De la cryptographie à la physique de la lumière, 4 chercheurs de l'ENS récompensés par l’Académie des Sciences
Félicitations aux lauréats 2025
Chaque année, l’Académie des Sciences récompense des scientifiques dont les travaux ont marqué leur discipline. De la cryptographie à la lumière en milieux diffusants, en passant par la modélisation des semi-conducteurs ou la physique statistique, quatre chercheurs de l’ENS-PSL figurent parmi les lauréats 2025.
Rencontre avec Jesper Jacobsen, professeur de physique théorique au Laboratoire de physique de l’ENS (LPENS), David Pointcheval, directeur de recherche CNRS au département d’informatique de l’ENS-PSL, Sylvain Gigan, professeur à Sorbonne Université au laboratoire Kastler-Brossel et Gérald Bastard, Directeur de recherche émérite CNRS au LPENS.
Jesper Jacobsen, physicien
Professeur de physique théorique au Laboratoire de l’ENS-PSL (LPENS)
Prix Ampère de l'Électricité de France de l’Académie des Sciences
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« Le monde d’aujourd’hui présente de multiples défis que nous ne pouvons pas surmonter sans la recherche scientifique.»
Le Prix Ampère de l’Électricité de France récompense un travail de recherche remarquable dans le domaine des sciences mathématiques ou physiques, fondamentales ou appliquées. Pour quelles recherches avez-vous été primé ?
À vrai dire, je ne sais pas quel aspect de mes recherches a le plus pesé dans la décision de l’Académie de Sciences. Avec mon co-lauréat Hubert Saleur, nous avons publié 65 articles scientifiques communs depuis une vingtaine d’années et encadré 12 doctorants. Une grande partie de ces recherches concernent ce qu’on appelle les modèles de boucles. Ces boucles sont des courbes qui décrivent les formes fractales que prennent les bords des domaines magnétiques dans certains matériaux lors d’une transition de phase – c’est-à-dire la transformation du système étudié provoqué par la variation d'un paramètre extérieur particulier comme la température, le champ magnétique… – mais pas seulement.
Nous avons aussi pu utiliser de telles boucles pour modéliser des phénomènes plus que variés, comme les trajectoires quantiques d’électrons, le parcours optimal d’un voyageur de commerce, l’effondrement d’une molécule d’ADN sous l’effet de l’attraction entre ses monomères, voire même avec la diffusion d’une corde quantique sur un trou noir.
Vos travaux se situent à l’interface entre mathématiques et physique : comment ce dialogue entre disciplines nourrit-il votre approche de la recherche ? Pensez-vous que l’ENS-PSL favorise cette interdisciplinarité ?
Effectivement, les travaux que je mentionne doivent beaucoup aux mathématiques, surtout aux probabilités et aux algèbres. La plupart des conférences auxquelles j’assiste réunissent des chercheurs en mathématiques et en physique. L’École normale supérieure - PSL fait beaucoup pour encourager ces rapprochements : l’établissement est impliqué dans le grand programme de recherche Statistical Physics and Mathematics de l’Université PSL, et plus directement, soutient le Laboratoire de Physique (LPENS), où une grande partie de la recherche théorique se situe à l’interface entre la physique et d’autres disciplines, telles que l’informatique, la biologie ou les mathématiques.
Que représente pour vous ce prix ? Que va-t-il vous permettre ?
Il s’agit pour moi de la reconnaissance d’une certaine tradition dans la physique théorique en France, dont les origines remontent à une cinquantaine d’années. Mais ce prix reconnaît surtout le talent et le travail acharné des doctorantes et doctorants avec qui j’ai eu la chance de pouvoir interagir. Plus personnellement, il s’agit d’un encouragement pour réfléchir davantage aux problèmes dont la solution m’échappe depuis trop longtemps.
Et qu’aimeriez-vous dire à une jeune personne qui hésite à se lancer dans la recherche ?
Le monde d’aujourd’hui présente de multiples défis que nous ne pouvons pas surmonter sans la recherche scientifique. Se lancer dans ce magnifique projet d’acquisition de connaissances permet aussi de satisfaire sa curiosité, de vivre sa passion, de trouver du plaisir en dépassant ses limites, et de rencontrer de nombreuses personnes intéressantes avec une belle variété de qualités intellectuelles et humaines. C’est un métier très enrichissant.
