[Décryptage] Trump et le trumpisme ou la résistance de l'empire

Par Blaise Wilfert, historien et maître de conférences à l'École normale supérieure

Créé le
30 janvier 2025
DÉCRYPTAGE - Parmi les tentatives d'explication des deux victoires de Donald Trump, revient fréquemment la mise en cause de la mondialisation, des échanges commerciaux notamment. Loin de ses promesses initiales de prospérité partagée, elle aurait appauvri les classes moyennes et populaires et ouvert de ce fait la voie à une réaction souverainiste brutale, comme une forme de juste retour de balancier. Cette analyse est-elle empiriquement fondée ? Permet-elle de bien comprendre le trumpisme, ou en obscurcit-elle au contraire les raisons ? Analyse de Blaise Wilfert, historien au Département de sciences sociales et au Centre Maurice Halbwachs, à l’ENS-PSL.
Blaise Wilfert
Blaise Wilfert © Pôle communication

Un des récits qui se sont imposés depuis la première élection de Donald Trump, et depuis le referendum positif sur le Brexit en Grande Bretagne, en 2016, repose sur l’idée que la montée en puissance du populisme est un symptôme de la crise de la « mondialisation », c’est-à-dire avant tout du libre-échangisme. Selon cette explication, une partie importante de la population des pays développés, notamment celles des travailleurs de l’industrie, aurait rudement subi les effets du libre-échange, et tout particulièrement le « China Shock », avec la montée en puissance de la Chine dans le commerce international à partir de son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Donald Trump, parmi d’autres entrepreneurs en populisme, aurait compris la souffrance de ces travailleurs maltraités par le libéralisme économique, par l’«hyperglobalisation », aurait dit Dani Rodrik (1), par le « néolibéralisme », auraient écrit d’autres, désignant en fait quelque chose comme le « consensus de Washington ». A défaut de suivre Trump dans ses délires et dans ses brutalités, il faudrait au moins reconnaître la justesse du diagnostic et solder rapidement l’héritage de quarante ans de libre-échangisme internationaliste. On peut pourtant contester ce diagnostic et, à partir d’un point de vue d’historien, en proposer un tout différent.

L’introuvable « China shock »


De nombreuses études ont tenté de repérer empiriquement, à l’échelle de la circonscription notamment, les effets de ce « choc chinois » sur les votes, en suivant le raisonnement que l’impact de la concurrence chinoise aurait contribué à un vote résolument anti-« mondialiste » (hostile au libre-échange) dans les régions où était surreprésenté l’emploi ouvrier de secteurs industriels concurrencés par les produits chinois. 
Le moins que l’on puisse dire est que les résultats de ces enquêtes, menées depuis près de dix ans, sont confus et peu évidents, même lorsque c’est un dénonciateur résolu et systématique de l’« hyperglobalisation » comme Dani Rodrik qui se charge d’en faire la synthèse (2). De nombreuses faiblesses, de nombreux biais caractérisent ces démonstrations et les fragilisent. Raisonner sur les circonscriptions implique souvent de se fonder sur le lieu de résidence des électeurs, alors que leur lieu de travail peut être différent, et que les dynamiques de classe de la société industrielle contemporaine se jouent plutôt à l’échelle de la métropole, celle du bassin d’emploi, qu’à celle de la commune ou de la circonscription. La désindustrialisation ne date souvent pas, dans les anciennes régions industrielles européennes ou américaines, du « choc chinois » et de l’« hyperglobalisation », mais bien souvent plutôt des années 1970, avec le déclin des bassins charbonniers, la concurrence des productions des autres pays industrialisés dès les années 1960, la douloureuse modernisation de l’industrie lourde ou de l’industrie de consommation sous l’effet des transformations technologiques et de la violence des chocs pétroliers des années 1970. Le supposé « choc » libre-échangiste devrait aussi logiquement avoir nourri une contestation d’inspiration socialiste, ce qui n’a que très marginalement eu lieu. Dans beaucoup des circonscriptions concernées la contestation du libre-échangisme et de la mondialisation se trouve très souvent associée avec la dénonciation violente de certains aspects des évolutions sociétales et culturelles à l’œuvre dans les pays industrialisés depuis les années 1960, en particulier les luttes contre les discriminations sexistes et racistes, une dénonciation bien difficile à articuler avec le seul libre-échangisme. A plus d’une occasion ces enquêtes, s’opposant à cela aux lectures économistes simplistes qui rabattent le populisme actuel sur la seule question des inégalités et des niveaux de vie, sur une colère impliquant une demande de changement radical chez les électeurs des catégories populaires, évoquent le rôle décisif de la transformation de l’offre politique dans ces évolutions :  différents segments des élites politiques et économiques ont instrumentalisé et orienté dans leur sens les difficultés et les soubresauts inhérents aux sociétés industrielles toujours sujettes aux crises. Il n’est jamais immédiat en réalité que telle ou telle souffrance, telle ou telle fragilité, telle ou telle colère ou intérêt remis en cause doivent produire telle ou telle réaction politique : il faut encore pour cela qu’elle soit mise en forme, mise en mots et en slogans ce qui se fait toujours dans un champ politique dont la dynamique est irréductible aux transformations économiques des régions concernées. 
L’affirmation selon laquelle la « mondialisation » est responsable de la crise populiste qui nourrit notamment Donald Trump est donc pour le moins insuffisante. 

