« La Chaire Street ART(s) de l'ENS s’intéresse à tout ce qui fait du street art une expression majeure de notre temps et à toutes les formes des arts urbains contemporains. »

Entretien avec Antoine de Baecque et Charlotte Guichard

Créé le
13 octobre 2025
Le 15 octobre 2025, une Chaire Street ART(s) sera lancée et inaugurée à l’ENS.  Cette nouvelle chaire, accueillie par le département ARTS de l’ENS, est consacrée à l’étude des pratiques, de l’histoire et des enjeux contemporains du Street Art. Elle bénéficie du mécénat du Fonds Renault pour l’Art et la Culture. 
Cette initiative inédite ouvre un partenariat de quatre ans qui permettra à l’ENS-PSL et à sa Fondation de développer un programme scientifique et culturel innovant, grâce auquel l’École « se tourne vers le dernier des arts du XXe siècle, art rebelle, art ultra contemporain, qui forge de nouvelles voies de légitimation. »
Entretien avec Charlotte Guichard, professeure d’histoire de l’art moderne et Antoine de Baecque, professeur en études cinématographiques, directrice et directeur de la Chaire Street ART(s).
Graffiti JAy One street ARTS
Illustration par JayOne pour l'inauguration de la Chaire Street ART(s)

Quelle est l’origine et l’ambition de la Chaire Street ART(s) ? 
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : Le Fonds Renault pour l’Art et la Culture a construit une collection d’art contemporain depuis les années 1970, reprenant une collection Renault ancienne, datant des années 1930. Récemment, la collection s’est renouvelée en s’intéressant beaucoup au Street art. C’est dans ce contexte que le Fonds Renault pour l’Art et la Culture s’est rapproché de l’ENS pour la création d’une Chaire spécifique. Le département ARTS a naturellement répondu à ce partenariat en accueillant cette Chaire et en lui donnant ses forces et ses spécificités. Nous sommes un département pluri-disciplinaire et l’idée de plonger le Street art dans toutes ses dimensions possibles nous a guidés : il faut donc l’entendre comme l’effervescence des arts urbains, dans l’histoire et aujourd’hui. Le « street art », en ce sens, c’est aussi bien le théâtre de rue, les danses et musiques urbaines, le film sur la ville, que le graffiti comme forme d’art. Cette Chaire Street ART(s) s’intéresse ainsi à tout ce qui fait du street art une expression majeure de notre temps et à toutes les formes des arts urbains contemporains.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette idée ? 
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : Une forme de paradoxe, bien sûr, qui nous semble très stimulant : une ancienne institution légitime, une école de recherche d’excellence, l’ENS, se tourne vers le dernier des arts, art rebelle, art ultra contemporain, qui forge de nouvelles voies de légitimation. Cette fusion des contraires est une chance pour l’ENS comme pour le Street art.

Comment fonctionne cette Chaire Street ART(s) ? Quelles seront ses principales activités ?
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : Le Fonds Renault pour l’Art et la Culture finance cette Chaire sur quatre ans, ce qui permet la mise en place d’un vrai programme de recherches, d’enseignements, de partage et valorisation à travers des manifestations nombreuses. Nous co-dirigeons la Chaire, Charlotte Guichard et moi-même, pourvue d’un Comité scientifique et artistique indépendant de Renault. Nous avons déjà pu recruter une coordinatrice de la Chaire, Eline Grignard. L’objectif est d’engager trois post-doctorant.e.s (16 mois), qui piloteront les « Festivals » et les colloques de la Chaire (en 2027, 2028 et 2029), ainsi qu’un contrat doctoral (3 ans) pour une recherche de thèse sur une des dimensions du Street art. Nous imaginons également deux résidences artistiques (6 mois) pour permettre à des artistes des activités de création et d’enseignement auprès de nos étudiant.e.s. La Chaire se dotera cette première année d’un site internet et génère dès maintenant un module d’enseignements spécifiques, pour le moment de huit cours, ateliers, séminaires, aux S1 et S2, bien sûr ouverts à tou.te.s les normaliens et normaliennes.

Deux exemples d’enseignement proposés cette année ? 
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : Un cours spécifique : « Graffitis : histoires d’art urbain » et un « atelier de création documentaire : filmer la zone ». Le premier est un cours de Charlotte Guichard, qui réinscrit l’art du graffiti dans son histoire récente, depuis les années 80, mais aussi dans son histoire longue, avant que l’invention du patrimoine et le développement de la gouvernance urbaine ne disqualifient le graffiti comme vandalisme au XIXe siècle. Le cours vise aussi à interroger l’histoire de l’art depuis le graffiti en proposant de nouvelles généalogies artistiques, plus inattendues. Le deuxième est un atelier animé par le cinéaste et documentariste Dominique Marchais, faisant travailler des normalien.ne.s sur les espaces périphériques, en l’occurrence ceux de l’est parisien, en se questionnant sur les métamorphoses et les perdurances de cette « zone » à l’échelle du Grand Paris, pour mieux pouvoir les filmer.

Selon vous, comment le Street art a bouleversé l’art contemporain ? 
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : L’art urbain, et en particulier l’art du graffiti, pourrait bien être la dernière des avant-gardes du XXe siècle. En faisant de la rue leur atelier et leur terrain de jeu, les artistes ont proposé un art pour tous et toutes, hors des lieux artistiques classiques et plus intimidants, comme le musée ou la galerie. En posant un regard nouveau, critique ou ludique, sur la ville et ses mutations, le Street Art a mis sur le devant de la scène une contre-culture, celle d’une jeunesse souvent protestataire, et fait advenir une nouvelle génération d’artistes, qui avait un accès moindre aux institutions traditionnelles de l’art contemporain et qui ont proposé de nouvelles alliances fécondes entre arts visuels, danse et musique dont nous sommes les héritiers aujourd’hui.

Quel regard portez-vous sur les évolutions du Street art aujourd’hui ?
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : Le Street Art est aujourd’hui une composante majeure de l’art contemporain. Il est présent dans les institutions classiques et historiques de l’art (musées, écoles d’art, galeries) et il est devenu un élément central des cultures urbaines, pénétrant même les mondes du luxe, de la mode et du design friands de son savoir-faire et de sa stylisation du nom et de la marque. Mais d’autres formes d’art urbain continuent à se réapproprier en liberté les espaces urbains en marge, les friches, à faire entendre des voix dissidentes, et singulières. Le Street Art est un mouvement artistique très dynamique, polyphonique, emblématique des questions sociales et politiques qui traversent notre temps.

La Chaire Street ART(s) est inaugurée le 15 octobre par une soirée spéciale. Comment l’avez-vous imaginée ? 
Antoine de Baecque et Charlotte Guichard : D’abord avec l’aide d’un des experts de notre Comité scientifique et artistique, Hugo Vitrani, curateur au Palais de Tokyo. Ensuite en confiant la direction artistique de la soirée à JayOne, l’un des street artiste pionnier et majeur dans le paysage urbain parisien. Ce fut un grand plaisir et un moment passionnant de travailler ainsi avec JayOne. Ce sera une sorte de Block Party, si vous voulez, où nous recherchons à marier la déambulation de rue, derrière saxophone et danseurs, au ciné-concert jazz, puis au DJ set musical et festif. Mais l’on pourra aussi voir des œuvres, des images, accrochées, exposées, projetées, et écouter les discours qui visent à donner leur légitimité à ces arts comme à cette Chaire Street ART(s).

Antoine de Baecque, professeur en études cinématographiques et Charlotte Guichard, professeure d’histoire de l’art moderne, directeur et directrice de la Chaire Street ART(s) de l'ENS.