À propos de Jesper Jacobsen
Ce qui a éveillé la curiosité de Jesper Jacobsen pour les sciences ? « Les excellents professeurs de physique, de mathématiques et de chimie que j’ai eus au lycée », confie le chercheur. Après le baccalauréat, il poursuit donc par un double cursus de physique et de mathématiques à l’Université d’Aarhus au Danemark, qui continue d’attiser cette curiosité. « Nous travaillions souvent par petits groupes de quatre étudiants, en travaux dirigés », se souvient-il. « Et comme les membres de mon équipe étaient toutes et tous brillants et voulaient devenir chercheurs, je me suis laissé entraîné par leur enthousiasme. »
Un professeur « charismatique », Hans Fogedby, oriente Jesper Jacobsen vers la physique statistique et les théories des champs. L’étudiant décide alors de commencer une thèse sous sa direction. « Mais ce qui a véritablement scellé mon destin était la chance que j’ai eue, grâce au programme d’échange Coimbra, de pouvoir passer les deux dernières années de mon doctorat à l’Université d’Oxford sous la direction de John Cardy », explique-t-il, reconnaissant. « Son talent, son inspiration et sa bienveillance ont fait basculer ma vie. »
Après l’obtention de son doctorat en 1998, Jesper Jacobsen effectue un an de postdoctorat dans le groupe de Bernard Derrida au Laboratoire de physique statistique à l’ENS, avant d’obtenir un poste permanent au Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques à l’Université Paris-Sud, aujourd’hui Université Paris-Saclay. Promu professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (maintenant Sorbonne Université) en 2008, le chercheur revient à l’ENS-PSL où il travaille actuellement au sein du Laboratoire de physique (LPENS).
« La physique théorique est un domaine de recherche assez unique où l’on peut toucher à tout, du plus grand au plus petit, dans un cadre qui s’étale de la plus stricte discipline mathématique à l’intuition pure. Ces dualités me plaisent beaucoup. »
David Pointcheval, informaticien
Directeur de recherche CNRS au département d’informatique de l’ENS-PSL
Prix Lazare Carnot de l’Académie des Sciences
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« J'ai eu la chance d'appréhender l'informatique très tôt, lors de l'arrivée des tout premiers ordinateurs personnels. »
Le Prix Lazare Carnot récompense des travaux de recherche fondamentale ayant des perspectives d'applications à la fois civiles et militaires. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les recherches pour lesquelles vous avez été primé ?
La cryptographie est clairement une technologie duale, avec historiquement des applications militaires, et notamment le chiffrement, auquel j'ai contribué par des analyses de sécurité. Mais, désormais, la sécurité informatique est le problème de tous, et la cryptographie apporte certaines protections, avec justement le chiffrement des données et l'authentification des individus. J'ai étudié de nombreuses solutions de chiffrement, de signature, et d'établissement de communications sécurisées. Mais ces derniers temps, avec la montée en puissance du Cloud, je me suis intéressé à la sécurité des données dans le Cloud et au respect de la vie privée. Rien n'est plus sensible que les données personnelles. Or, elles interviennent partout, que cela soit pour recevoir des informations pertinentes ou pour avoir accès à des services ciblés. Nous sommes en permanence confrontés au dilemme de protéger ses données et de profiter de services de plus en plus attractifs. J'ai donc étudié des mécanismes permettant l'utilisation de données sensibles tout en garantissant leur sécurité. Je pense donc que ce prix récompense ces travaux précurseurs sur la sécurité prouvée en cryptographie, qui se sont étendus sur de nombreux domaines que sont la confidentialité des données, l'anonymat des individus et le calcul sécurisé en général.
Que représente pour vous ce prix ?
C'est bien sûr un grand honneur que de recevoir ce prix, et je remercie toutes les personnes qui ont trouvé un intérêt à mes travaux. Mais je tiens également à associer tous mes collègues, et en particulier tous mes doctorants, sans qui le travail de chercheur ne serait pas aussi passionnant. En effet, la direction d'une thèse consiste bien évidemment à guider et orienter de jeunes chercheurs dans leurs démarches scientifiques, mais c'est surtout des échanges de points de vue, souvent différents, qui nous permettent d'avancer. J'ai beaucoup appris au cours de la trentaine de thèses que j'ai pu encadrer jusqu'à présent. Je dédie donc ce prix à mes doctorantes et doctorants, et je leur souhaite de garder la passion de la recherche.
L’informatique quantique – en plein boom – promet des avancées majeures mais menace aussi certains protocoles de sécurité. Comment la cryptographie s’adapte-t-elle à cette nouvelle ère “post-quantique” ?
Une application potentielle d'un futur ordinateur quantique est en effet l'attaque des mécanismes de sécurité. Des algorithmes qui exploitent les principes quantiques, tels que la superposition d'états et l'intrication, ont été proposés au milieu des années 90, pour résoudre certains problèmes avec un gain de complexité exponentiel.