Le protectionnisme, une série de trompe-l’oeil


Dans le discours trumpiste, on le sait, l’interruption des flux venus de l’étranger, en premier lieu des marchandises (mais bien sûr aussi des migrants), par l’établissement de tarifs douaniers massifs, est une partie essentielle du programme. Ce protectionnisme présenté sans fard, en rupture ouverte avec le libre-échangisme et le multilatéralisme fondé sur le droit qui domine dans les discours politiques, notamment aux États-Unis, depuis la fin des années 1980, repose pourtant sur une série de simplismes qui relèvent en réalité de la manipulation. 
La première manipulation, c’est l’affirmation que les tarifs reviennent à faire payer les pays étrangers : en réalité, en augmentant les prix des produits importés, le protectionnisme taxe les consommateurs, la plupart du temps sans solution de substitution possible, au moins à moyen terme. Ce sera le consommateur américain qui paiera, en réalité, l’essentiel de la taxe qui prétend viser à re-remplir les coffres de l’État fédéral. Et l’inflation induite tendra très probablement à pousser les salaires à la hausse, ce qui renchérira d’autant les produits fabriqués aux États-Unis, in fine. 
Pourtant, nous dit-on par ailleurs parfois, il s’agit, dans le protectionnisme, de favoriser le producteur plutôt que le consommateur : au moins le tarif douanier protègera-t-il l’entrepreneur national, et donc l’ouvrier national, en limitant la concurrence étrangère ; et puisque le consommateur est toujours soupçonnable de consumérisme servile, la défense du valeureux producteur prolétaire aura bien des chances de séduire. Ce récit-là est faux aussi, bien sûr. Une part essentielle du commerce international relève du commerce entre les firmes, à cause de l’internationalisation des chaînes de valeur (une réalité depuis les débuts de l’industrialisation) : dans un nombre considérable de processus productifs, les composants d’un produit industriel ont été produits dans différents endroits, et ces composants, à leurs différentes étapes d’élaboration, franchissent plusieurs fois les frontières avant d’être incorporés dans le produit final, celui qui va être vendu nationalement ou à l’étranger.
En réalité, donc, le protectionnisme n’oppose pas, comme souvent on le présente de manière très simpliste, les consommateurs et les producteurs, ou bien les exportateurs et les importateurs, mais bien CERTAINS PRODUCTEURS (ceux qui sont le moins internationalisés et aussi les moins compétitifs, qui exportent peu et produisent cher) à CERTAINS PRODUCTEURS (ceux qui sont le plus internationalisés, les plus intégrés dans des chaînes de valeurs internationales et complexes, et souvent les plus compétitifs). Le protectionnisme tend donc aussi à renchérir les coûts de production des entreprises qui produisent dans le pays « protégé », et donc à dégrader sa compétitivité-coût, et finalement ses capacités productives. Pour que le protectionnisme soit effectivement une forte incitation à la relocalisation, il faudrait un taux de protection énorme et une relocalisation massive des chaînes de valeur, ce qui est en réalité très largement inatteignable au moins à moyen terme. Par ailleurs, le protectionnisme nuit aussi dans une large mesure à des firmes « nationales » (c’est-à-dire dont le siège social est dans le pays qui se protège), puisqu’une bonne partie d’entre elles peut être responsable et bénéficiaire, et c’est bien sûr le cas par exemple aux États-Unis, des importations étrangères aux États-Unis, dans la mesure où elles ont délocalisé une partie de leur production pour mieux la réimporter. 
Pour l’essentiel, donc, le protectionnisme est une solution à l’efficacité très douteuse sur le plan économique, même du point de vue des « producteurs » et des travailleurs, au moins pour des pays industrialisés à l’économie complexe et de grande taille, à la fois fortement différenciée et internationalisée. Sa mise en œuvre concrète relève la plupart du temps de l’arbitraire politique, puisqu’il s’agit finalement de choisir entre des intérêts nationaux largement contradictoires et d’en favoriser certains plutôt que d’autres (3). A ce titre, le protectionnisme mène largement au capitalisme de connivence, qui consiste à protéger certains industriels et entrepreneurs au détriment des autres, parce qu’ils sont proches du prince, au prix de l’inflation et de la dégradation de l’efficacité productive, mais aussi bien sûr d’une forme de corruption insidieuse ou évidente. Tout cela est connu, naturellement, et notamment de Donald Trump, ou au moins de ceux qui l’entourent. C’est dire que le cœur du problème n’est pas à une crise du libre-échange et au souhait de lui trouver des solutions. 
Ce n’est à coup sûr pas le protectionnisme qui pourra sortir les électeurs trumpistes les plus défavorisés de leurs difficultés, et l’enjeu en est en fait ailleurs. 

