scMOmix : Un formidable espoir pour la recherche thérapeutique contre le cancer

Des approches informatiques avancées pour analyser des données de séquençage à cellule unique

Laura Cantini, chercheuse en biologie computationnelle à l’Institut de Biologie de l’ENS-PSL (IBENS), vient d’obtenir une ANR Jeunes Chercheurs et Jeunes Chercheuses (JCJC) pour son projet scMOmix. Sous ce nom se cache un projet de recherche informatique de haute technologie d'analyse haut débit de cellules individuelles. Avec cette approche inédite pour la biologie et la médecine, scMOmix veut mieux comprendre le cancer et ses interactions avec le système immunitaire. Les résultats obtenus pourraient améliorer les traitements de certaines maladies tels que le mélanome et le cancer colorectal.
Laura Cantini
Laura Cantini © Frédéric Albert

Diviser pour mieux analyser

Depuis novembre 2018, Laura Cantini est chargée de recherche CNRS à l’Institut de Biologie de l’ENS, où elle est membre de l’équipe Biologie Computationnelle des Systèmes (CSB). La chercheuse, spécialisée en métagénomique (1), travaille au développement et à l’application d’algorithmes pour l’analyse conjointe de données génomiques à haut débit. L’objectif ? Décrypter les mécanismes moléculaires responsables du développement et de l’hétérogénéité des réponses aux thérapies dans le cancer. Des recherches complexes, mêlant à la fois génétique et informatique, qui enthousiasment Laura Cantini : « c’est justement la complexité des cellules humaines qui m’a amenée à m’intéresser à la biologie » explique-t-elle. « Déchiffrer les mécanismes moléculaires qui contrôlent l'état ou le comportement d'une cellule est une tâche fascinante et stimulante. La biologie computationnelle a cette incroyable capacité d’extraire des informations exploitables de millions de données disponibles, pour dévoiler des mécanismes moléculaires cruciaux à l’œuvre dans nos cellules » ajoute la scientifique.

Le projet de recherche scMOmix, qui a valu à Laura Cantini l’ANR Jeunes Chercheurs Jeunes Chercheuses (JCJC) 2021, concerne le séquençage à cellule unique, qui devrait permettre d’optimiser l’extraction et l’analyse de cette multitude de données cellulaires. « Les plateformes de séquençage à cellule unique comme par exemple scRNAse ou scATACseq sont très utiles pour caractériser l'activité génique de nombreuses cellules en parallèle », précise Laura Cantini. Cette approche récente, de haute précision, permet de déceler des différences dans la transcription des gènes pour des cellules individuelles. Des informations qui auraient été masquées avec les approches de séquençage en masse, plus simples à manier mais beaucoup moins précises.

 

Un formidable espoir pour la recherche thérapeutique contre le cancer

« L'analyse de cellules individuelles révolutionne la biologie et la médecine en révélant la diversité des cellules constituant les tissus humains », explique la chercheuse. « Cela a un impact considérable sur notre compréhension du développement, du fonctionnement du système immunitaire, ainsi que de nombreuses maladies. » Cependant, de nouveaux développements méthodologiques sont encore nécessaires pour extraire un maximum d'informations à partir des données de cellules uniques. Avec scMOmix, Laura Cantini compte proposer une série d’approches informatiques avancées pour permettre une analyse optimale de ces données. Elle appliquera ces algorithmes au mélanome et au cancer colorectal, espérant participer, à terme, à une amélioration des traitements. « Je vais d’abord me focaliser sur le cancer colorectal et le mélanome métastatique, pour ensuite aborder ces deux problématiques biologiques très particulières dans un contexte médical plus général » indique Laura Cantini. « Grâce à la disponibilité récente de données de cellules uniques, ces questions peuvent être abordées de manière beaucoup plus précises qu’avec le séquençage de masse », se réjouit la scientifique.

