Une thèse en chimie des matériaux à la croisée de la recherche académique et du monde industriel

Rencontre avec Ramiro Zapata (Sciences 2017)

Que sont-ils devenus ? À travers une série de portraits, partez à la rencontre de jeunes diplômés de l’ENS-PSL. Originaire de Buenos Aires, Ramiro Zapata a intégré l’École normale en 2017 par la voie de la sélection internationale. Ce passionné de chimie est aujourd’hui en première année de thèse CIFRE, un partenariat de recherche entre les mondes académique et industriel, au sein de l’Institut de Nanosciences de Paris (INSP – Sorbonne Université) et du laboratoire Surface du verre et interfaces (SVI - Laboratoire mixte CNRS-Saint-Gobain). Un lieu idéal pour Ramiro, qui hésite encore entre une carrière d’enseignant-chercheur et un parcours dans l’industrie.
Ramiro Zapata
Ramiro Zapata

« The Central science »

Si certains découvrent leur vocation aux côtés d’un professeur ou un proche, celle de Ramiro Zapata est née grâce aux émissions de vulgarisation en ligne qui ont piqué au vif sa curiosité scientifique. « Au lycée, j’étais captivé par les vidéos sur les éléments, les réactions chimiques, les synthèses... les chaines YouTube de vulgarisation étaient alors en plein essor. C’était fantastique tout ce savoir aussi facilement accessible ! » se souvient le normalien.

Ramiro est particulièrement intrigué par la « magie » de la chimie : « comprendre pourquoi certaines substances réagissent d’une certaine manière, prédire les résultats des réactions chimiques, planifier des synthèses, et même obtenir de nouvelles substances aux propriétés inconnues… tout ce potentiel me paraissait à la fois très mystérieux et incroyablement captivant » explique le normalien. Très vite, il ne veut plus seulement être spectateur. Encore au lycée, à Buenos Aires, il achète son premier livre de chimie et commence à faire ses propres expériences à la maison. Au fil des mois, il va plus loin encore dans l’exploration et participe aux Olympiades argentines de chimie. Une compétition qui lui ouvre les portes d’un stage d’immersion dans un laboratoire de recherche universitaire accueillant aussi des lycéens. Des expériences extrascolaires qui le confortent naturellement dans ses choix d’orientation. Une fois obtenu le bachillerato, l’équivalent du bac, il commence en 2014 des études de chimie dans l’Université de Buenos Aires.

Mais pour Ramiro, l’étude de la chimie ne va pas sans celle d’autres disciplines, nécessaires pour nourrir une approche scientifique rigoureuse et innovante : « la chimie est une science incroyable où l’on fait constamment des liens entre le monde microscopique comme les atomes, les molécules, les électrons et le monde macroscopique telles que les réactions chimiques ou les substances » rappelle le normalien. « Souvent appelée The Central Science, la chimie a beaucoup d’interfaces avec la biologie, la physique, voire les mathématiques et l’informatique, car il faut différentes approches simultanées pour comprendre cette interaction entre les deux mondes. »

En 2016, Ramiro souhaite apprendre à programmer et tente de s’inscrire dans un cours d’informatique à son université, sans succès : « on m’avait refusé mon inscription au cours, parce qu’il n’était pas au programme de mon cursus de chimie », confie-t-il. Dérouté et déçu par une formation « un peu trop cloisonnée » l’étudiant cherche « autre chose » pour la suite de son parcours académique. Ce sera l’ENS : « j’ai décidé de candidater à l’École normale car j’étais attiré par la qualité et le prestige de sa formation, mais surtout par la liberté offerte aux normaliens dans le choix de leurs enseignements », justifie Ramiro. S’il vit en Argentine, l'étudiant connait déjà l’ENS et concède avoir « un lien très fort avec la France et sa culture ». Un lien nourrit par de nombreuses années d’études de la langue, de multiples séjours en France et même un stage dans une bibliothèque francophone à Buenos Aires. « La philosophie de cette école, axée sur la recherche et favorisant l’interdisciplinarité était en parfait accord avec mon projet professionnel de l’époque, qui était de devenir enseignant-chercheur en chimie organique. De plus la Sélection Internationale proposait un cadre d’études très favorable, avec la possibilité de loger sur le campus ainsi qu’une bourse de trois ans », détaille le normalien.