En ce qui concerne la cryptographie symétrique, l'impact reste minime, car il suffit d'augmenter la taille des paramètres. En revanche, pour la cryptographie asymétrique, basée sur la factorisation ou le logarithme discret, lorsqu'un ordinateur quantique de capacité conséquente sera une réalité, elle deviendra vulnérable, car l’ordinateur quantique sera capable de résoudre ce type de problème mathématique complexe beaucoup plus rapidement qu’un ordinateur classique. Augmenter la taille des clés n'y pourra rien. Une question pourrait être « Quand arrivera un tel ordinateur quantique de capacité suffisante ? ». Mais même une arrivée lointaine, voire incertaine, nécessite des actions dès maintenant, car tout ce qui est chiffré actuellement, et qui est très probablement déjà archivé quelque part, pourra être révélé.
Comment peut-on alors anticiper l’impact de la quantique sur les protocoles de sécurité cryptographiques ?
Les cryptographes ont des solutions, fondées sur de nouveaux problèmes qui semblent résister à un éventuel ordinateur quantique. Ainsi, des alternatives sont déjà normalisées. Il est alors recommandé à tous de commencer, dès que possible, la « migration post-quantique », mais de façon raisonnée : en Europe, il est conseillé de migrer vers des solutions hybrides, qui combinent des mécanismes classiques – certes, vulnérables face à un éventuel ordinateur quantique, mais bien éprouvés dans le monde actuel – et post-quantiques, qui devraient résister à l'ordinateur quantique, mais qui sont récents, et qui doivent faire leurs preuves. La sécurité prouvée est alors essentielle dans ce contexte, car il est important de s'assurer que la combinaison des deux mécanismes apportera bien le meilleur des deux : aucune faiblesse de l'un ou de l'autre ne doit pouvoir compromettre la sécurité de l'ensemble.
Qu’aimeriez-vous dire à une jeune personne qui hésite à se lancer dans la recherche, en particulier en cryptographie ?
La recherche peut sembler un abîme, avec à la fois une masse de connaissances, et de très nombreuses interrogations. Faire le lien entre tout cela peut donner le vertige. Mais même en cryptographie, la recherche se fait en équipe. Les solutions proviennent des questionnements des uns et des suggestions des autres.
De plus, la cryptographie est bien sûr un sujet théorique, avec des problèmes fondamentaux de faisabilité ou d'impossibilité, mais elle tente également de répondre à des problèmes concrets, liés à des usages qui évoluent au cours du temps. C'est un cadre vivant, avec des hypothèses de départ et des contraintes d'application différentes selon les époques. Les remises en question sont permanentes. Ainsi, la recherche en cryptographie présente tous les ingrédients pour s'épanouir, avec un large éventail de sujets à traiter.
À propos de David Pointcheval
Après son admission à l'ENS par le concours mathématiques, David Pointcheval souhaite poursuivre un cursus mixte, « dans l'espoir de trouver un domaine alliant ces deux disciplines, que je trouvais très complémentaires. » Au cours de son DEA, il découvre la cryptographie, à l'intersection de ces deux champs, « mêlant formalisme et rigueur mathématiques avec des applications concrètes à la “sécurité de l'information”, pour résoudre des défis de toutes sortes. »
Sans pour autant décidé à poursuivre une carrière de chercheur, c'est au cours de sa thèse en cryptographie que David Pointcheval se passionne pour cette activité. Jacques Stern, qui l’encadre en doctorat, puis Mihir Bellare qui l’accueille ensuite pour un post-doctorat à l'Université de Californie à San Diego, le confortent dans ce choix. « Je me sentais privilégié de participer, avec eux et avec de nombreux autres chercheurs, à l'émergence d'un nouveau courant au sein de la cryptographie, qui est celui de la “sécurité prouvée” », explique le chercheur. « C'était passionnant de contribuer à ce domaine bouillonnant, au sein d'une communauté internationale amicale et bienveillante. »
Recruté en tant que chercheur CNRS au département d'informatique de l'ENS, David Pointcheval développe ce domaine de recherche, et encadre de nombreux doctorants, « sans doute l'activité la plus enthousiasmante du chercheur », admet-il volontiers. « J'ai donc pris un très grand plaisir à explorer de nouveaux sujets, avec les collègues et étudiants, en maintenant un équilibre entre travaux théoriques et applications pratiques, ce à quoi se prête parfaitement la cryptographie, avec des problèmes concrets à résoudre et des analyses théoriques pour prouver le bien-fondé de nos solutions. »
Sylvain Gigan, physicien
Professeur à Sorbonne Université au laboratoire Kastler-Brossel (ENS-PSL, CNRS, Sorbonne Université, Collège de France) Prix Cécile Dewitt-Morette de l’Académie des Sciences
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« C’est souvent à l’interface des disciplines que naissent les idées les plus originales. Cette diversité de points de vue est une réelle force, et un moteur de créativité scientifique. »
Le Prix Cécile Dewitt-Morette récompense des travaux remarquables dans le domaine de la physique. Pour quelles recherches avez-vous été primé ?
