Une lumière dans la nuit, un soutien précieux pour les étudiants

Rencontre avec Martha Zoumpoulaki, doctorante à l’ENS-PSL, présidente de Nightline Paris

Alors que le deuxième confinement évolue et qu'arrivent les fêtes, les étudiants sont de plus en plus inquiets pour leur avenir. La pandémie mondiale de Covid-19 aura remis en lumière l’urgence de la santé mentale étudiante et de sa prise en charge.  Depuis 2017, ce service d’écoute, nocturne, gratuit et anonyme, s’engage dans ce combat.
 
Martha Zoumpoulaki, normalienne et présidente de Nightline Paris retrace l'histoire d'une initiative que l'urgence de l'époque rend toujours plus nécessaire.
Martha Zoumpoulaki
Martha Zoumpoulaki © Nightline Paris

Cette idée d’un service d’écoute par et pour les étudiants, on la doit à Patrick Skehan, étudiant irlandais en séjour à l’ENS en 2016. Frappé par le manque, en France, de structures dédiées à la santé mentale des étudiants, il décide d’importer le concept anglo-saxon (qui existe depuis les années 70) de service d’écoute Nightline. Début 2017, il recrute et forme et les premiers bénévoles, avec l’aide de l’appel à initiatives étudiantes de l’Université PSL. La ligne d’écoute parisienne ouvre en novembre 2017.

Soucieuse de faire partie d’une communauté et de s’engager pour la faire avancer, Martha Zoumpoulaki s’est rapidement impliquée dans le projet.  D’origine grecque, elle obtient une licence en chimie à l’Université de Crète, avant d’intégrer le Département de Chimie de l’ENS-PSL. Aujourd’hui en dernière année de thèse au Laboratoire des Biomolécules (sous la direction de Clotilde Policar et Nicolas Deslsuc), ses études ne l’empêchent pourtant pas de poursuivre son engagement.  Bénévole de la première heure, elle est devenue tout naturellement la présidente du premier centre d’écoute à Paris : « J'étais parmi les premiers bénévoles à être formés ! Je voyais vraiment le besoin autour de moi et cela me paraissait très pertinent d'importer le concept de Nightline en France. »

En 4 ans de bénévolat, elle a appris à traiter « différents scénarios possibles pour préparer au mieux les bénévoles afin d’accueillir la parole des appelants ». Car Martha en est convaincue : « Écouter ça s’apprend ! Il faut un véritable travail pour vraiment écouter et ne pas juste entendre. C’est une compétence qui est plus difficile et complexe à acquérir que nous pouvons le penser et qui n’est pas toujours intuitive. Dans notre vie quotidienne, nous avons tendance à avoir des à priori et à comparer les différentes situations à nos propres expériences. Un des principes le plus dur à intégrer est l’absence de jugement. Nous avons l’habitude de vouloir conseiller ou proposer des solutions même quand la personne a juste envie d’être écoutée. Rester neutre est d'autant plus difficile que nous traitons de sujets plus durs ou plus délicats comme le suicide, le deuil, la dépression ou l’agression.

La formation initiale des bénévoles, élaborée en partenariat avec des psychologues spécialistes, a été inspirée des autres Nightline européennes. À cela s’ajoute une formation continue tout au long de la participation à l’association, construite autour d’un partage d’expériences régulier en présence de psychologues ou de psychiatres.

Illustration Nightline
NightLine en 3 mots ? Ecoute, bienveillance et sensibilisation. Illustration pour Nightline © Nightline Paris

À l’heure du COVID et du confinement, les situations d'isolement et de détresse psychologique des étudiants deviennent chroniques. Selon une enquête (iShare, enquête Confins, 2020, citée par le site Nightline), pendant le confinement, 28 % des étudiants se sont déclarés tristes, déprimés ou désespérés, plus de la moitié du temps, voire tous les jours,  et  11 % ont eu des pensées suicidaires. Dans ce contexte, le credo de l’association « Libérer la parole pour améliorer le bien-être mental des étudiants » retentit plus encore. « Avec ce deuxième confinement, les étudiants, font partie des populations qui ont été particulièrement touchées. Alors que les lycéens ou les jeunes professionnels peuvent profiter de l’enseignement ou du travail en présentiel, les étudiants restent confinés pour la plupart de la journée, pas forcément dans des conditions idéales. Ne vivre que des interactions quotidiennes qu’à distance devient vite pesant. Tous les problèmes déjà présents en temps normal, comme des problèmes relationnels, ou liées à la solitude et aux études, sont exacerbées pendant cette pandémie. »  