 

« Une approche interdisciplinaire apporte une valeur ajoutée énorme »

Après son admission, Ramiro rejoint donc le département de chimie de l’École, où il effectue une troisième année de licence puis une première année de master. Le normalien prend également des cours dans d’autres départements pour explorer d’autres disciplines : physique, informatique, mais aussi géographie. « Même les professeurs de chimie nous encourageaient à aller voir ailleurs. Je me souviens de l’un d’entre eux, qui était particulièrement soucieux que nous ayons assez de temps pour nous tourner vers d’autres matières », raconte Ramiro. D’abord attiré par la chimie organique, le normalien se dirige progressivement vers la physique et la chimie des matériaux et effectue un Master 2 à la croisée de ces disciplines. « Souvent la frontière entre deux sciences devient floue, voire inexistante, dès qu’on aborde des sujets de recherche aux interfaces comme les matériaux. Dans ce cas, avoir une formation interdisciplinaire au sein d’un laboratoire apporte une valeur ajoutée énorme » appuie Ramiro. « Par exemple, une « simple » réaction chimique qui a lieu dans le corps humain peut être abordée soit par une approche théorique en étudiant la modélisation du mécanisme de la réaction, soit biologique en se concentrant sur l’interaction avec les différentes voies métaboliques, soit moléculaire en s’intéressant aux structures des protéines qui catalysent la réaction ou bien encore analytique, en quantification des métabolites... Différentes approches qui sont nécessaires pour pouvoir aborder le sujet d’une manière complète. »

Aujourd’hui en première année de doctorat à l’Institut de Nanosciences de Paris (INSP – Sorbonne Université) et au laboratoire Surface du verre et interfaces (SVI - Laboratoire mixte CNRS-Saint-Gobain), la thèse de Ramiro est à la croisée de la physique et de la chimie. Il s’intéresse tout particulièrement aux propriétés du dépôt de couches d’argent d’épaisseur nanométrique sur du verre, « un sujet d’étude à l’intérêt académique certain, mais qui mène aussi à des applications industrielles concrètes, notamment pour les vitrages bas-émissif. » Car dans ces vitrages, la couche nanométrique d’argent déposée sur la surface d’un verre lui confère des propriétés d’isolant thermique : c’est-à-dire que le verre gardera la chaleur à l’intérieur de la maison en hiver, et à l’extérieur en été, avec des économies d’énergie très importantes. « Une meilleure compréhension du mécanisme de dépôt de l’argent sur du verre est essentielle pour améliorer l’efficacité de l’isolation thermique du vitrage », résume Ramiro. « D’un côté plus académique, le dépôt de couches minces métalliques est aussi un domaine de grande importance pour les nanosciences et la nanofabrication, ou bien encore pour la fonctionnalisation des matériaux qui revient à donner de nouvelles fonctionnalités grâce à l’ajout de ces couches minces. »

 

Explorer d’autres chemins

Ces travaux entre recherche académique et monde industriel, Ramiro les mène dans le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE), un dispositif de formation qui place un doctorant au cœur d'une collaboration de recherche entre une entreprise et un laboratoire public. Ramiro travaille ainsi au contact régulier de chercheurs CNRS, mais également avec des ingénieurs en recherche industrielle, plus appliquée. « Cette immersion dans un cadre industriel, induisant une collaboration étroite et constante avec l’université, me permet de découvrir le monde de la recherche académique et de la recherche industrielle en même temps » explique Ramiro. Car celui qui se destinait à une carrière d’enseignant-chercheur hésite désormais à s’orienter vers la R&D industrielle. Un choix de parcours diversifié, que le normalien doit en partie à l’ENS-PSL : « je suis arrivé à l’École normale avec un projet de recherche et de formation bien défini et j’avais même réfléchi aux cours que j’allais choisir. Or, rien ne s’est passé comme je l’avais planifié : j’ai été tout de suite confronté à la pluridisciplinarité et à l’énorme offre de formation et d’activités complémentaires, ainsi qu’à la vie étudiante de l’ENS. J’ai tout de suite compris que la meilleure manière de profiter de ces années, était de laisser de côté mon projet initial et d’oser regarder ailleurs, ouvrir mes perspectives, et trouver de nouveaux intérêts. Je n’ai finalement suivi que très peu de cours que j’avais initialement prévus. J’ai eu en revanche l’occasion d’explorer et de faire des projets dans des domaines que je n’avais jamais envisagés auparavant. » Un chemin différent, que Ramiro ne regrette pas d’avoir emprunté, bien au contraire : « mes années à l’ENS ont été des années de découverte et de maturité mais aussi de construction de mon projet professionnel et de mon projet de vie. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie », témoigne-t-il.