Donald Trump ou le retour de l’empire


Cette contradiction flagrante invite en fait à une tout autre lecture de Trump et du trumpisme : bien loin d’être le symptôme d’une pathologie de la mondialisation libérale, il constitue l’une des émergences les plus spectaculaires du retour des logiques impériales et de la politique d’Ancien régime dans notre monde. L’un des effets de la victoire idéologique temporaire du libéralisme libre-échangiste internationaliste, selon lequel le commerce pacifique et régulé est un jeu à somme positive, et de la pratique politique de l’interdépendance gouvernée, fondée sur la coordination pacifique du commerce dans le cadre d’un droit mis en œuvre par les organisations internationales, a été de nous masquer la longue et puissante persistance de l’Ancien régime impérial dans notre monde. L’empire russe, comme projet politique, a survécu à la disparition de l’Union soviétique, même si ce fut d’abord à bas bruit ; on en voit depuis le début des années 2010 le plein retour de flamme. La République populaire de Chine, au Tibet, en Asie Centrale, en Mer de Chine et dans son organisation intérieure même, malgré son intégration à l’OMC et à d’autres organisations internationales, n’a jamais renoncé non plus à cette modalité d’action politique nationale et internationale, et sa puissance actuelle lui donne les moyens de l’exercer à nouveau, et ouvertement. 
Les menaces trumpiennes sur les tarifs et le commerce s’inscrivent dans une longue tradition, celle de l’instrumentalisation du commerce par des pouvoirs expansionnistes, impériaux, à l’affût d’acquisitions territoriales et de gains juteux au bénéfice de quelques-uns, et où le commerce et la guerre sont les deux outils principaux de la puissance. Cette articulation étroite de la richesse et de la puissance (4), dans laquelle privé et public s’interpénètrent presque complètement, et dont le protectionnisme constitue un pilier, est une des ressources politiques classiques des grandes et des moyennes puissances depuis au moins le XVe siècle, et elle est toujours d’actualité. 
Contrairement à certaines perspectives antiaméricaines, cette posture n’est pas consubstantielle à la position de grande puissance, ou aux États-Unis en eux-mêmes : les États-Unis ont connu aussi, tout au long du XXe siècle, des périodes d’internationalisme particulièrement, sous le président Wilson, sous le président Roosevelt et sous le Président Clinton, et à chaque fois cet internationalisme a correspondu à des périodes de superpuissance américaine et à un effort pour organiser le monde en s’appuyant sur des accords multilatéraux et des organisations internationales d’ampleur mondiale (la SDN, l’ONU, l’OMC) et sur un mode d’organisation qui relevait, au moins pour une bonne part, de  l’interdépendance gouvernée. 
Mais d’autres moments de l’histoire américaine sont plus éclairants pour comprendre notre temps. Donald Trump aime faire référence au président des tarifs, William Mc Kinley, celui qui fit adopter un système de tarifs protectionnistes en 1890. D’une manière plus générale, c’est toute la période 1890-1905 qui fait écho à la nôtre et au moment Trump que nous vivons : ce fut le temps de l’invention du populisme, précisément, comme mouvement politique, une époque de très forte montée en puissance de la xénophobie ouvrière, articulée de manière tout à fait explicite par les principaux syndicats, de très forte croissance de l’extraction des énergies fossiles (le charbon bien sûr, mais surtout le pétrole) aux États-Unis ; ce fut aussi l’époque des « barons voleurs », dont l’énormité de la fortune leur permettait de dicter une partie des choix politique, et des inégalités immenses ; et c’est aussi à cette époque-là que les États-Unis sont devenus formellement un empire (5), en mettant la main sur Cuba et sur les Philippines, et se sont imposés comme une des puissances impérialistes en Chine. C’est dans la continuité de cette veine et sa réactualisation que le populisme étasunien et la politique brutale de Donald Trump – dont les prétentions sur le Groenland et le Panama légitiment de facto la pratique de la prédation de Poutine, les prétentions territoriales de Xi ou l’annexionnisme du sionisme radical – mettent en crise la mondialisation pacifique, libre-échangiste et légaliste par la réaffirmation explicite d’une organisation impériale du monde.