Ce prix distingue nos travaux sur la manière de contrôler la lumière lorsqu’elle traverse des milieux complexes et diffusants — comme des matériaux opaques, des fibres optiques très fines, ou même des tissus biologiques. Normalement, dans ces milieux, la lumière diffuse, en « rebondissant » de manière répétée et complexe sur les obstacles, et perd toute structure et toute mémoire de sa direction initiale. Nous avons montré qu’il est possible, grâce à des approches issues de la physique des ondes et de l’intelligence artificielle, de reprendre la main sur cette lumière « brouillée » et de l’utiliser pour former des images, transporter de l’information, et même calculer ! Cela pose des questions de physique fondamentales, et ouvre des perspectives en imagerie médicale peu invasive, en endoscopie ultra-miniature, mais aussi, plus surprenant, d’émuler des réseaux de neurones pour l’intelligence artificielle.
Vous travaillez à la croisée de la physique, de l’ingénierie et des technologies de l’information. Cette interdisciplinarité est-elle indispensable selon vous pour faire avancer la recherche ?
L’interdisciplinarité est aujourd’hui essentielle pour faire avancer la recherche, en particulier dans notre domaine. Comprendre la lumière dans des environnements complexes nécessite des outils empruntés à la physique fondamentale, mais aussi à la biologie, à l’ingénierie, au traitement du signal, ou encore à l'informatique. C’est souvent à l’interface de ces disciplines que naissent les idées les plus originales. Cette diversité d’approches est une réelle force, et un moteur de créativité scientifique. Dans notre équipe, nous sommes essentiellement des physiciens, mais nous avons noué des collaborations très fructueuses avec des collègues dans toutes ces disciplines, qui nous enrichissent énormément scientifiquement.
Que représente pour vous ce prix ?
Je suis très honoré par ce prix, c’est une reconnaissance que je considère collective, qui récompense aussi et surtout le travail de mon équipe et de mes collaborateurs, et qui nous soutient dans notre démarche.
Je suis d’autant plus touché qu’il porte le nom de Cécile DeWitt-Morette, figure majeure et inspirante de la physique théorique et fondatrice de l’école de Houches, un lieu mythique pour la physique mondiale, situé en face du Mont-Blanc où se déroulent depuis des décennies des écoles très prestigieuses. J’y ai participé de nombreuses fois, en tant que participant pendant ma thèse, puis comme orateur et enfin comme organisateur récemment.
Qu’aimeriez-vous dire à une jeune personne qui hésite à se lancer dans la recherche ?
La recherche est un métier exigeant mais extraordinairement stimulant : on y a la liberté d’explorer des idées nouvelles et de contribuer à la compréhension du monde. On ne sait jamais exactement où un projet va nous mener, et c’est précisément ce qui en fait la richesse. Ce que les jeunes ne réalisent souvent pas – avec l’image d’Épinal du chercheur solitaire – c’est que c’est aussi la plupart du temps un travail d’équipe, où on apprend tous les jours quelque chose.
À propos de Sylvain Gigan
Aussi loin qu’il se souvienne, Sylvain Gigan a toujours été attiré par les sciences. « Bien que je n’ai pas de scientifique dans ma famille, la recherche en physique s’est imposée graduellement comme une évidence lors de mes études supérieures », se rappelle-t-il. Après une formation à Polytechnique, il effectue un doctorat en physique au laboratoire Kastler-Brossel (ENS-PSL, au CNRS, Sorbonne Université, Collège de France) à l'époque situé sur le site de Jussieu. Il poursuit ensuite par un post-doctorat à l’Université de Vienne, en Autriche. À son retour en France, cette fois-ci en tant qu’enseignant-chercheur, il oriente ses travaux – jusqu’ici tournés vers la physique quantique – vers l’optique et la photonique. « Ce sont des domaines qui permettent de relier concepts fondamentaux et applications très concrètes », explique Sylvain Gigan. « La lumière est un outil scientifique extraordinairement polyvalent : elle permet aussi bien d’explorer les propriétés intimes de la matière que d’imaginer de nouvelles technologies, en particulier pour l’imagerie ou les communications. » Depuis 2014, Sylvain Gigan est professeur à Sorbonne Université au laboratoire Kastler-Brossel. En 2024, il devient directeur adjoint du laboratoire.
