Découvrir les mystères de l'Univers grâce aux ondes gravitationnelles

Tamanna Jain, post-doctorante à l’ENS, est lauréate 2025 du prix Jeunes Talents pour les Femmes et la Science de la Fondation L'Oréal-UNESCO.

Créé le
3 novembre 2025

Qu’est-ce que les trous noirs, les étoiles à neutrons et les ondes gravitationnelles peuvent nous apprendre sur la naissance et l’évolution de l’univers ? C’est à ces objets extrêmes que s’intéresse Tamanna Jain, post-doctorante au Laboratoire de physique de l’ENS-PSL, dont les travaux explorent les limites de la relativité générale. Lauréate 2025 du prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science de la Fondation L'Oréal-UNESCO, la chercheuse allie excellence scientifique et engagement personnel pour l’égalité d’accès à l’éducation.

Tamanna Jain, post-doctorante à l’ENS
Tamanna Jain © Fondation L’Oréal-UNESCO

Comment vient-on à consacrer sa vie à étudier l’univers ? Tamanna Jain, chercheuse en cosmologie, se souvient très bien de ce qui a déclenché sa passion pour la science : « la maladie grave de mon grand-père, une maladie cardiovasculaire. » Une expérience personnelle marquante, qui la pousse à vouloir comprendre le corps humain et à s’intéresser à la médecine. « Avec le temps, cette curiosité s’est étendue à l’univers et aux lois fondamentales qui le régissent. »

Originaire de Sonipat, en Inde. Tamanna Jain quitte son pays natal après une licence en physique à l’Université de Delhi pour effectuer un master et un doctorat en physique quantique à l’Université de Cambridge. Pendant sa thèse, elle travaille à la construction de modèles analytiques d’ondes gravitationnelles avec des théories qui étendent la relativité générale d’Einstein. « J’ai eu l’occasion de venir plusieurs fois à Paris pour collaborer avec des chercheuses et des chercheurs travaillant sur des sujets similaires : ces expériences ont d’ailleurs été décisives dans ma décision de postuler à l’ENS-PSL», justifie-t-elle.

Citation en exergue : « La découverte des ondes gravitationnelles issues de trous noirs en 2015 a marqué un tournant pour la cosmologie et la gravitation : elle a révélé une nouvelle manière d’explorer le cosmos. »

En 2024, Tamanna Jain rejoint le programme LabEx Junior Research Chair, qui lui offre un équilibre idéal « entre liberté et opportunités ». Elle peut ainsi définir elle-même la direction de ses recherches, tout en échangeant avec certaines des meilleures spécialistes en physique
théorique. « C’est aussi sur les encouragements de ma collaboratrice Laura Bernard, chercheuse invitée permanente à l’École normale, que j’ai déposé ma candidature », ajoute-t-elle.

Comprendre le cycle de vie des étoiles et l’origine des trous noirs

Aujourd’hui post-doctorante au Laboratoire de physique de l’ENS-PSL, les travaux de Tamanna Jain portent sur les trous noirs et les étoiles à neutrons, qu’elle étudie à travers les ondes gravitationnelles.
« La découverte des ondes gravitationnelles issues de trous noirs en 2015 a marqué un tournant pour la cosmologie et la gravitation : elle a révélé une nouvelle manière d’explorer le cosmos », indique la chercheuse. « L’enthousiasme que j’ai ressenti à ce moment n’a cessé de guider ma recherche. »

Avec ce même enthousiasme, la chercheuse nous explique en détail ses travaux : « les trous noirs et les étoiles à neutrons sont les restes de certaines étoiles lorsqu’elles arrivent à la fin de leur vie », précise-t-elle. « Les trous noirs sont des objets extrêmes, dont la gravité est si intense que même la lumière ne peut s’en échapper : ce sont un peu comme des « boîtes noires » cosmiques, dont l’intérieur reste invisible », poursuit-elle. « Les étoiles à neutrons sont un peu moins extrêmes, mais tout aussi fascinantes : elles sont très denses — un simple morceau de la taille d’un sucre pèserait des milliards de tonnes sur Terre ! »

Pour étudier ces phénomènes, Tamanna Jain utilise ainsi les ondes gravitationnelles, des vibrations de l’espace-temps provoquées par des objets massifs en mouvement accéléré. « En réalité, même déplacer la main génère ce type de vibrations, mais celles-ci sont bien trop faibles pour être détectées. » Les ondes auxquelles les scientifiques s’intéressent sont issues de collisions entre trous noirs ou étoiles à neutrons, et ont une amplitude de l’ordre de 10^(-21). « Ce qui est incroyablement petit ! C’est comme si vous essayiez de détecter un changement de 1 millimètre… dans la taille de la galaxie ! » Pour les détecter, Tamanna Jain et son équipe utilisent des instruments laser de pointe, tels que LIGO et Virgo.

