[#Décryptage] Arsenalisation de l’espace : quelles armes, quelles menaces, quel droit ?

Par Katia Coutant, chercheuse associée à la chaire Espace de l’ENS-PSL

Créé le
27 août 2025

L’humanité a longtemps connu deux terrains de conflictualité : la terre et la mer. L’air est venu s’y ajouter au début du XXe siècle ; cent ans plus tard est venu le temps du cyber… mais quid de l’espace ? Si les affrontements armés entre vaisseaux spatiaux relèvent encore de la science-fiction, l’arsenalisation de l’espace est déjà en cours. Mais de quoi parle-t-on exactement quand on emploie cette expression de plus en plus en vogue ?

Satellite espace

À première vue, on pourrait définir l’arsenalisation de l’espace comme l’ensemble des technologies, des activités et des capacités qui visent à permettre le combat et les actions offensives dans l’espace extra-atmosphérique, par exemple à travers le placement d’armes en orbite.

Pourtant, le terme et son champ exact restent sujets à débat, et l’expression de « course à l’armement dans l’espace » pourrait lui être préférée.

« Arsenalisation » ou « militarisation » ?

L’usage croissant de l’expression « arsenalisation » reflète la conception grandissante de l’espace extra-atmosphérique comme étant un terrain de conflictualité. La définition même de l’arsenalisation est débattue, et soulève l’enjeu de la distinction entre l’arsenalisation et la militarisation de l’espace.

La militarisation couvrirait l’utilisation des moyens spatiaux en soutien à des opérations militaires et aurait ainsi un objet différent de l’arsenalisation. Prenons des exemples : un satellite d’observation utilisé pour surveiller des mouvements de troupes au sol relève a minima de la militarisation. Un dispositif en orbite capable de détruire un satellite adverse, au moyen d’un laser ou d’un missile, relève à coup sûr de l’arsenalisation.

Le groupe d’experts gouvernementaux chargé d’étudier de nouvelles mesures concrètes de prévention d’une course aux armements dans l’espace, rattaché à l’Organisation des Nations unies (ONU), prend en compte toutes les menaces liées aux infrastructures spatiales, y compris les vecteurs « Terre-espace, espace-Terre, espace-espace, et Terre-Terre ». Cette conception large permet de mieux identifier les risques liés à la prolifération d’armes en lien avec le secteur spatial, sans se limiter au piège de la cible géographique parfois associé à l’arsenalisation.

Quelles sont les menaces existantes ?

Il existe différents types de systèmes ou armes ciblant les infrastructures spatiales. Les tests antisatellitaires à ascension directe, dont la légalité est questionnée à l’ONU actuellement, consistent en la capacité pour un État de tirer sur ses propres satellites depuis la Terre.

Si, jusqu’ici, les tirs réalisés par les États ont consisté en des tests sur leurs propres satellites, ces tirs soulèvent toutefois le problème de la création de débris et des risques de collision de ceux-ci avec des satellites, et prouvent que ces États sont capables de viser (et d’atteindre) un satellite ennemi.

La question « Existe-t-il des armes positionnées dans l’espace qui pourraient viser la Terre ? » est souvent posée. Bien que ce soit en théorie envisageable, en pratique, les États n’ont pas recours à ce type de projets.

Les coûts de développement et de maintenance ainsi qu’une efficacité questionnable expliquent la préférence pour les techniques terrestres.

Surtout, de nombreuses technologies duales – c’est-à-dire d’utilisation civile et militaire – existent. Un satellite d’observation peut aussi bien servir à surveiller la déforestation qu’à repérer des infrastructures militaires. Ce flou complique considérablement la mise en place de règles claires.

Si l’on se limite aux technologies visant des cibles dans l’espace depuis l’espace, quelques exemples d’armes existent.

Déjà, en 1962, les États-Unis ont mené un essai d’explosion nucléaire dans l’espace, appelé Starfish Prime. Il a rendu inopérables de nombreux satellites, et les États ont par la suite décidé d’interdire les essais d’armes nucléaires dans l’espace. À ce jour, il n’y a donc pas d’armes nucléaires dans l’espace.

Au-delà des armes nucléaires, différentes technologies ont été essayées. Du côté soviétique, dès les années 1970, la station Almaz avait expérimenté l’installation d’un canon en orbite sur un satellite. Puis, en 2018, un satellite russe a été repéré très près d’un satellite franco-italien. Cette technologie, dite satellite « butineur », peut interférer avec le fonctionnement de la cible.

En réponse à cette situation, la France développe le système Laser Toutatis qui vise à équiper des satellites de défense d’un laser capable de neutraliser tout objet suspect qui s’en approcherait.

Guerre et paix dans l’espace

Cette présence d’armes confirme que l’espace est un lieu de conflictualité. Pourtant, dès 1967, grâce au Traité de l’espace, le principe de l’utilisation pacifique de l’espace a été acté.

Cette expression ne signifie pas que les armes sont illégales dans l’espace : leur présence n’est pas interdite tant qu’elles ne sont pas utilisées. Une nuance : en vertu de ce traité, si l’espace extra-atmosphérique peut accueillir certaines armes, les corps célestes, eux, demeurent entièrement exempts de toute arme, quelle qu’en soit la nature.

Ainsi, si l’on se limite à l’orbite autour de la Terre, l’arsenalisation est (pour l’instant) permise sauf pour les armes nucléaires et de destruction massive. Cela ne veut pas pour autant dire que le recours à la force armée est autorisé dans l’espace.

La Charte des Nations unies, également applicable dans l’espace, interdit le recours à la force ; en revanche est permise la légitime défense. C’est la raison pour laquelle les acteurs présentent leurs nouvelles technologies sous le nom de « technologie de défense active ».

Des initiatives visant à encadrer davantage ces pratiques existent, et des négociations sont en cours dans le cadre de la Conférence du désarmement à Genève.


La série « L’envers des mots » est réalisée avec le soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture.The Conversation

Katia Coutant, chercheuse associée à la chaire Espace de l’ENS-PSL, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.