Ce mouvement suscite à plus d’un titre l’effarement. La disparition des empires coloniaux et soviétique au cours des années 1960-1980 ; les deux chocs pétroliers, qui marquèrent la prise d’indépendance des producteurs d’or noir par rapport aux anciens pouvoirs coloniaux et à leurs entreprises et ouvraient la possibilité d’un rééquilibrage économique post-impérial pour certains pays du Tiers monde ; la sortie de la grande pauvreté de plusieurs milliards d’habitants de ce même Tiers monde au cours des décennies 1990-2010, à la faveur de l’organisation internationale de l’interdépendance gouvernée dans le cadre du libre-échange : autant d’évolutions majeures, d’une importance séculaire, qui pouvaient laisser espérer l’entrée progressive dans un monde réellement post-impérial (dont les présidences Obama peuvent apparaître rétrospectivement, jusqu’au risque de la caricature, comme l’acmé), et qui font paraître le retour de l’empire comme une brutalisation particulièrement obscène. 
Pourtant, une partie du discours tenu sur la mondialisation récente, et tout particulièrement dans ses dimensions commerciales, a préparé le terrain à cette réaction.  Le grand rééquilibrage du monde par la convergence internationale moins partielle des niveaux de vie, qui est l’un des acquis majeurs de la période 1990-2020, a précisément été présenté par certains acteurs politiques et intellectuels atlantiques comme un désastre. On a beaucoup utilisé dans ce sens la célèbre courbe de l’éléphant de Milo Brankanovic (6), qui a tenté d’y représenter l’évolution différenciée des revenus dans le monde depuis les années 1970 par décile, pour affirmer que la mondialisation récente avait certes permis de faire sortir de la pauvreté plusieurs milliards de personnes (le dos de l’« éléphant », particulièrement bombé), principalement en Asie du sud et en Asie de l’Est, en augmentant leur revenu de manière spectaculaire, mais que la conséquence en avait été l’appauvrissement des classes moyennes des pays développés (la baisse de la courbe pour les déciles 8 et 9). 

