Nature(s) à l'honneur de la semaine de l'histoire 2021

Rencontre avec Hélène Blais, Valérie Theis et Stéphane Van Damme

Questions environnementales, frontière entre humain et non humains, rôle des bio-technologies dans nos vies quotidiennes : l'objet nature historicisé met en lumière l’évolution des sensibilités, au cours des époques et selon les espaces, et remet ainsi en question quelques fausses évidences sur le rapport des êtres humains à la nature.
À l'aube de l'édition 2021 de la Semaine de l'histoire sur le thème « nature(s) », rencontre avec Hélène Blais et Stéphane Van Damme, enseignants au département d'histoire et Valérie Theis, directrice du département.
Fleur
© Matthew Henry

Intégrer la Nature dans l'histoire des sociétés

D’un point de vue épistémologique, l’histoire permet de s’interroger sur la construction même de l’idée de nature, et sur la manière dont les sociétés se sont emparées de cette idée, ou pas. "L’enjeu est moins d’écrire l’histoire de la nature, ce qui serait un projet prométhéen et essentialisant, que d’intégrer la nature dans l’histoire des sociétés, pas seulement comme un cadre, un décor, plus ou moins malmené, mais aussi comme actrice."

Aujourd'hui, quels sont les liens à faire entre Histoire et Nature(s) ?

Les trois historiens nous le rappellent : "C'est au début du XIXe siècle que l’histoire s’est séparée de l’histoire naturelle, domaine des sciences naturelles. Devenue essentiellement humaine (culturelle et sociale), l’histoire s’est autonomisée pour devenir la discipline que l’on connaît."

"Il y a une quinzaine d’années, l’historien indien Dipesh Chakrabarty en appelait, dans le contexte de la crise environnementale, à revenir sur ce grand partage, à montrer la dimension anthropocentrée de la discipline historique. Cette proposition apparaissait d’autant plus surprenante alors que l’histoire environnementale avait depuis longtemps fait de la nature un objet d’histoire sociale et culturelle à travers l’étude des paysages ou des catastrophes ou encore des ressources naturelles par exemple.

Dans les deux dernières décennies, la nature environnementale a opéré un retour sur la scène historiographique française à travers une double grille de lecture : l’une s’engage dans une histoire politique de l’anthropocène en association avec l’économie, les sciences politiques, et vise à dénoncer la politisation des enjeux environnementaux et se situe au fond dans le sillage d’une histoire critique du capitalisme (le terme de capitalocène ayant remplacé celui trop ambigu d’anthropocène), l’autre pôle s’organise autour d’un tournant anthropologique liant l’histoire de l’environnement à une histoire des natures en relation avec la géographie, la philosophie et l’anthropologie autour d’une étude des manières d’habiter la planète et de conceptualiser notre relation à la nature."

L'environnement, un objet historique ?

"Cela fait très longtemps que des historiens travaillent sur la nature. La fin des années 60 aux États-Unis, et les années 80 en France, ont été marquées par un phénomène d’institutionnalisation du champ des études en histoire environnementale, ce qui a donné une plus grande visibilité à ces travaux, mais qui les a aussi parfois isolés du reste des recherches en histoire. Actuellement on assiste à un phénomène complètement différent, et très intéressant, qui est le fait que des historiens non spécialistes d’histoire des sciences ou de la nature intègrent ces problématiques dans leur propre travail pour le faire évoluer et dialoguent avec les spécialistes. En histoire du Moyen Âge par exemple cela donne une toute nouvelle dynamique aux travaux sur le monde rural."

À propos de l'édition 2021

Un contexte inédit

Le thème retenu résonne avec la crise sanitaire, une crise "qui en elle-même nous rapproche de la nature". Même si les historiens observent que "les milieux intéressés scientifiquement et/ou mobilisés politiquement autour des problématiques environnementales n’ont pour l’instant pas été modifiés en profondeur. Ceux qui nient l’existence du changement climatique ou qui se préoccupent peu de l’état du monde dans lequel vivront les générations suivantes sont toujours là. Mais on peut espérer que, parmi les plus jeunes, l’idée de transformer les logiques sociales, qui détruisent dans un même mouvement les hommes et la nature, va continuer à progresser, car il ne s’agit pas tant de « protéger la nature », ce qui est une idée naïve, que de transformer de manière plus globale les modes de vie."

Une organisatioN Collective

Tables rondes, entretiens, projection et exposition permettront de réfléchir aux questions que pose l’écriture de l’histoire de la nature dans toutes ses dimensions, et à la manière dont elle éclaire les enjeux contemporains : marchandisation de la nature, biotechnologie, menace et ressources naturelles. Le programme de cette année n’a pas été fait selon une logique qui hiérarchiserait les événements, mais de manière à varier les thématiques, les formats (tables rondes, conférences, projection, exposition) et les types d’activités.

"De manière générale, il faut souligner le fait que les élèves et étudiants s’investissent dans la préparation à tous les niveaux, de l’animation des tables rondes à la communication. Le concours de photographie par exemple, qu’ils organisent autour du thème de la semaine, et dont chacun pourra admirer les productions, est une de leurs initiatives." Et c'est en cela une vraie spécificité de « La semaine de l'Histoire », et de toutes les semaines culturelles de l'ENS-PSL, les élèves ne sont de simples auditeurs, mais aussi à l'origine d'initiatives propres.

Pour les organisateurs, l'immanquable sera la qualité des invités, "qui peuvent être doublement remerciés cette année, car ils ont tous répondu présent avec enthousiasme en dépit des incertitudes liées à la situation sanitaire." Tous, organisateurs et intervenants, espèrent encore que ces journées pourront avoir lieu en présentiel dans le respect des règles de sécurité sanitaire.

En effet, c'est d'abord la rencontre entre les intervenants et le public qui est la marque de fabrique de ce rendez-vous et chacun espère que le public aura la possibilité d'être là.