« Mes voyages et mes études répondent au besoin d'aiguiser mon esprit critique et d’être utile à la société »

À l’automne dernier, Francesco Zambonin recevait la médaille d’argent des Trophées des étudiants ambassadeurs d’Île-de-France (1) pour Archipel, un journal de voyage bilingue )témoignage d’un parcours autant que d’une manière d’être au monde. Découvrant ce carnet, nous avons voulu en savoir plus sur le cursus et les pérégrinations d’un jeune diplômé en histoire (2022) désormais doctorant, à qui les voyages ont appris à être flexible, reconnaissant et responsable, à relativiser aussi, sans perdre de vue les vérités.

Francesco Zambonin

« Voyager m’a appris à être flexible, respectueux, reconnaissant et responsable. Dans mes études, cela s’est traduit dans la capacité de gérer les imprévus de la recherche, de chercher le dialogue entre positions divergentes, de travailler en équipe et de fusionner les méthodes. Voyager m’a en somme appris à relativiser sans perdre de vue la véracité ».

De Padoue à l’ENS par la voie de la sélection internationale

Originaire de Padoue, une ville du Nord-Est de l’Italie, entre la côte adriatique et les coteaux alpins, Francesco Zambonin a construit son parcours autour de trois passions : l’histoire, les sciences sociales et les voyages, qu’il découvre alors élève au liceo classico Tito Livio, où il apprend le latin et le grec ancien. En seconde, il part faire un séjour d’études estivales en Nouvelle-Zélande, l’occasion pour Francesco « d’une première ouverture vers des horizons moins ordinaires. » Le début d’une impétueuse envie de voir le monde qui ne le quittera plus.

Après le lycée, Francesco intègre la prestigieuse Scuola Galileiana. Dans cette grande école inspirée par le modèle de l’ENS, il suit des séminaires de droit, d’économie et de sociologie, en plus des cours fondamentaux d’histoire à l’Université de Padoue.
Pendant sa licence, il profite des possibilités de mobilité offertes en Italie et à l’étranger. En deuxième année, il effectue ainsi un échange de quelques mois à l’École normale de Pise, suivi d’un stage à l’Université d’Oxford, où il contribue à l’Early Modern Letters Online, un projet de numérisation d’échanges épistolaires. Grâce au programme Erasmus, Francesco part étudier en troisième année à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (aujourd’hui l’Université Gustave Eiffel) et rédige son mémoire de licence sur un corps de police de la République de Venise.

C’est lors de ce séjour en Île-de-France qu’il découvre l’ENS-PSL : « j’ai suivi des cours au département d’histoire de l'École, qui ont été pour moi l’occasion de nouer de solides amitiés », se souvient l’étudiant. « Elles m’ont fait comprendre qu’à l’ENS se trouvait un terrain fertile pour m’épanouir professionnellement et aussi personnellement. », ajoute-t-il. « Et grâce aux conseils de mes professeurs à l’École, j’ai découvert de manière étonnante que des valeurs pourtant en contradiction se concilient dans cet établissement : la formalité et la familiarité, la tradition et l’innovation, la quiétude et le dynamisme. » L’avis de son grand-père, professeur en philosophie et « grand admirateur du monde académique français », a également beaucoup pesé. « Jusqu’à sa mort l’an dernier, il est resté très fier de “son normalien” », se rappelle Francesco.

L’étudiant décide de passer le concours de la sélection internationale et de candidater aussi à un Master de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. « J’ai été accepté aux deux, et après un temps d’hésitation, j’ai décidé de rester à Paris. Je n’ai jamais regretté ce choix », indique Francesco. En 2019, il commence à étudier à l’ENS-PSL et en parallèle à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en Master d’Histoire moderne.

Un terrain propice à l'épanouissement

Dès sa première année à l’ENS, Francesco s’implique dans la vie associative de l’établissement. Il devient d’abord tuteur bénévole pour Talens, le programme de tutorat d’accompagnement lycéen de l’École normale : « une belle expérience où je me suis senti utile », résume-t-il. En deuxième année, il s’implique au sein du Programme des Étudiants Invités (PEI) de l’association MigrENS, afin d’aider des personnes en demande d’asile dans l’apprentissage de la langue française. Il est également bénévole pour la ligne anglophone de Nightline Paris, un service d’écoute soutenu par PSL et ses établissements. « Il était important pour moi de m’investir dans des activités où je pouvais aider les autres », explique Francesco.
L’étudiant contribue également à la Semaine de l’histoire et à la Semaine italienne, deux temps forts de la vie culturelle ENS. Programmation et coordination de tables-rondes, entretiens, projections et expositions : il aide dans bien des domaines.