Mais pour la doctorante, une crise de santé mentale chez les étudiants existait bien avant la crise sanitaire, et a été juste davantage mise en lumière. Une vie étudiante où des problèmes matériels et psychologiques se juxtaposent, où les enjeux d’indépendance et de réussite sont élevés, et alors même que se construit la personnalité.  « Nous avons du mal à exprimer notre mal-être, même à nos proches. Quand nous croisons un(e) ami(e) qui nous demande si ça va, la réponse reste toujours, ‘oui et toi ?’. C’est presque un réflexe, même si nous avons passé la pire journée de notre vie. Et il y a tous les sujets sur lesquels il est difficile de se confier :  les relations amoureuses, la sexualité, l’image de soi, les addictions, les stéréotypes, la religion… ». C’est là où le concept de Nightline semble réussir son pari : une écoute par et pour les étudiants. «Le fait de parler à un(e) autre étudiant(e), du même âge, avec probablement des mêmes préoccupations, peut libérer la parole. Le plus souvent les sujets abordés sont proches de la vie étudiante et de ses problématiques, ce qui met les appelants et les bénévoles plus à l’aise. Outre le fait que la conversation soit anonyme et confidentielle.»     

Nightline France vient de publier un rapport qui pointe le retard de la France sur la prévention mentale des étudiants. Démontrant, entre autre, que le nombre de psychologues est dramatiquement bas (en moyenne 1 Équivalent Temps Plein Travaillé (ETPT) de psychologue pour 29 882 étudiants). Ce rapport est accompagné d’une tribune dans Le Monde sur la détresse psychologique étudiante, signée par un collectif de présidents et vice-présidents et d’élus étudiants. L’ouverture de Nightline Paris a permis de rattraper un peu le retard de la France sur ses voisins, où depuis assez longtemps ces structures d’écoute existent (41 lignes supplémentaires ont ouvert dans les pays anglo-saxons).  

C’est pourquoi, depuis son naissance, Nightline ne cesse de se développer et d’élargir son champ d’actions. Le concept s’étend désormais à Saclay, Lille et Lyon, afin de pouvoir répondre aux besoins d'un maximum d'étudiants, partout en France. L’association possède maintenant une équipe permanente qui « fait de la prévention auprès des établissements d’enseignement supérieur, ainsi que des actions de déstigmatisation afin de faire évoluer les perceptions autour de la santé mentale étudiante. Notre nouveau site web recense un ensemble de conseils ainsi qu'un répertoire des services de soutien psychologique pour tous et par académie. Nous venons également de lancer une campagne de prévention pour le bien-être des étudiants. »

Plusieurs établissements d’enseignement supérieur soutiennent le projet : l’Université PSL, Sorbonne Universités, Université de Paris, Université Paris Nanterre, mais aussi le CROUS de Paris, l’ARS Île-de-France, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, le Ministère des Solidarités et de la Santé, la Mairie de Paris.  L’association travaille aussi avec d’autres services d’écoute à Paris, avec lesquelles elle siège dans l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide et des psychiatres et psychologues qui encadrent les bénévoles.

Toujours d’après le rapport publié par Nightline France, les chiffres sont sans appel : la crise du Covid-19 pourrait engendrer une augmentation de 25 % du nombre de suicides d’ici quelques années, voire de 30 % chez les jeunes (avis de l’Association Médicale Australienne, en cours de publication).

En parlez ? Mais à qui ? Que direz Martha à un étudiant pour le convaincre d’appeler ?  "Si vous avez besoin d’être écoutés, sans être jugés, sans chercher de conseils, si vous voulez nous raconter la dernière série que vous avez regardé, parler d’un film que vous avez détesté/adoré, ou alors si vous voulez juste parler à quelqu’un la nuit pour ne pas rester seul, Nightline est là pour ça ! Partager un secret, un doute, une histoire intime, une envie, un échec, une angoisse, … ça peut faire tellement du bien ! N'hésitez surtout pas. Il est important, plus que jamais, de s’exprimer et de partager tout ce qui nous traquasse. Il n’y a pas de petits problèmes. Prenez soin de vous !"

 

Night Line - Comment çà marche ?

Nightline est un service d’écoute gratuit anonyme et confidentiel, géré par et pour les étudiants. La ligne téléphonique et le service de tchat francophone et anglophone sont ouverts de 21h à 2h30, du jeudi au dimanche.

Le concept s’étend désormais à Saclay, Lille et Lyon. L’association compte une centaine de bénévoles (environ 60 sur Paris et 15 dans chaque antenne), avec des nouvelles formations en cours et des projets d’élargissement dans d’autres villes lors du deuxième semestre.

 

Comment contacter Nightline ?

Par tchat ou par téléphone :
FR : Tchat – 01 88 32 12 32
EN : Tchat – 01 88 32 12 33

 

Pour devenir bénévole ?

Pour postuler, c’est simple, il suffit de remplir le formulaire en ligne – version  FRversion EN  . Plus d’infos sur l’association et la formation de bénévole sur le site.