À ceux qui voudraient postuler, Ramiro conseille de bien s’informer au préalable sur l’École et sa philosophie de formation. « C’est un enseignement interdisciplinaire, par la recherche et pour la recherche, qui peut parfois dérouter. » Bien réfléchir à son projet de formation et de recherche est tout aussi primordial, « tout en gardant l’esprit ouvert à de nouvelles pistes ». Ramiro encourage aussi tout nouvel admis à bien profiter de la vie à l’ENS et de la vie culturelle à Paris « car elles font partie aussi de la richesse de la formation au même titre que les cours. »

Et si Ramiro s’est beaucoup investi dans la vie étudiante de l’École et a exploré d’autres chemins que la science en suivant des cours de danse, d’œnologie, de langues et même une formation de parachutisme, il est aussi revenu à l’une de ses passions de jeunesse durant sa scolarité. Le normalien s’est lancé à son tour dans la vulgarisation scientifique et la transmission des savoirs, en participant au cycle de conférences Chimie et… . Présentées par les étudiants du Master 1 de département de Chimie et organisées par Lina El Hajji et Joanna Stierlin, normaliennes, ces conférences font partager l’enthousiasme des étudiants pour la chimie avec des élèves du lycée ou de classes préparatoire, mais aussi avec le grand public. « Chaque conférence aborde un domaine différent de recherche en chimie : chimie théorique, cosmochimie, chimie médicinale, chimie environnementale… » explique Ramiro. « Dans mon cas, j’ai présenté la conférence Chimie et Matériaux en binôme avec Alexandra Fillion. Tandis qu’elle a abordé les polymères et leur application biomédicale, je me suis concentré sur la découverte du graphène, un matériau bidimensionnel, composé uniquement d’atomes de carbone et ses propriétés. » Même si l’événement a eu lieu il y a bientôt trois ans, Ramiro s’en souvient comme si c’était hier. « Ça a été un moment très important pour moi. C’était ma toute première conférence pour le grand public », confie le normalien avec chaleur. « La préparation de cette intervention a été un exercice difficile mais très formateur. Il fallait expliquer des concepts souvent complexes de manière abordable et attractive pour tous ». Soucieux de transmettre sa passion et de susciter de nouvelles vocations, Ramiro espère que ces conférences vont donner aux élèves un aperçu de tout ce qui peut être possible en chimie, « leur montrer que les domaines d’application et de recherche dans ce domaine sont très diverses et qu’ils vont beaucoup plus loin que ce qu’on a apprend au lycée. » Le doctorant espère également que cette initiative encourage plus d’étudiants à poursuivre des études en chimie et en sciences : « on a toujours besoin de scientifiques passionnés, car c’est en grande partie ce qui fait de bons chercheurs ».

Ramiro prend l’exemple de son propre champ de recherche dont les enjeux sont « multiples et fascinants » et peuvent avoir un fort impact sur le monde qui nous entoure. Il cite notamment le domaine de la transition énergétique : « apporter des solutions innovantes aux défis écologiques auxquels on fait face actuellement, quel objectif incroyable ! Le développement de meilleures batteries, la minimisation de l’empreinte carbone des procédés de production, le recyclage ou les nanomatériaux sont des exemples de sujets auxquels la chimie et la physique-chimie des matériaux peuvent apporter des solutions concrètes dans les années à venir », soutient-il.