[#Décryptage] Annonces de Donald Trump sur l’exploitation minière des fonds marins : quelles conséquences ?

Par Javier Escartin, géophysicien à l'ENS–PSL

Créé le
10 juin 2025
Le 24 avril 2025, Donald Trump annonçait signer un décret pour accélérer l’exploitation minière des océans. Quelles conséquences à ce décret ? Que faut-il craindre en termes de droit et de protection des eaux internationales ?
Javier Escartin, géophysicien au département de Géosciences de l’ENS-PSL et spécialiste des fonds marins, analyse cette décision en nous éclaircissant sur les ressources minérales au fond des océans et sur les modalités de gestion de leur exploitation en eaux internationales.
Décryptage

Les ressources minérales sont nécessaires pour l'industrie électronique, et un élément clé pour la transition énergétique en cours. Dans un paysage géopolitique en transformation et tendu, ces matières premières sont devenues un élément clé de souveraineté, sur fond d'indépendance des pays occidentaux vis-à -vis de la Chine et la Russie, et dans le contexte de la dynamique d'autosuffisance « America First » de Trump pour les États Unis.  

Au fond des océans, trois sources possibles de minerais existent : les croûtes de manganèse sur des roches très difficiles à extraire, les dépôts hydrothermaux avec des sulfures, mais localisés dans des zones volcaniques de topographie complexe, et les nodules polymétalliques. Ces nodules presque sphériques mesurant de quelques centimètres à plusieurs décimètres de diamètre, se retrouvent sur les plaines abyssales océaniques, à des profondeurs de 3 à 6 km. Sur certaines zones, ils tapissent la surface des fonds océaniques sur des dizaines ou centaines de kilomètres carrés. En raison de leur facilité de collecte, ces nodules sont la cible principale pour des opérations minières, et des machines d'extraction de ces nodules ont déjà été déployées et testées dans l’Océan Pacifique principalement sur une zone nommée Clarion Clipperton (ou CCZ). Cette zone s’étale sur plus de 6 millions de kilomètres carrés (presque 11 fois la France) et on estime qu'y gisent plus de 21 milliards de tonnes de nodules contenant ces métaux et terres rares critiques.

L’évaluation de ces ressources a été réalisée par plusieurs pays sous l’égide de l’Autorité Internationale des fonds des mers (AIFM), un organisme des Nations unies chargé d’établir les modalités de gestion de l’exploitation des fonds marins en eaux internationales, dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS).  Moyennant une franchise, les pays signataires ont droit à une zone d’exploration afin d’évaluer les ressources minières. Ce type de franchise est aussi attribué pour les dépôts hydrothermaux le long des dorsales médio-océaniques et pour les croûtes de manganèse principalement sur les flancs de volcans sous-marins. 

La France détient deux de ces franchises, l’une dans l'Atlantique, sur la dorsale océanique, pour des sulfures hydrothermaux, et l’autre sur la zone Clarion-Clipperton, pour des nodules polymétalliques (d’environ 75 000 km2). L’AIFM développe un code de conduite pour l’extraction de ces ressources, encore à finaliser même après plusieurs années de discussions et négociations. Certains pays, y compris la France, souhaitent un moratoire afin de mieux comprendre l’ampleur de l'impact inévitable sur l’environnement et les écosystèmes.

Plusieurs études constatent que les traces de tests d’extraction minières, réalisées il y a quelques décennies, ont encore une apparence visuelle fraîche - l’érosion est absente dans l'océan profond. On observe non seulement une réduction de la biodiversité sur ces zones, mais également une diminution des concentrations de carbone dans les sédiments, et donc un impact sur l’un des réservoirs terrestres de carbone (sédiments marins). Cette extraction minière produira des panaches de sédiments remontant des profondeurs océaniques jusqu’en surface. Les écosystèmes marins, de leurs fonctions et interconnexions  sont encore largement méconnus dans de grandes parties de la colonne d’eau, et le manque d’informations précises sur les méthodes et techniques d’extraction, ne permettent pas une évaluation éclairée de leurs impacts. C'est ce qui est au cœur du développement de ce code minier et de la définition des actions de suivi à moyen et long terme de ces activités.

Nauru, un des pays signataires de l’UNCLOS et siégeant à l'AIFM, a sollicité un permis d’exploitation minière en 2024 bénéficiant à The Metals Company. Des tests d’extraction ont été réalisés, et 1 200 tonnes de nodules ont été traitées au japon par The Metals Company pour démontrer la faisabilité de cette extraction minière. En parallèle, cette société a réalisé une campagne de lobbying auprès de l’administration Trump, ciblant en particulier le Pentagone, en faveur de l’extraction de ces ressources dans des objectifs stratégiques. 

Le 24 avril 2025, Donald Trump a signé l’ordre exécutif au titre flamboyant « Déchaîner les minéraux et ressources critiques », donnant le feu vert à ces opérations minières dans l'océan profond. The Metals Company est en tête de course pour passer à une exploitation commerciale, et s’affranchir des conventions internationales et de l’AIFM.

Cette extraction semble nécessaire pour la transition énergétique, mais peut-elle assurer l’indépendance des pays exploitants ? Plusieurs obstacles sont à franchir - principalement liés à la viabilité économique, dépendant des cours des matières premières. Le modèle économique repose sur des hypothèses d’opération et d'extraction optimistes, si on considère l’hostilité de l’environnement à 5 090 m sous l’eau. La fiabilité des engins et systèmes d’extraction n’est pas vérifiée dans la durée pour des opérations en continu et à long terme. Par ailleurs, ces nodules sont très radioactifs et pourraient nécessiter des mesures de radioprotection adaptées pour l’extraction, le traitement et la gestion de résidus. Cela a un coût économique,  qui peut être important, pour le moment absent du plan économique de The Metals Company. Le marché des batteries et autres technologies évolue aussi à très court terme, priorisant des ressources plus accessibles, et pouvant diminuer la dépendance à ces ressources. Certaines compagnies ont émis aussi un engagement à ne pas utiliser les ressources minières océaniques (BMW, Volvo, Samsung…). Ces ressources n’arriveront par ailleurs pas immédiatement, car le passage à une exploitation de grande échelle implique l'affrètement de navires et robots d’extraction, sur plusieurs années, voire décennies.

Peut-on se reposer sur des compagnies privées pour l'extraction de ces minerais ? Est-on prêt à accepter des impacts environnementaux inconnus en autorisant cette extraction à une échelle industrielle ? Ces questions dépassent le domaine scientifique. Une telle décision reposera donc sur des critères économiques, stratégiques, et aussi de choix de société. Cette extraction et son impact environnemental inconnu pour fabriquer un SUV (Sport utility vehicle) de 3 tonnes pour un usage privé sont-ils acceptables ? 

En mai 2025, une étude avance qu’on a visité et exploré visuellement moins de 4 000 km2 de l'océan profond, soit moins de 0.001% des fonds océaniques à plus de 200 m, lors d’environ 40 000 plongées de sous-marins et robots autonomes et télé-opérées sur plusieurs décennies. Cette surface représente moins d’un tiers de celle de l’Ile de France. La connaissance des fonds océaniques et de leurs écosystèmes, est donc balbutiante : des décennies d’explorations sont encore devant nous pour comprendre l'océan. Dans l'immédiat, la science ne permettra donc pas d'éclairer toutes ces questions.