Si ces ondes sont infiniment minuscules, elles transportent pourtant une mine d’informations : elles nous renseignent sur la manière dont les objets interagissent, fusionnent, et se comportent dans des champs gravitationnels extrêmes. « Les étudier permet de tester la relativité générale d’Einstein dans des conditions inédites, mais aussi de mieux comprendre le cycle de vie des étoiles et l’origine des trous noirs », explique la scientifique. « À terme, elles pourraient nous aider à répondre à des questions fondamentales sur l’univers et sa naissance. »

Un immense encouragement

Des recherches d’avant-garde, pour lesquelles Tamanna Jain a récemment obtenu le prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science de la Fondation L'Oréal-UNESCO. « Recevoir cette reconnaissance est un immense encouragement, qui me motive à poursuivre mes recherches », confie-t-elle avec gratitude.

Lors de sa première année de post-doctorat à l’ENS-PSL, la scientifique avait commencé à explorer une autre approche pour mieux comprendre les ondes gravitationnelles, en utilisant la relativité numérique — une méthode qui consiste à résoudre les équations dynamiques sur des supercalculateurs, contrairement aux calculs analytiques sur lesquels portait sa thèse.

« La prochaine étape de mon projet sera d’explorer comment combiner les approches analytiques et numériques pour construire une description plus précise des ondes gravitationnelles émises par les trous noirs. », indique Tamanna Jain. « Cette intégration est essentielle pour mieux modéliser et détecter ces ondes, et pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans le domaine. »

La bourse reçue avec le Prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO permettra, dans le cadre de ses travaux, de renforcer ses collaborations scientifiques, en finançant des visites chez ses partenaires de recherche et en les accueillant dans mon laboratoire. Tamanna Jain souhaite aussi consacrer une partie de cette aide au soutien d’initiatives éducatives en Inde, en particulier pour les jeunes filles. Un projet qui lui tient particulièrement à coeur et dans lequel elle s’investit depuis plusieurs années via la Spread Smile Foundation, une organisation à but non lucratif dans sa ville natale de Sonipat.

« Avec notre équipe, nous concentrons nos efforts sur les populations économiquement défavorisées, notamment celles vivant dans des quartiers précaires, avec pour objectif d’améliorer leurs conditions de vie grâce à l’accès à une éducation de base », explique-t-elle. Des actions qui permettent à ces populations un meilleur bénéfice des programmes d’aide sociale du gouvernement et de mener une vie digne. « Mais au fil du temps, nous avons constaté que la stigmatisation autour de l’éducation des filles restait très présente », poursuit Tamanna Jain. « C’est pourquoi nous nous efforçons de leur offrir les mêmes chances, pour qu’elles puissent faire leurs propres choix. »

Parmi les belles victoires de l’association, la présélection d’une des élèves accompagnées pour un prestigieux programme de bourse intégrale en Inde. « Je suis convaincue que ce type d’action peut contribuer à faire évoluer les mentalités et à démontrer le pouvoir transformateur de l’éducation. »

Le pouvoir de la persévérance et de la passion

Tamanna Jain souligne également l’importance des role models, notamment pour lutter contre l’autocensure et encourager les jeunes filles dans les carrières scientifiques. Sa première bourse était accompagnée du livre Lilavati’s Daughters, une collection d’essais sur les femmes scientifiques indiennes, dans lequel elle découvrit la biochimiste Kamala Sohonie. « Bien que son admission ait d’abord été refusée par le physicien Chandrashekhara Venkata Râman uniquement en raison de son genre, sa détermination lui a permis de devenir la première femme à obtenir un doctorat à l’Indian Institute of Science (IISc) – ainsi qu’en Inde », raconte-t-elle. « Son parcours m’a profondément inspirée. » Plus tard, après son arrivée à Paris, Tamanna Jain découvre Yvonne Choquet-Bruhat « qui, malgré des difficultés personnelles, a poursuivi ses études à l’ENS et apporté des contributions majeures à la physique ». « Ces deux femmes me rappellent le pouvoir de la persévérance et de la passion en science. »

« Le mentorat et le soutien de mon entourage ont été essentiels, autant pour l’avancée de mes projets de recherche que pour mon évolution professionnelle. »

En tant que chercheuse, Tamanna Jain loue les initiatives, telles que le prix L’Oréal-UNESCO, qui contribuent à renforcer la confiance en soi et encouragent les femmes à poursuivre une carrière scientifique. « En mettant en valeur leurs réalisations et en leur offrant de la visibilité, ces programmes ouvrent la voie à de nouvelles collaborations et contribuent à faire avancer les carrières », estime-t-elle. « Ils permettent aussi de construire une communauté solidaire, où les chercheuses peuvent partager leurs expériences et déconstruire les stéréotypes de genre. »

Tamanna Jain parle en connaissance de cause : « le mentorat et le soutien de mon entourage ont été essentiels, autant pour l’avancée de mes projets de recherche que pour mon évolution professionnelle. » C’est d’ailleurs sur la suggestion de son responsable d’équipe à l’ENS-PSL que la scientifique a candidaté à la bourse L’Oréal-UNESCO. « Cela dit, j’ai aussi été confrontée à des remarques sexistes, qui m’ont parfois profondément ébranlée », témoigne-t-elle. « Cela montre combien il reste crucial de lutter contre les stéréotypes de genre et de promouvoir plus d’égalité et d’inclusivité dans les sciences. »