« Les fossiles ont beaucoup de choses à nous apprendre sur l’actuelle crise de la biodiversité »

Rencontre avec Joëlle Barido-Sottani, lauréate ERC Starting Grant

Créé le
4 novembre 2025
Spécialiste de biologie évolutive et de biologie computationnelle et chargée de recherche CNRS à l’Institut de biologie de l’ENS (IBENS), Joëlle Barido-Sottani vient d’obtenir une ERC Starting Grant pour son projet MORPHOFBD, à la croisée de l’informatique et de la paléontologie. 
L’objectif ? Développer de nouveaux outils mathématiques pour mieux intégrer les espèces fossiles dans les arbres de l’évolution. En croisant données génétiques actuelles et informations morphologiques anciennes, ses travaux visent à affiner notre compréhension des dynamiques de diversification et d’extinction — un enjeu crucial à l’heure où la biodiversité est en péril.
Joëlle Barido-Sottani
Joëlle Barido-Sottani

Vous avez obtenu l’ERC Starting Grant pour votre projet de recherche MORPHOFBD (Using morphological information to accurately date phylogenies and understand past diversification dynamics) mené au sein de l’IBENS. Quels en sont les enjeux ?

Joëlle Barido-Sottani : Mon projet porte sur l'étude de l'évolution, plus précisément sur la manière dont nous pouvons utiliser les fossiles pour étudier les phénomènes passés. Les espèces fossiles fournissent des informations essentielles pour dater l’émergence des grandes familles d’espèces actuelles, et pour comprendre les facteurs qui influencent l’extinction des espèces. 
Cependant, rassembler les espèces fossiles et les espèces vivantes dans une même étude présente de nombreux défis, car les données disponibles sont très différentes des unes des autres. Par exemple, les espèces vivantes sont caractérisées par leur séquence génétique, contrairement aux espèces fossiles qui ne sont connues que par leur morphologie. 
Le projet MORPHOFBD, pour lequel j’ai obtenu cette ERC, vise à développer de nouvelles méthodes mathématiques et informatiques pour obtenir une compréhension plus fine des espèces fossiles et mieux les intégrer dans les études de la diversification. Nous cherchons, entre autres, à créer une meilleure représentation du processus par lequel une « espèce » est définie par les paléontologues à partir des fossiles disponibles. Le but du projet est donc de créer des outils qui pourront être utilisés par d'autres chercheuses et chercheurs afin d’obtenir des résultats plus précis et ainsi faire un meilleur usage des nombreux fossiles qui ont été collectés depuis plusieurs siècles. 
Les méthodes issues du projet MORPHOFBD seront mises à disposition de la communauté des chercheurs, qui pourra donc les utiliser sur de nombreux jeux de données, allant des planctons jusqu’aux mammifères.

À l’heure où la biodiversité est en chute libre, en quoi une meilleure compréhension de l’évolution des espèces peut-elle nous aider à mieux appréhender le vivant ?

Joëlle Barido-Sottani : Je pense que les fossiles ont beaucoup de choses à nous apprendre sur l’actuelle crise de la biodiversité. D'abord, leur existence nous rappelle que la biodiversité n'est pas permanente et ne devrait pas être tenue pour acquise. De nombreuses espèces qui ont été dominantes à une époque se sont éteintes par la suite, et il n'est pas absurde d'imaginer que la même chose puisse se produire pour notre espèce ou celles dont nous dépendons. 
Ensuite, l'étude des extinctions passées, et notamment celle des extinctions de masse, peut nous en apprendre beaucoup sur le processus d'extinction qui est en cours. Par exemple, une partie de ma recherche porte sur l'identification des facteurs qui influencent le risque d'extinction de différentes espèces, ce qui peut nous permettre de prédire quelles espèces sont le plus à risque aujourd'hui. En général, l'étude de l'évolution est indispensable pour comprendre comment les espèces vivantes réagissent aux changements environnementaux, et orienter les politiques de préservation de la biodiversité.

Que représente pour vous cette ERC, et que va-t-elle vous permettre ?

Joëlle Barido-Sottani : D'abord, cette ERC est très gratifiante, puisqu'elle signifie que mon sujet de recherche a été jugé favorablement par la communauté scientifique. Comme mes travaux se focalisent sur le développement d'outils, il est extrêmement important de confirmer que ceux-ci sont utiles et voulus par les autres chercheurs ! Ensuite, cette bourse va me permettre d'embaucher ma propre équipe, ce qui est à la fois très excitant et un tout nouveau défi. Grâce à ce projet, je vais pouvoir développer de nouvelles compétences en tant que chercheuse, mais aussi comme encadrante d’autres scientifiques.

Et qu’aimeriez-vous dire à une ou un jeune chercheur qui hésiterait à répondre à un tel appel à projets ? 

Joëlle Barido-Sottani Mon conseil pour se lancer dans une demande de bourse importante comme celle-ci est de commencer à y réfléchir à l'avance, et de s'appuyer sur ses collaborateurs. Personnellement, j'ai commencé à construire mon projet une bonne année avant de le soumettre. Au cours de cette période, j'en ai régulièrement discuté avec mes collègues, ce qui m'a permis de travailler sur la présentation du projet et d'identifier des faiblesses potentielles ou des idées moins convaincantes. Outre l’obtention de la bourse, se lancer dans ce type de démarche est toujours enrichissant pour ce travail de réflexion et de clarification des objectifs. 

 

À propos de Joëlle Barido-Sottani

« Les ordinateurs me passionnent depuis que je suis enfant et mes deux parents sont ingénieurs, il était donc assez naturel pour moi de me diriger dans cette voie », explique Joëlle Barido-Sottani, aujourd’hui chargée de recherche CNRS à l’Institut de biologie de l’ENS-PSL (IBENS). Après son baccalauréat, elle intègre une classe préparatoire pour étudier l’informatique au Lycée Kléber à Strasbourg. « Très vite », Joëlle Barido-Sottani décide de s’orienter vers le développement de logiciels. À l'École polytechnique, son parcours s’affine : elle découvre avec enthousiasme la biologie computationnelle, qui conjugue son intérêt pour la programmation et le monde du vivant. Elle poursuit dans ce domaine avec un master, puis une thèse à l’ETH Zurich, en Suisse. Diplôme en poche, elle effectue trois ans en tant que post-doctorante à l’Université d’Iowa aux États-Unis. 
De retour en France en 2021, elle rejoint l’École normale supérieure pour un contrat postdoctoral avant de devenir chargée de recherche CNRS en 2024.  « Contrairement à ce que mon parcours peut laisser penser, mon choix de m’orienter dans la recherche ne s’est pas fait immédiatement », confie Joëlle Barido-Sottani. « À la fin de mes études, j’ai beaucoup hésité sur la direction à prendre », indique-t-elle. Et si la scientifique apprécie l’autonomie et la flexibilité de la recherche, elle admet cependant avoir parfois envisagé le secteur de l’industrie. En cause ? L’instabilité de l’emploi. « Mais aujourd’hui, j’ai un poste permanent au CNRS, et j’en suis très heureuse », conclut-elle.