BleuAtlantiC, une « expédition scientifique mêlant aventure, science et engagement en faveur de l’environnement »

Rencontre avec l’association normalienne BleuAtlantiC

Créé le
21 octobre 2025
Prenez cinq élèves de l’ENS en biologie, chimie et physique, un voilier en partance pour la Guadeloupe et des mangroves : vous obtenez une « expédition scientifique mêlant aventure, science et engagement en faveur de l’environnement ». Avant la sortie prochaine de leur documentaire, nous avons rencontré Gabin Chateau, Lou Giovannini, Margot Leturcq, Orane Pion-Piola et Arthus Serani pour évoquer ce projet qu’ils ont réalisé l’année dernière. À quoi servent les mangroves ? Comment fait-on une traversée en direction de la Guadeloupe quand on n’a jamais navigué ? Réponses dans cet article. 
BleuAtlantiC
De gauche à droite et de haut en bas : Gabin Chateau, Arthus Serani, Lou Giovannini, Orane Pion-Piola et Margot Leturcq

BleuAtlantiC, un « projet ambitieux en dehors des sentiers battus »

Dès leur arrivée à l’ENS, Margot, Lou, Arthus, Orane et Gabin constatent « l’immense liberté » qu’offre l’ENS dans le choix et la construction des parcours des élèves. Saisissant cette chance, ils imaginent alors en octobre 2023 un « projet ambitieux en dehors des sentiers battus ». En croisant envies et contraintes, ils se mettent d’accord sur l’étude des mangroves, « ces écosystèmes fascinants qui sont notamment d’importants puits de carbone ».

Pourquoi les mangroves en particulier ? Les cinq élèves insistent sur le rôle essentiel de ces dernières : « les forêts de mangroves jouent un rôle essentiel dans la limitation du réchauffement climatique car il s’agit d’énormes puits de carbone, une forêt de mangroves pouvant stocker jusqu’à cinq fois plus de carbone qu’une forêt tropicale de même superficie ». Autre rôle, et pas des moindres, elles protègent nos littoraux contre l’érosion et la force des vagues tout en constituant de véritables nurseries  pour de nombreuses espèces animales telles que les poissons, les crabes ou les moules. Le choix de ce sujet est d’autant plus important et urgent car la « mangrove continue de disparaître sous la pression de l’urbanisation et de la pollution ». Elle est par exemple rasée pour laisser place à de nouveaux bâtiments ou infrastructures.

Le projet prend vraiment forme en janvier 2024 quand ils créent leur association. Le compte à rebours est lancé : il leur reste alors un an pour préciser le sujet et le site d’étude, contacter les chercheurs et établir les protocoles en dialoguant avec eux, trouver les financements, un moyen de transport et un logement en Guadeloupe ainsi que toutes les étapes de communication. « Galvanisés par leur objectif », ils mènent de front ces préparatifs ainsi que leurs masters et stages respectifs. 
Sur l’aspect scientifique, Margot, Lou, Arthus, Orane et Gabin construisent leur projet de manière indépendante tout en bénéficiant du soutien de nombreux chercheurs français, dont certains du département de géosciences de l’ENS, mais aussi internationaux.

Dans la préparation de cette expédition, un sujet central demeure : le déplacement. Après avoir participé à deux salons dédiés à l’environnement et à la navigation à La Rochelle, BleuAtlantiC se rapproche de l’association Unu Mondo, aux valeurs et objectifs communs aux leurs. Les deux associations s’engagent pour la traversée en voilier sur le NorthAbout et les actions de médiation scientifique auprès des enfants et du grand public en Guadeloupe.

À la vue du compte Instagram de BleuAtlantiC, une question nous taraude : comment fait-on pour traverser l’Atlantique quand on n’a jamais navigué « plus d’une journée » dans sa vie ? Pour se préparer à ce voyage de vingt-deux jours en mer, Margot, Lou, Arthus, Orane et Gabin ont d’abord effectué une formation de sécurité à bord mais ont surtout « tout appris sur le tas ». Pour la navigation en elle-même, ils ont été accompagnés par deux marins et Tobias Carter, leur capitaine, qui a fait « preuve de beaucoup de patience et de pédagogie ». Une fois les rudiments de navigation acquis, ils ont été à même d’assurer leurs quarts de navigation quotidiens de manière indépendante. 

Vingt-deux jours de navigation pour aller étudier les mangroves guadeloupéennes

Le périple vers la Guadeloupe a commencé par un voyage en train et bus depuis la France pour rejoindre Lisbonne où le voilier d’Unu Mondo était amarré. Leur première expérience en mer a alors débuté par une traversée vers les îles Canaries, « éprouvante tant à cause de la fatigue liée à la navigation que du mal de mer provoqué par le roulis du bateau ». Ils passent vingt-deux jours « riches en émotions », rythmés par la « visite régulière de dauphins venant nager dans le sillage » de leur bateau, les « superbes » couchers de soleil mais aussi une mer agitée et une vie qui s’écoule lentement malgré les jeux de société, la pêche et les bons repas.

                                                                                 L'équipe de BleuAtlantiC sur le NorthAbout


Sur place, leur campagne scientifique s’est bien déroulée, leur permettant de mettre en œuvre l’ensemble des protocoles qu’ils avaient prévus. Ils ont ainsi mené trois études en parallèle (en biologie, physique et chimie) visant à étudier la réponse et la potentielle adaptation des mangroves à la montée des eaux. Sur le terrain, il s’agissait de relever de façon régulière les paramètres caractérisant le sol (la salinité, le pH ou encore la concentration en oxygène) tout en menant les protocoles associés à chaque étude : ils ont donc laissé de la litière organique (des feuilles mortes de palétuvier) se décomposer pendant plusieurs mois, mesuré diverses caractéristiques physiologiques des palétuviers et extrait des carottes (longs cylindres de terre) du sol pour apporter des éléments de réponse à leurs problématiques.
Leurs résultats, « encourageants et cohérents », sont encore en cours de traitement : il leur reste la phase d’analyse.

