Un essai pour tracer les chemins

Rencontre avec Zoé Mauel, étudiante en 4e année du Département Littératures et langage à l’ENS-PSL et l’une des gagnantes de la 53e édition du concours international d’essai, le St. Gallen Symposium.

En soulignant dans son essai le rôle des Nations Unies dans les conflits présents et à venir, l'étudiante a décroché une place pour participer avec d’autres étudiants venus du monde entier à un forum de discussions en Suisse.

Zoé Mauel
Zoé Mauel, 4e année au Département Littératures et langage à l’ENS - PSL

De son enfance en Allemagne jusqu’à sa vie étudiante en France, Zoé Mauel a toujours eu un attrait pour les Lettres. Lors de son double diplôme franco-allemand à l’Université Johannes Gutenberg (Allemagne), puis de ses études en Lettres Modernes à l’Université de Bourgogne (Dijon), ses professeures mentionnent souvent l’ENS. Elle trouve ainsi le courage de postuler : « Dès que j'en ai entendu parler, j’ai voulu à tout prix intégrer cette école où Beckett et Celan étaient lecteurs de langues étrangères, ex-plique-t-elle. Pendant les études, il faut se construire une base solide pour le reste de la vie ; des convictions, des valeurs, des idéaux qui permettent de faire face aux adversités de l’existence. »

« Dès que j'en ai entendu parler, j’ai voulu à tout prix intégrer cette école où Beckett et Celan étaient lecteurs de langues étrangères. »

En 2019, Zoé rejoint le Département Littératures et Langage à l’ENS-PSL par la voie du concours Sélection Internationale. Malgré la joie de faire sa première rentrée à l’École, l’étudiante se sent d’abord en décalage avec ses camarades français. Elle se souvient d’un jour particulièrement difficile : « Je n’avais pas les mêmes réflexes que les autres. Le professeur avait parlé du mot « visage » et soudain tous les étudiants se mirent à parler de Levinas ; j’étais la seule à ne pas penser au philosophe — je ne savais même pas qui il était ! ». Heureusement, le même jour, la normalienne a rencontré sa tutrice qui l’a encouragée : « J’avais d’autres réflexes tout aussi défendables, mais différents. Il faut valoriser cette diversité culturelle au lieu de la considérer comme une faiblesse ». Au fil des semaines, Zoé construit son chemin à travers les cours mais aussi les rencontres avec les professeurs et les autres étudiantes et étudiants, et fait petit à petit de sa différence une force.

Attirée par la diplomatie, l’étudiante saisit à l’ENS l’opportunité de partir un semestre à la Columbia University, à New York. Une première fois hors de l’Europe, avec l’ambition d'en apprendre plus sur les relations internationales. Zoé se souvient du moment précis où son pied a touché le sol américain : « J’ai eu un sentiment très fort d’instabilité. On peut marcher d'Hambourg à Athènes, de Malaga à Saint-Pétersbourg... À New York, pour la première fois, je ne pouvais pas marcher pour rentrer chez moi, ex-plique-t-elle. Si loin de ses attaches, on se rend compte de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. », ajoute la normalienne.

Préserver notre héritage ou explorer d’autres chemins ?

Pendant son semestre outre-Atlantique, Zoé entend parler du St. Gallen Symposium, un concours international d’essai qui réunit une centaine d’étudiants chaque année. « The best or worst legacy from previous ge-nerations : How to preserve or replace it ? », le thème de l’édition 2023 inspire la jeune étudiante et la motive à devenir la première normalienne à participer. « D’où venons-nous, quel est notre héritage et où allons-nous avec ce bagage ? Doit-on continuer à le préserver ou doit-on trouver d’autres chemins, jamais empruntés ? Les questionnements fusent. Je ne peux guère imaginer un sujet plus intéressant, ajoute-t-elle, en conseillant à tous les étudiants d’y participer. C’est justement ce qui intéresse le jury : de nouveaux points de vue sur les débats actuels. »

Dans son essai sur le droit international, Zoé interroge la manière dont les Nations Unies tirent profit de la tendance régionaliste en politique actuelle, tout en évitant d’affaiblir leur pouvoir « dont l’importance me semble toujours inestimable », justifie l'étudiante. Elle y souligne également la nouvelle tension entre l’État national et le multilatéralisme. Avec la fin de la guerre froide, la croyance était - surtout en Allemagne - que l’interdépendance économique rapprocherait les différents systèmes sur le plan poli-tique. « Je pense notamment à la Russie et à la Chine, où il y a eu des moments de libéralisation dont rien ne subsiste aujourd’hui. Pendant un certain temps, l’État-nation perdait de son importance et l’idée d’une communauté supranationale était au premier plan, explique-t-elle. La pandémie a été comme un choc : soudain, c’est à nouveau l’État-nation qui s’est révélé capable d’agir de manière efficace. »

« Participer au Symposium est une belle opportunité d’entrer en contact avec des personnes qui sont en mesure de définir les grandes lignes à suivre dans les années à venir »

Avec 99 autres, l’essai de Zoé est sélectionné. L’étudiante est alors invitée début mai au Symposium en Suisse. Une semaine d’interventions et de discussions sur le sujet, entourée d’acteurs politiques, de la vie publique et de l’économie, du monde entier : « C’est une belle opportunité d’entrer en contact avec des personnes qui sont en mesure de définir les grandes lignes à suivre dans les années à venir, estime-t-elle. Il est important de se lancer dans la discussion ! ». En effet, ce forum vise à encourager les échanges intergénérationnels. Ainsi, de jeunes étudiants ont eu l'opportunité d'exprimer leurs idées sur la direction que prend actuellement le monde.

Une expérience inspirante et fédératrice

« Participer à ce Symposium a été l’une des meilleures décisions de ma vie », témoigne Zoé. L’étudiante souhaite s’orienter vers le droit international, avec pour objectif d'intégrer le service diplomatique d’Allemagne. « Ce fut une source constante d’inspiration et d’espoir pour moi : les défis sont certes considérables, mais j’ai rencontré de nombreux jeunes prêts à lutter pour construire un avenir qui vise le bien-être de l’humanité », explique-t-elle.

Son seul regret ? Qu’il n’y ait pas plus d’étudiants en sciences humaines parmi les candidats : « On ne discute pas seulement de politique financière, mais des grandes questions de notre époque en général : Quel est l’avenir de l’apprentissage ? Dans quelle mesure la démocratie doit-elle être adaptée aux défis de notre temps ? Quelles sont les idées les plus convaincantes pour une réforme du droit d’asile en Europe ?, etc. »

Tant de questions sur le sujet qui inspirent la normalienne à continuer dans cette voie.
 

Mis à jour le 26/5/2023