En quête d’intégrité

Francesco s’épanouit rapidement dans sa vie à l’ENS et découvre les « nombreux points forts » de l’École : « les instruments de recherche, les opportunités d’ouverture à l’étranger, les possibilités de détente et le soutien de la communauté normalienne… », énumère-t-il avec enthousiasme. « J'ai appris à entreprendre sans arrogance, à être créatif dans les conventions, à questionner avec mesure et à poursuivre l’intégrité, mais de manière éclectique », ajoute-t-il. «L'École m’a également enseigné à élargir ma vision de la recherche et à la considérer comme un service à la communauté. »

« Ouvrez-vous à la différence, mais restez intègres. Osez, mais soyez toujours honnêtes et sincères. »

À celles et ceux qui souhaitent rejoindre comme lui la sélection internationale, Francesco est heureux de prodiguer quelques conseils : « L’ENS cherche des étudiants et des étudiantes qui puissent apporter du nouveau, sans renoncer à sa propre personnalité. Il faut savoir s’adapter à un nouveau sol tout en gardant les racines développées auparavant. Ouvrez-vous à la différence, mais restez intègres. Osez, mais soyez toujours honnêtes et sincères. »

Un nouveau partenariat international entre l’Inde et la France

Après son Master et un mémoire sur « le crime de faux dans la Venise du XVIIe siècle », Francesco décide de consacrer sa troisième année de scolarité à l’ENS-PSL à des expériences « éloignées de Paris », et le programme sera intense.

Au premier semestre 2022, étudiant du programme Erasmus, il part à la Freie Universität de Berlin. Il s’envole ensuite à l’Université de Columbia à New York, en tant que visiting student. L’été arrivé, il participe à un atelier organisé par l’École française de Rome, puis à un cours intensif de grec moderne à l’Université d’Athènes avant de s’engager pour six semaines dans un stage de recherche en Inde, à Pune, la grande ville du Maharashtra située à environ 150 kilomètres au sud-est de Bombay. Il sera le premier normalien à bénéficier du nouveau partenariat inter-ENS entre les École normales supérieures et les sept Indian Institute of Science Education and Research (IISER), un groupe d’institutions de formation et de recherche publiques de premier plan.

Célébrations de Ganesh Chaturthi à Gokhalenagar (Pune), 31 août 2022. Pendant la fête pour la naissance de Ganesh, la ville de Pune vit au rythme des tambours. © Francesco Zamboni
Célébrations de Ganesh Chaturthi à Gokhalenagar (Pune), 31 août 2022. Pendant la fête pour la naissance de Ganesh, la ville de Pune vit au rythme des tambours. © Francesco Zamboni

Un Sud très formateur

« Je suis parti car je voulais connaître le monde académique d’un pays en développement », explique-t-il. « Mais ce stage m’a apporté beaucoup plus : il m’a fait découvrir une ville en pleine ébullition, une culture fascinante et des personnes inoubliables », témoigne Francesco. Accompagné par M. Pushkar Sohoni, professeur d’histoire de l’art et de l’architecture, Francesco s’est rendu plusieurs fois dans les quartiers de Camp et de Kirkee pour visiter les nombreux monuments, les églises et les quelques synagogues. « Je me suis concentré sur les wadas, c’est-à-dire les hôtels particuliers bâtis à l’époque des Peshwa du XVIIe au XIXe siècle », raconte-t-il. « En m'interrogeant sur la fluidité de la frontière entre l’espace privé et l’espace public dans ces résidences, j’ai été amené à faire une étude comparative avec les palais vénitiens et l’usage des cours intérieures. »

Francesco s’est aussi plongé dans les archives de la ville, y découvrant les lettres envoyées par les administrateurs anglais aux juges de la région du Deccan, conquise au XIXe siècle. « Toutes les expériences de ce séjour m’ont permis de rassembler des connaissances sur le système judiciaire colonial, grâce auxquelles je vais pouvoir rédiger un article. Il a aussi été très formateur, et j’ai pu progressivement apprendre à surmonter les obstacles linguistiques, à négocier l’accès aux documents et à naviguer des archives particulièrement accidentées », ajoute l’étudiant, reconnaissant.

Un journal de voyage atypique récompensé

Quelques semaines après son retour en France, Francesco reçoit la médaille d’argent des Trophées des étudiants ambassadeurs de l’Île-de-France. Pour participer, les étudiants doivent effectuer une mobilité dans le cadre de leurs études, et candidater avant leur départ : « il y a une première sélection, où les meilleurs projets sont choisis pour être développés avec l’accompagnement d’experts », détaille Francesco. « À la fin de l’année, les réalisations sont évaluées par un deuxième jury qui décerne les prix », ajoute-t-il.