Aujourd’hui, les chercheurs savent que les patients atteints d'un même cancer ne répondent pas de la même manière aux thérapies. Ils ont pu définir des classes de patients ayant une réponse et des caractéristiques moléculaires homogènes, appelées sous-types. « Avec scMOmix, je veux comprendre comment ces différents types et états cellulaires contribuent aux différents sous-types de cancer. » Laura Cantini se concentrera sur l’étude des inhibiteurs de points de contrôle, des anticorps monoclonaux (2) qui bloquent les protéines impliquées dans les différentes étapes du cycle cellulaire, permettant ainsi aux cellules immunitaires d'attaquer et de détruire les cellules cancéreuses. « Ce type d’immunothérapie est basé sur la stimulation du système immunitaire pour reconnaître et combattre les cellules cancéreuses. Cela ouvre de véritables perspectives dans le traitement du cancer » explique la chercheuse. Actuellement, seuls 40 % des patients répondent à ces thérapies. En utilisant la précision de ScMOmix, Laura Cantini entend caractériser les populations de cellules associées à la résistance de ces thérapies afin de proposer de nouvelles molécules cibles pour des thérapies combinées et ainsi augmenter le nombre de patients répondant au traitement.

 

ScMOmix, un bijou de haute technologie

« Les soins de santé évoluent vers une résolution cellulaire. La détection rapide et le traitement efficace du cancer dépendent de notre capacité à comprendre quand, pourquoi et comment une sous-population de cellules s'écarte d'un état sain ou acquiert une résistance aux médicaments », expose Laura Cantini. Et pour cela, l’utilisation de données multi-omiques de cellules uniques, qui permettent d’appréhender dans leur globalité des systèmes biologiques complexes et dynamiques est capitale. « Ces données sont produites à un rythme qui ne cesse de croître, l’intelligence artificielle est amenée à jouer un rôle central dans la traduction de cette énorme quantité d'informations en connaissances biologiques exploitables », affirme Laura Cantini. En développant des méthodes rigoureuses pour maximiser les informations extraites des données de cellules uniques, le projet scMOmix contribuera à cette percée méthodologique. « À long terme, les applications proposées pour le cancer colorectal et le mélanome auront un véritable impact clinique, en contribuant au développement de stratégies de traitement efficaces et à l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques pour le développement de médicaments » détaille la chercheuse.

Grâce à l’ANR JCJC, Laura va pourvoir recruter un doctorant ainsi qu’un post-doctorant pour travailler sur tous les développements techniques et méthodologiques que nécessitent scMOmix, et qui seront ensuite implémentés dans des logiciels libres. Un choix revendiqué par Laura Cantini, pour qui « équiper des logiciels accessibles à tous est fondamental ». La chercheuse explique : « cela favorise la reproductibilité des études réalisées et facilite les échanges entre les chercheurs et les chercheuses intéressés par des questions similaires. Enfin et surtout, les logiciels libres assurent une large utilisation pour s'attaquer à de nouveaux problèmes biologiques, et donc avoir un impact sur la médecine et la pratique clinique. »

Laura Cantini dispose également d’un financement supplémentaire pour l’acquisition des ressources informatiques, la participation à des conférences internationales et la publication des résultats. Au-delà du financement de ses travaux, l’obtention de cet ANR est une véritable reconnaissance et un beau tremplin pour sa carrière : « je vais pouvoir me lancer dans mon premier projet en tant que coordinatrice et commencer à créer ma ligne de recherche indépendante. C’est un beau premier pas, qui je l’espère m’amènera à créer ensuite ma propre équipe de recherche », confie la chercheuse avec gratitude.