Gérald Bastard, physicien
Directeur de recherche émérite CNRS au Laboratoire de Physique de l’ENS-PSL (LPENS) Médaille de Physique de l’Académie des Sciences 2025
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« Les collaborations [scientifiques] internationales par des séjours croisés entre équipes permettent de découvrir des aspects que nous n’aurions pas vus seuls. »
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les recherches pour lesquelles vous avez été primé ?
Mon domaine de recherche est la modélisation des états électroniques dans les hétérostructures de semiconducteurs. Comprendre ces dispositifs a contribué à l’élaboration de composants importants en microélectronique – comme les transistors, les puces ou les mémoires – mais aussi en opto-électronique, avec les lasers ou les photodétecteurs.
Les semiconducteurs « naturels », comme le silicium (Si) ou l’arséniure de gallium (GaAs) ont des limitations. Par exemple, à température donnée, un laser GaAs émet toujours la même longueur d’onde d’émission.
Mais dans les années 1970, de nouvelles techniques de fabrication (comme l’épitaxie par jets moléculaires) ont permis de créer des semi-conducteurs « artificiels », réalisés par empilement de fines couches de dimensions nanométriques.
Ces recherches ont impliqué tout un travail théorique pour comprendre comment cet empilement modifiait les états électroniques et la relaxation des particules porteuses de charges dans ces nouveaux matériaux quasi bi-dimensionnels.
Ainsi, dans un laser à double hétérostructure GaAs/(Ga, Al)As la couche active n’est épaisse que d’une dizaine de nanomètres et sa longueur d’émission est réglable par ajustement de l’épaisseur de GaAs. Ces lasers présentent des performances très supérieures à celles obtenues en utilisant des matériaux naturels, et dominent désormais l’opto-électronique.
Que représente pour vous l’obtention de cette médaille ?
Cette médaille est la reconnaissance par la communauté des physiciens français et par l’Académie des Sciences de la pertinence de mes travaux et, surtout, de l’importance, considérable, des hétérostructures de semiconducteurs qui, grâce aux progrès de l’épitaxie, ont permis de s’affranchir des bornes des matériaux « naturels » et de créer des matériaux à la demande.
Vos travaux se sont inscrits dans une communauté de recherche internationale très dynamique. Quelle place occupe, selon vous, cette ouverture dans la vitalité de la recherche scientifique ?
D’une part, sans compétition internationale, la recherche s’étiole. D’autre part, les collaborations internationales par des séjours croisés entre équipes permettent de découvrir des aspects que nous n’aurions pas vus seuls. Sans les travaux menés avec les Universités de Tokyo, Vienne et Würzburg, je n’aurais pas abordé certains sujets de recherche qui se sont révélés très féconds.
Qu’aimeriez-vous dire à une jeune personne qui hésite à se lancer dans la recherche ?
Je lui dirais d’être opiniâtre, patiente, que la recherche peut être dure et parfois mal rémunérée, mais que cela peut offrir d’immenses satisfactions intellectuelles, comme d’avoir prévu un certain effet et que cet effet soit observé. Je lui dirais aussi de ne pas se borner à la recherche universitaire, qu’il y a de l’excellente recherche industrielle qui mérite d’être irriguée. Et, pour finir, je lui souhaiterais bonne chance, comme à toutes les aventurières et les aventuriers.
À propos de Gérald Bastard
Gérald Bastard intègre l’Université Paris Cité en 1967, où il effectue ses études (licence, jusqu’à la maîtrise. Il poursuit par un Diplôme d'Études Approfondies (DEA) de physique des solides puis entame une thèse de 3e cycle – qu’il soutient en 1974 – au département de physique de l’ENS sous la direction de Claudette Rigaux. La même année, il entre au CNRS, où il effectuera toute sa carrière à l’ENS, devenu spécialiste renommé dans l’étude des semi-conducteurs. En 1979, Gérald Bastard devient titulaire d’une thèse de doctorat d’État. « Mon envie de me tourner vers la recherche en physique des semiconducteurs vient autant de mon goût pour les aspects concrets et les applications, que de l’enseignement exceptionnel dont j’ai bénéficié durant mes maîtrises et mon DEA. », explique-t-il. « Des professeurs comme Philippe Nozières, Bernard Diu ou Jacques Friedel m’ont ouvert l’esprit. »