L’une des aquarelles d’Archipel. Domino Sugar Refineryl, une ancienne sucrerie sur les rives de l’East River à Williamsbourg (Brooklyn, NY) © Francesco Zambonin
L’une des aquarelles d’Archipel. Domino Sugar Refineryl, une ancienne sucrerie sur les rives de l’East River à Williamsbourg (Brooklyn, NY) © Francesco Zambonin

Son projet, intitulé sobrement Archipel, met l’Île-de-France au centre d’un microcosme fictif, composé des différentes villes et régions où le normalien a habité pendant son année de mobilité : Berlin, New York, Athènes et Pune. « J’ai choisi deux monuments pour chacune des quatre destinations étrangères et j’ai essayé de les comparer avec des sites patrimoniaux de la région parisienne », explique Francesco. « J’ai ainsi créé un guide qui fonctionne comme un livre bilingue dans lequel les images - à savoir les aquarelles que j’ai dessinées - prennent la place des mots », continue-t-il.
Un journal de voyage atypique, qui suggère des connexions sans décrire les destinations. « Il permet de s’évader avec l'imagination plutôt que de donner des informations précises. Il est fondé sur une expérience personnelle, mais il vise à inspirer les lecteurs, qu’ils soient étudiants ou pas, à rechercher l'aventure », indique Francesco. « Il invite à découvrir le monde entier, mais il met finalement en évidence la richesse et la variété des petits territoires. »

Des problématiques actuelles

Aujourd’hui, Francesco a commencé une thèse où, dans la continuité de son Master, il étudie la criminalisation du faux dans la République de Venise et les évolutions dans la manière de juger les procès pour faux témoignage et faux en écriture - par exemple les testaments, les contrats, les mariages, etc. -  aux XVIIe et XVIIIe siècles. « Au croisement entre l’histoire des institutions et l’histoire des idées juridiques, cette recherche qui part d’une analyse de la société vénitienne et de son droit répond à des questions d’intérêt actuel. Elle permet de réfléchir aux concepts de responsabilité et d’authenticité, de mieux comprendre les mécanismes de la confiance et du soupçon, de raisonner sur les enjeux de la défense des garanties et le jugement des intentions. »

« Les historiens et les historiennes ne peuvent pas se passer des apports des autres disciplines. »

Car Francesco a toujours vu l’histoire non pas comme une possibilité de s’évader dans le passé, mais plutôt comme l’opportunité de prendre du recul sur le présent, pour ensuite y revenir avec un regard neuf. « Mes voyages dans le monde et mes études répondent au même besoin d'aiguiser l’esprit critique et de se rendre utile à la société contemporaine », souligne-t-il. Le normalien apprécie aussi l’histoire pour sa capacité à être un espace de rencontre interdisciplinaire : « au cours des années, l’histoire m’a appris non seulement à mettre en dialogue les périodes et les points de vue, mais aussi à poursuivre les échanges entre savoirs et parcours de recherche. Les historiens et les historiennes ne peuvent pas se passer des apports des autres disciplines », explique-t-il. « Dès lors, j’essaie toujours d’appliquer ces enseignements dans mes recherches. »

Rendre aux autres

Quant à la suite de son parcours professionnel, il est encore difficile pour Francesco de se projeter. « Je n’ai pas encore décidé ce que je voudrais faire après mon doctorat », confie-t-il. Depuis quelques mois, le normalien enseigne à des étudiants de troisième année de licence à la Sorbonne, et s’il admet parfois « ne pas se sentir à la hauteur » de la tâche, Francesco n’en reste pas moins « comblé » par l’expérience. « Je ne pourrais pas concevoir une carrière dans la recherche sans avoir la possibilité de redonner aux autres », affirme l’étudiant. « C’est justement cette envie de partager mes connaissances et mes expériences qui m’amène à me poser des questions sur mon parcours », poursuit-il. « Parfois, j’aimerais être plus engagé dans les luttes sociales et moins isolé dans mes activités intellectuelles. Ou bien me lancer dans une profession beaucoup plus liée au monde de l’art et du patrimoine culturel. »
Il est des voyages plus simples que d’autres et bien des aventures attendent encore Francesco. Et, pour reprendre les mots de l’écrivain Paolo Rumiz, c’est à chacun de « construire ses propres sentiers invisibles. »

(1) Chaque année, ce concours récompense celles et ceux qui lors de leurs séjours d’études à l’étranger ont à cœur d’être des ambassadeurs de la région Île-de-France et de son patrimoine.

 

Mis à jour le 16/1/2023