One Health, le concept qui bouleverse la santé

Entretien avec Emmanuel Didier, sociologue et directeur du programme Médecine–Humanités de l’ENS–PSL

Créé le
6 décembre 2022
La récente crise sanitaire a accéléré la prise de conscience que la protection de la santé de l'Homme passe par la santé de l'animal et la santé environnementale, nécessitant une approche globale de la santé. Apparu en 2004, le concept « one world /one health - une planète/une santé », porté par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO),  a pour objectif de créer des ponts et de renforcer les liens entre trois santés : humaine, animale et environnementale.
 
Emmanuel Didier, directeur du programme Médecine-Humanités à l’ENS-PSL et à l’initiative du séminaire One Health, , organisé avec Frédéric Keck, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, nous éclaire sur cette expression « qui est un mot d’ordre autant qu’un concept » et sur les implications et conséquences sociales engendrées par ce rapprochement entre médecine humaine, médecine vétérinaire et l’environnement.
Illustration "Zoonose" © P.P / Pole communication ENS
Illustration "Zoonose" © P.P / Pole communication ENS

Pouvez-vous nous expliquer le concept « One health » ?

« One health » que l’on traduit habituellement par « Une seule santé » n’est pas facile à définir de façon opératoire. Mais l’expression, qui est un mot d’ordre autant qu’un concept, signifie que l’on ne peut pas s’occuper de la santé humaine si l’on ne se soucie pas aussi et en même temps de la santé animale, d’une part, et environnementale, de l’autre. L’idée est que de nombreuses maladies infectieuses affectant les humains ont des rapports étroits avec celles des animaux, qui elles-mêmes dépendent en grande partie de l’environnement dans lequel ils vivent.

En quoi « One health » est un changement de culture qui nous concerne tous ?  Et quels sont les défis de ce nouveau concept ?

« One health » implique que des professions qui habituellement travaillent assez peu ensemble se retrouvent autour d’une même table, et partagent des ressources qu’ils ne sont pas habitués à mutualiser. Concrètement, des médecins doivent travailler en étroite collaboration avec des vétérinaires et, ensemble, ils doivent s’ouvrir aux savoirs des agronomes par exemple ou des spécialistes de l’eau.

Parvenir à travailler de concert n’est pas chose aisée pour eux car ils ne sont pas formés dans les mêmes institutions, n’apprennent pas les mêmes savoirs, n’ont pas toujours les mêmes éthos de travail. Un exemple très simple : il n’y a pas de base de données qui mettent ensemble des contaminations des humains et des animaux lors d’une zoonose. Les données sont clairement séparées.

Selon vous, quelles sont les leçons de la crise sanitaire quand on parle d’« une seule santé » ?

Bien sûr, l’expression « One health » circulait avant la crise sanitaire, en particulier car il ne s’agissait pas de la première zoonose. Mais la crise Covid a mis en évidence pour le plus grand nombre les dangers associés à la circulations inter-espèces des virus. L’origine de la pandémie a très vite été attribuée aux chauve-souris, bien que l’on ne sache toujours pas précisément comment le saut inter-espèces vers les humains a eu lieu. Nombreuses sont les hypothèses qui laissent penser que ce sont les modifications de leur environnement par l’activité humaine, en particulier la déforestation, qui les a forcés à se rapprocher des humains ce qui a engendré la contamination. Inversement, nombreux sont ceux qui ont été frappés par le sort des visons, qui ont été abattus en masse au Danemark. Les autorités craignaient qu’ils soient à leur tours contaminés par les humains puis deviennent un nouveau réservoir susceptible de nous surcontaminer.  Cette circulation du virus et les causalités croisées entre animal, humain et environnement sont devenues flagrantes pour le plus grand nombre lors de cette crise.

La mise en œuvre de cette approche liant santé humaine, animale et environnementale, semble loin d’être évidente. Auriez-vous un exemple d’application ?

Lors de la séance du séminaire Médecine Humanités où il était invité, Thierry Lefrançois, vétérinaire, directeur du département système biologique du CIRAD et ancien membre du Conseil Scientifique Covid nous en a donné quelques exemples frappants. Citons-en deux.

Premièrement, le projet SANSÉO procède à une analyse du risque causé par les tiques dans la réserve naturelle des Grands Causses en Aveyron. Pour ce faire, les animateurs du projet mettent ensemble tous les acteurs du territoire pour définir ce qu’est un territoire en bonne santé pour gérer le risque tique de manière collégiale.

Deuxièmement, l’Union européenne finance le projet MOOD qui cherche à développer des outils numériques permettant la détection rapide du développement de maladies infectieuses. A partir de travaux sur les big data et les réseaux numériques, le projet essaye de créer des plateformes de données intersectorielles entre médecins, vétérinaires et spécialistes de l’environnement.

Comment les politiques publiques peuvent coopérer pour penser la santé de manière intégrée ?

A ce stade, « One Health » semble surtout se développer dans les institutions internationales : l’OMS (Organisation mondiale pour la santé), la FAO (Organisation pour l’agriculture et l’alimentation), l’OIE (Office International des épizooties). Il y a par exemple un Comité d’experts de haut niveau sur One Health (OHHLEP) qui rédige des recommandations dont la dernière a été publiée dans leur rapport annuel de 2021. Ce qui n’est pas encore mis en œuvre, ou très peu, ce sont des rapprochements entre les ministères nationaux concernés pour promouvoir des actions concrètes.

Comment renforcer les connaissances en santé globale dans la formation, la recherche et plus particulièrement dans un établissement supérieur comme l’ENS ?

L’insistance de l’ENS dans le diplôme sur les expériences interdisciplinaires, qui sont au fondement de « One Health », vont bien sûr dans le bon sens. De même, des programmes comme Médecine Science et Médecine Humanités, qui sont par essence interdisciplinaires, vont encore dans le bon sens pour servir de support à des recherches innovantes croisées entre spécialités.

 

 

LEXIQUE

 

La définition One health adoptée le 1er décembre 2021 par l'OMS, l'OIE, la FAO et le PNUE

« One Health/Une seule santé est une approche intégrée et fédératrice qui vise à équilibrer et optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Elle reconnaît que les santés des humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l'environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes. L'approche mobilise de multiples secteurs, disciplines et communautés à différents niveaux de la société pour travailler ensemble à améliorer le bien-être et à lutter contre les menaces pour la santé et les écosystèmes, tout en répondant au besoin collectif d'eau, d'énergie et d'air propres, d'aliments sains et nutritifs, en prenant des mesures contre le changement climatique et en contribuant au développement durable. »

 

OMS : Organisation Mondiale de la Santé
OIE : Organisation Mondiale de la Santé animale (Office international des épizooties)
FAO : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization of the United Nations)
PNUE : Programme des Nations unies pour l'environnement