 

« La recherche avance en équipe et l’esprit ouvert »

Pour mener à bien la réalisation de scMOmix, l’équipe de Laura Cantini travaillera en étroite collaboration avec Gabriel Peyré, chercheur au département de mathématiques et application de l’ENS, Anaïs Baudot, chercheuse en biologie computationnelle à l’Université d’Aix-Marseille et experte en théorie des réseaux mais aussi Morgane Thomas-Chollier, membre de l’équipe CSB, et Pierre Vincens, responsable du service informatique du département de biologie, qui gère sur place l’infrastructure de calcul nécessaire au projet. Une collaboration interdisciplinaire et inter-établisssement, favorisée par « la richesse de l’environnement de travail offert par l’ENS », selon la scientifique : « grâce à l’École, j’ai pu échanger avec des experts dans des domaines variés. Ces interactions ont été fondamentales pour la conception finale du projet scMOmix. »

Laura Cantini est également très sensible à l’interdisciplinarité encouragée par l’ENS. Elle est essentielle à la recherche en biologie « où l'analyse de volume de données en constante augmentation requiert des chercheurs ayant des compétences interdisciplinaires, à l'interface entre l'apprentissage automatique et la biologie. » Selon elle, la maîtrise des méthodologies computationnelles sont « indispensables » pour concevoir des outils de calcul efficaces et performants. Les chercheuses et les chercheurs intéressés par ces sujets doivent aussi avoir une bonne connaissance de la biologie pour interagir avec les chercheurs de cette discipline et fournir « des hypothèses expérimentalement vérifiables et qui pourront véritablement impacter les sciences de la vie. »

Aux étudiants et aux étudiantes qui voudraient se diriger dans la biologie, Laura Cantini conseille bien sûr d’acquérir une culture transdisciplinaire, « aux interfaces entre la statistique, l’informatique et la biologie, pour maîtriser les nouveaux outils d’analyse de données omiques, qui sont devenus essentiels pour la recherche en biologie. » Mais pour la chercheuse, il est aussi important de trouver « sa niche » dans la recherche, c’est-à-dire, un sujet qui correspond à ses passions et à ses compétences. « Mettez-vous ensuite au défi : changez de laboratoire, prenez des risques, demandez un financement dès votre plus jeune âge » ajoute-t-elle. Et pour la scientifique, « pas question de la jouer solo », la recherche est avant tout un travail collectif et de coopération : « élargissez votre réseau en allant des conférences et en étant réceptifs aux discussions, et surtout, trouvez de bons collaborateurs et mentors. La recherche avance en équipe et l’esprit ouvert » conclut Laura Cantini.

(1) On parle de métagénomique pour évoquer le traitement de masses considérables de données liées au génome (ADN ou ARN). Source : Métagénomique, interactomique, protéomique, lipidomique… Qu’est-ce que c’est ?, The Conversation, 4 octobre 2017

(2) Les anticorps monoclonaux sont des molécules naturellement produites par le système immunitaire en vue de déclencher une attaque ciblée sur un danger déjà rencontré. Bien choisis, ils peuvent non seulement repérer les cellules tumorales, mais aussi bloquer leur croissance. Source : Dossier pédagogique, les anticorps monoclonaux, Institut Curie

 

À propos de Laura Cantini

Laura Cantini est chargée de recherche CNRS au sein de l’Institut de Biologie de l’ENS (IBENS, UMR8197) depuis novembre 2018. Après une formation initiale en mathématiques à Florence, elle s’intéresse à la recherche interdisciplinaire, à l'interface entre apprentissage automatique, statistiques et cancérologie. Elle effectue un doctorat en biologie des systèmes à l'Université de Turin mêlant à la fois physique théorique et oncogénomique.
Pendant sa thèse, elle effectue un séjour de six mois à l'Université d'Aalto (Finlande), où elle approfondit ses connaissances sur la théorie des réseaux.
En 2016, elle intègre l’équipe Bioinformatique et biologie des systèmes du cancer à l'Institut Curie. Après avoir été recrutée comme chercheur CNRS elle rejoint l’équipe Biologie Computationnelle des Systèmes à l'IBENS. Depuis, Laura Cantini travaille sur le développement et l’application d’algorithmes pour l’analyse de données génomiques à haut débit. En juin 2019, après avoir obtenu la bourse L'Oréal-UNESCO pour les Femmes et la Science, elle effectue un séjour de trois mois au MIT (Boston, USA).