Les ateliers pédagogiques menés en collaboration avec l’association Unu Mondo ont été une « véritable réussite » : ils ont par exemple organisé un atelier appelé “apprentis scientifiques” qui a fait découvrir aux élèves la fonte des glaces et le réchauffement de la mer. Les élèves ont été « particulièrement intéressés, investis et sensibilisés » à l’impact de la montée des eaux sur les mangroves, un écosystème qui leur est familier. 

Et après ?

Après un retour en avion, « montrant les limites de la décarbonation d’un projet de recherche sur le terrain : le temps étant souvent un facteur limitant pour les chercheurs lorsque la question du mode de transport se pose », il s’agit désormais d’analyser les résultats et de rédiger un rapport. Ce dernier se scinde en différents chapitres, certains interdisciplinaires et d’autres plus spécifiques. Ils espèrent pouvoir publier la majorité d’entre eux en décembre 2025.

Margot, Lou, Arthus, Orane et Gabin se sont aussi engagés dans la réalisation d’un documentaire sur leur expédition : l’avant-première se déroulera à l’ENS courant décembre 2025 ou début 2026. Ils préparent également un événement au sein de l’université PSL pour réunir « les étudiantes et étudiants souhaitant se lancer dans une initiative étudiante engagée pour l’environnement » comme la leur.

Avant de partir, nous demandons à l’équipe s’il est possible, depuis la métropole, de protéger les mangroves. Leur réponse fuse : cela commence par le fait d’en « parler ! ». Ils ajoutent : « sensibiliser son entourage à l’importance des mangroves est déjà une première étape. On peut également soutenir les associations qui œuvrent pour leur protection, ou encore réduire notre empreinte carbone pour limiter le réchauffement climatique qui les menace ».


À propos de l’équipe

Gabin Chateau (S 2022)

Gabin est en deuxième année du master ICFP du département de physique de l’ENS. « Peu sensibilisé aux questions environnementales avant d’intégrer les classes préparatoires à Paris », cette expérience lui a permis de comprendre « à quel point les écosystèmes naturels sont menacés par les conséquences du dérèglement climatique et à quel point il est donc important de les étudier pour mieux les protéger ». Après l’ENS, il souhaite soit se diriger vers une carrière académique au travers d’une thèse en physique fondamentale, soit s’orienter vers un parcours en lien avec les politiques publiques directement liées aux enjeux environnementaux.

Lou Giovannini (S 2022)

Lou est en master 2 au département de biologie de l’ENS. Sa « formation lui ayant apporté des arguments rationnels pour justifier son désir d’enfant de préserver le vivant et la planète », le projet BleuAtlantiC lui a permis de confirmer son désir de se lancer dans la recherche. Après l’ENS, elle souhaiterait donc s’orienter vers un doctorat lui permettant de garder une part de travail sur le terrain. Elle se verrait travailler sur des sujets autour de l’écologie, et plutôt animale : si elle a « adoré les mangroves », elle ne pouvait cependant s’empêcher « de [s]e poser des questions sur les crabes plutôt que sur les arbres ».

Margot Leturcq (S 2022)

Margot est en master 2 de chimie à PSL, au sein du parcours « Chimie et sciences du vivant ». Elle a « toujours été attentive aux questions écologiques et cette sensibilité s’est peu à peu transformée en véritable engagement », que ce soit à titre individuel ou collectivement par sa volonté de sensibiliser à cette cause. Le projet BleuAtlantiC lui a permis de trouver un équilibre entre le travail expérimental et la réflexion scientifique, lui donnant « encore plus de plaisir à faire de la recherche ». Après l’ENS, elle souhaiterait se diriger vers une thèse à l’interface de la chimie et de l’écologie.

Orane Pion-Piola (S 2022)

Orane est actuellement en master 2 de bactériologie à la Sorbonne. Elle a toujours été sensible aux enjeux écologiques car ils constituent « aujourd’hui un sujet omniprésent et intégré aux enseignements dès le collège ». Le projet BleuAtlantiC a eu davantage un impact sur « [s]on mode de vie que sur [s]on orientation puisqu’[elle] [s]e destine toujours à la microbiologie et à la recherche médicale ». Par la suite, après sa thèse en bactériologie, elle se verrait profiter de ses post-doctorats pour étudier à l’étranger et découvrir d’autres cultures. Si elle est très attirée par le métier de chercheur, elle ne se ferme pas non plus la porte à l’enseignement ou à la recherche appliquée dans le domaine biomédical.

Arthus Serani (S 2022)

Arthus est en dernière année du parcours « matière condensée » du master ICFP de l’ENS. « Sensibilisé à l’écologie au lycée via plusieurs événements organisés par [s]es professeurs », le projet BleuAtlantiC lui a permis d’approfondir certains sujets comme la « mobilité, mais aussi toute la mobilisation associative autour de l’environnement, de la médiation scientifique jusqu’aux actions directes de conservation ». Après l’ENS, il souhaiterait poursuivre par une thèse en physique dont l’objectif serait de pouvoir faire de la recherche fondamentale en traitant de sujets connexes aux thématiques environnementales.