Delphine O

Promotion 2004 - Lettres

Collection « Trajectoires normaliennes ». Rencontre avec Delphine O, femme politique et ambassadrice, passée par l'ENS en 2004. Elle revient sur ses années à l'École, son goût pour la politique, et le rôle que l'intelligence artificielle peut jouer dans la lutte contre la violence fondée sur le genre en ligne. 
Delphine O
Delphine O

Vous avez intégré l’ENS en section Lettres en 2004. Qu’est-ce qui vous avait donné envie de passer le concours ?

Delphine O : J’ai fait mes études à Lyon, en filière L (littéraire) au lycée, et entendu parler de Normale Sup par mes professeurs et mes parents. Avant d’arriver en classe préparatoire à Paris, je n’avais pas vraiment d’idée claire sur le concours, l’École, la scolarité, les débouchés… C’était bien sûr la voie royale pour les études littéraires, mais j’ai passé le concours sans savoir vraiment vers quelle carrière je souhaitais m’orienter. Je suis rentrée avec une spécialisation en allemand, et ai rapidement réalisé que l’enseignement n’était pas pour moi. Avec des expériences diverses, notamment un stage en ambassade, j’ai réalisé que je souhaitais travailler pour l’intérêt général, avec une dimension internationale.

Que retenez-vous de ces années ?

Delphine O : Je dois dire que j’ai été une élève peu présente sur le campus… J’ai alterné une première année à Ulm (principalement passée à la Sorbonne Nouvelle pour préparer mon master 1, car il n’y avait pas d’équivalence à l’époque !), puis une année en échange académique à Berlin, un retour à Paris, et de nouveau une année de césure en stage en ambassade en Corée du Sud. Après les deux années de classe préparatoire, j’avais une soif d’ailleurs, et aucune envie de continuer à m’enfermer dans quatre murs. 
Je retiens de mes cours à l’ENS une grande qualité académique, un choix de cours paradoxalement très libre (j’avais suivi à la fois une introduction au droit constitutionnel, un cours sur le cinéma allemand et repris des cours de mathématiques), mais un manque de suivi ou de cohérence dans le parcours pédagogique de chacun et chacune. J’imagine que cela a bien changé !

Vous avez été députée, puis ambassadrice, secrétaire générale du Forum Génération Égalité, la plus grande conférence internationale pour l’égalité de genre organisée sous les auspices d’ONU Femmes. Comment est né votre goût pour la politique ? Et la volonté de défendre les droits des femmes ?

Delphine O : J’ai toujours été intéressée par la « chose publique », mais dans une dimension internationale qui est inhérente à mes origines et mon parcours. Mon expérience de députée, en politique nationale, est due à des rencontres et un engouement particulier pour le projet d’En Marche en 2016 et 2017… et à un peu de hasard qui m’a fait devenir suppléante de Mounir Mahjoubi, et siéger à l’Assemblée lorsqu’il était secrétaire d’État. Depuis 2019, je suis ambassadrice pour la diplomatie féministe au ministère des Affaires étrangères. Ce poste de représentation et de négociation me permet de combiner ma passion des relations internationales et mes convictions féministes. Aujourd’hui, encore plus qu’il y a dix ou vingt ans, les droits des femmes sont en régression, attaqués de toutes parts par des conservatismes réactionnaires qui estiment qu’« on est allés trop loin »… alors qu’il faudra encore 130 ans pour atteindre la parfaite égalité de genre !

Lors du sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle organisé à Paris en février 2025, vous organiserez l’événement du « Laboratoire pour le droit des femmes en ligne » à l’ENS. Comment l’IA s’est-elle intégrée à votre parcours ?

