèse.
(2) Les plastes sont des organites caractéristiques de toutes les espèces photosynthétiques (plantes, algues), comprenant les chloroplastes qui accumulent la chlorophylle, l'un des pigments végétaux permettant la photosynthèse.
(3) Selon la théorie endosymbiotique de l'évolution, les plastes et les mitochondries des cellules eucaryotes proviennent originellement de l'incorporation de bactéries par des cellules eucaryotes primitives.

 

À propos de Clara Richet-Bourbousse

Après avoir passé son baccalauréat au Lycée des Îles Sous-le-Vent à Raiatea, une île de Polynésie française, Clara Richet-Bourbousse effectue une classe préparatoire aux grandes écoles BCPST à Lyon. Elle intègre ensuite l’École normale supérieure de Cachan en 2004. L’ENS Cachan étant associée à l’Université Paris XI, elle suit des enseignements du Master Sciences du Végétal. Enthousiasmée par la découverte des mécanismes épigénétiques et leur contribution aux mécanismes adaptatifs des organismes à leur environnement, elle dédie son doctorat à l'étude de ces processus chez un espèce modèle de plantes, Arabidopsis. Ses travaux, réalisés sous la direction de Fredy Barneche à l’Institut de Biologie de l’ENS (IBENS), ont permis de découvrir que l’organisation spatiale du génome dans le noyau des cellules végétales change au cours de la germination. Un des facteurs les plus importants pour le contrôle du développement des plantes puisqu’elle constitue la source d’énergie utilisée par la photosynthèse.
Clara Richet-Bourbousse part ensuite effectuer un post-doctorat au Salk Institute, en Californie, pour continuer l’exploration de l’influence de l’environnement sur le génome des plantes, cette fois en réponse aux radiations ionisantes. À présent, la scientifique développe une nouvelle ligne de recherche sur l’influence des activités des chloroplastes sur le noyau, à la fois en termes d’organisation spatiale du génome et de reprogrammation de l’expression des gènes.