                                                                 Courbe dite "de l'éléphant", de B. Milanovic et C. Lakner 

Sous une forme graphique, c’était la théorie du China Shock fondée apparemment sur d’imparables statistiques : la mondialisation était un jeu à somme nulle, qui avait enrichi la Chine et appauvri les honnêtes travailleurs de l’Occident, du fait de la concurrence et d’un libre-échange immaîtrisé. 
En dehors du fait que cette représentation a été contestée pour certains de ses biais (une erreur statistique concernant le Japon, l’effondrement très spécifique du niveau de vie de certains pays post-soviétiques qui tord la courbe, le fait que le calcul du revenu a été fait par foyer, ce qui produit inévitablement une représentation tordue pour les pays riches, qui ont vu pendant cette époque la taille des foyers se réduire et leur nombre augmenter, et donc leur revenu moyen baisser mécaniquement sans que la mondialisation y soit pour grand-chose…), elle ne dit en réalité pourtant rien d’autre que le fait que la mondialisation a produit un rattrapage au profit d’une partie des plus pauvres, mais qu’elle n’a pas appauvri, loin s’en faut, les classes moyennes des pays développés en termes réels (qui d’ailleurs, au cours de cette période, ont vu par exemple leur espérance de vie fortement augmenter, en moyenne). Les classes moyennes et les travailleurs de l’Atlantique Nord ne se sont pas appauvris, au cours de la mondialisation récente : leur écart de richesse avec les autres classes moyennes du monde a simplement cessé d’être aberrant, et cette évolution reflète en réalité le recul d’une absurde domination fondée sur l’héritage impérial.  
Que penser alors de cette « misère relative », celle de voir sa supériorité par rapport au reste du monde se réduire (7) ? 
Ce rattrapage n’est après tout que le début d’une « grande convergence », 150 ans après la « Grande divergence » au cours de laquelle le niveau de vie et de puissance de l’Atlantique Nord a connu une croissance incomparable à celui du reste du monde, et alors que cette Grande divergence avait été obtenue notamment (mais évidemment pas seulement) par la violence impériale et la mise en dépendance opérée par des Européens, des Américains et des Japonais, principalement. Que l’Asie de l’Est et du Sud comblent une partie de leur retard, à la faveur d’une mondialisation principalement pacifique, par rapport aux pays industrialisés, voilà au fond l’insupportable, pour une partie du corps électoral détourné du sujet des effroyables inégalités internes par la désignation du danger asiatique. Qu’il faille faire une place plus significative aux États d’Asie et d’Afrique dans le cadre de la gestion de l’ordre mondial, voilà qui bien sûr accentue encore un peu plus la crise. Et comme il s’avère que la sortie de l’ordre impérial, dans l’Atlantique Nord, n’est pas qu’une affaire de politique étrangère et de commerce international, mais aussi de politique intérieure et d’ordre social et culturel lorsqu’il s’agit de sortir les anciennes populations colonisées ou esclavagées de leur situation de relégation sociale et économique héritée de la période impériale, on comprend mieux pourquoi ce populisme articule si bien réaction sociétale, suprémacisme racialisé et hostilité au libre-échange.
Trump et le trumpisme sont l’un des visages les plus remarquables de la lutte contre la désimpérialisation du monde. 

Bibliographie

(1) Notamment Rodrik, Dani. La mondialisation sur la sellette: Plaidoyer pour une économie saine. De Boeck Superieur, 2018.

(2) Rodrik, Dani. « Why Does Globalization Fuel Populism? Economics, Culture, and the Rise of Right-wing Populism ». Working Paper. Working Paper Series. National Bureau of Economic Research, juillet 2020. https://doi.org/10.3386/w27526.

(3) Le libre-échangisme britannique du XIXe siècle était ainsi, par exemple, très lié à la contestation radicale, voire républicaine, du mercantilisme de la « Auld Corruption », par lequel les élites politiques, principalement nobiliaires, assuraient leur prospérité et leur reproduction au pouvoir en instrumentalisant les grands marchands de Londres dont ils protégeaient les activités par l’interdiction de toute concurrence en métropole et les monopoles coloniaux au-delà des mers.  

(4) L’historien de l’économie Roy Bin Wong oppose ainsi deux logiques, depuis au moins le début du XIXe siècle, dans l’organisation économique mondiale, wealth and power, soit l’option impérialiste, néo-mercantiliste et élitiste d’un côté, et freedom and plenty, soit l’option internationaliste, légaliste-républicaine et pacifiste de l’autre. Voir « Possibilities of Plenty and the Persistance of Poverty. Industrialization and International Trade », dans Conrad, Sebastian, Jürgen Osterhammel, et Akira Iriye. An Emerging Modern World 1750-1870. Cambridge, Massachusetts: The Belknap Press, 2018.

(5)Ils recouraient bien sûr déjà depuis des décennies, malgré leur origine explicitement anti-impériale au XVIIIe siècle, à toute une série de dispositifs de pouvoir typiquement impériaux, avec le recours à la traite et à l’esclavage et la colonisation massive des terres indiennes. 

(6) Lakner C., Milanovic B. (2013), « Global Income Distribution : From the Fall of the Berlin Wall to the Great Recession », World Bank Policy Research Working Paper n° 6719.

(7) Un autre enseignement de la courbe de Milanovic (qui selon lui d’ailleurs ne vaut que jusqu’en 2008, et plus depuis), est que les classes moyennes atlantiques ont également beaucoup moins amélioré leur niveau de vie que les 5% les plus riches des pays atlantiques, qui, quant à eux, ont probablement tiré un profit disproportionné de la période la mondialisation libérale contemporaine. Encore une fois une misère relative qui pourtant, il faut le noter, ne nourrit qu’une très faible protestation, aux Etats-Unis, contre les ultra-riches, qui sont précisément ceux qui viennent d’être élus à travers Trump et autour de lui.