Delphine O : La France a adopté une diplomatie féministe en 2019. Concrètement, cela signifie que nous devons intégrer les droits des femmes et des filles dans toutes les composantes de notre action internationale : la diplomatie économique et commerciale, la lutte contre le changement climatique, notre politique de résolution des conflits, notre politique d’influence culturelle, et…. notre diplomatie numérique. Dès 2023, je me suis intéressée à la manière dont le numérique impacte les inégalités de genre, et comment les droits des femmes et des filles sont pris en compte dans cet environnement. L’IA en est une manifestation parmi d’autres, mais elle est particulièrement cruciale dans la mesure où elle façonne la société de demain. Dans un contexte global d’attaques contre les droits humains et du retour d’un impérialisme sauvage – qui n’est pas déconnecté d’une masculinité toxique qui s’étale sans vergogne-, il est essentiel de s’assurer que la conception des modèles d’intelligence artificielle n’exacerbe pas davantage les discriminations, les violences et les inégalités entre femmes et hommes.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce laboratoire ? Selon vous, en quoi l’IA permet-elle de trouver des solutions innovantes pour lutter contre les violences en ligne fondées sur le genre ?

Delphine O : Le « Laboratoire pour les droits des femmes en ligne » a été lancé par la France en 2023. C’est la première, et la seule, plateforme internationale de collaboration et d’échanges de bonnes pratiques pour lutter contre les cyberviolences de genre, qui réunit des Etats, des organisations internationales, des plateformes de la tech, des chercheurs et des ONG spécialisées dans les cyberviolences. C’est aussi un incubateur de projets : chaque année, nous lançons un appel à projets qui sélectionne quelques ONG qui portent un projet de solution technique et innovante pour mieux éliminer les violences en ligne. Ces ONG sont principalement issues de pays du Sud et ont besoin d’un soutien technique et financier pour développer leur solution. L’IA peut être utilisée pour amplifier et faciliter le travail de détection des contenus haineux et/ou illégaux, du harcèlement, et les supprimer rapidement. Elle est aussi utilisée par des chatbots pour répondre à des victimes de cyberviolences, en leur indiquant les ressources (associatives, judiciaires, médicales, psychologiques) à leur disposition.  

Biographie 

Delphine O est ambassadrice et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères depuis 2019. Elle a dirigé la conception et l’organisation du Forum Génération Égalité, la plus grande conférence sur l’égalité de genre et les droits des femmes depuis 1995, qui a eu lieu à Paris en juin 2021. Le Forum a mobilisé 40 milliards de dollars et des milliers d’engagements de la part d’États, d’organisations internationales, d’ONG, d’entreprises et de fondations philanthropiques, pour faire avancer l’égalité de genre dans les cinq prochaines années.
Elle enseigne à Sciences Po dans le Master Human rights and Humanitarian Action de l’école des affaires internationales (PSIA) un cours sur la diplomatie féministe. En 2023, elle a publié le livre « La diplomatie féministe est un sport de combat » aux éditions Tallandier.
Auparavant, de 2017 à 2019, Delphine était députée de Paris pour La République en Marche, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, présidente du groupe d’amitié France-Iran et rapporteure de la mission sur les enjeux stratégiques en mer de Chine du Sud.
Diplômée de l’École Normale Supérieure et de la Harvard Kennedy School, Delphine O a travaillé à l’ambassade française à Séoul et au Consulat général de New York, pour le think tank Stimson Center à Washington et l’ONG ActionAid en Afghanistan. Cofondatrice du site d’information Lettres Persanes, elle s’est spécialisée sur l’Iran et du Moyen-Orient, mais également les affaires européennes, la Russie et la mer de Chine.
Delphine est French-American Young Leaders 2019 et Munich Young Leader 2019. Elle est membre du Conseil du Council of the European Council on Foreign Relations (ECFR), administratrice de l’Institut des Relations Internationales et Strétagiques (IRIS), membre du conseil d’orientation stratégique du German Marshall Fund (GMF) Paris, présidente honoraire de l’Institut du Genre en Géopolitique et membre du Conseil d’orientation d’Open Diplomacy. Elle fait partie des « 40 femmes Forbes » en 2021.