ENS - Princeton Graduate School

À l’occasion des 100 ans d’un partenariat exemplaire, diplomates et bénéficiaires donnent leur point de vue et partagent leurs expériences

Créé le
20 mars 2023
La reconduction, le 17 mars 2023, du partenariat entre l’École normale supérieure et la Graduate School de Princeton, est l’occasion d’en illustrer la vigueur par les témoignages de diplomates et les points de vue personnels d'alumni, bénéficiaires de la bourse « Jane Eliza Procter ».
Pr. Rodney D. Priestley, Dean of Princeton University Graduate School et Pr. Frédéric Worms, directeur de l'ENS
Pr. Rodney D. Priestley, Dean of Princeton University Graduate School et Pr. Frédéric Worms, directeur de l'ENS - © Frédéric Albert pour l'ENS-PSL

Une incroyable histoire entre deux établissements

Deux diplomates, Michael Turner et Gaétan Bruel (Lettres, 2009) soulignent le caractère exceptionnel de ce partenariat, entre deux institutions singulières, dans le cadre de la longue histoire d’amitié entre la France et les États-Unis.

Michale Turner, Counselor for Cultural Affairs à l’Ambassade américaine à Paris
Michael Turner
Counselor for Cultural Affairs
Ambassade américaine à Paris

« Les échanges culturels qu’entretiennent la France et les États-Unis s’inscrivent dans une incroyable histoire d’amitié.

Nos deux pays ont noué des liens très forts, très étroits qui s’enracinent dans des moments décisifs du passé et nous engagent pour le futur, dont l’un des enjeux est la défense de la démocratie.

Le partenariat entre l’ENS et Princeton est une remarquable illustration de la permanence de nos échanges et de l’implication nécessaire des deux partenaires. Par expérience, je sais que seuls la volonté et l’engagement de chacune des deux parties peuvent maintenir actif un tel partenariat pendant un siècle. Cela nécessite un gros travail, l’implication de tous : des administrateurs, des professeurs et des étudiants.

Princeton et l’ENS ont des pouvoirs d’attraction différents qui ne se sont pas démentis depuis un siècle. Chaque étudiant, qu’il soit français ou américain, attend de cette expérience universitaire quelque chose de particulier sur le plan académique, linguistique ou émotionnel, mais quelle que soit son attente personnelle, il découvrira une autre culture. Cette connaissance mutuelle est le fondement des liens d’amitié. »

Gaétan Bruel, Conseiller culturel auprès de l'Ambassade de France aux Etats Unis et Directeur de la Villa Albertine
Gaétan Bruel
Conseiller culturel, Ambassade de France aux États-Unis
Directeur de la Villa Albertine

« Les échanges universitaires entre la France et les États-Unis s’inscrivent aujourd’hui dans un paysage en pleine reconfiguration. L’Europe n’est plus au centre du monde, le regard des jeunes Américains a changé, ils ne rêvent plus seulement d’aller à Paris, mais se tournent vers l’Asie, l’Amérique latine ; toutefois, les États-Unis demeurent pour les jeunes Français un pays majeur, toujours prescripteur.

Dans ce monde changeant, il est d’autant plus notable de souligner le lien privilégié existant entre l’ENS et Princeton, un lien durable qui se nourrit de la singularité que ces deux établissements ont réussi à préserver.

Princeton n’est pas seulement une des meilleures universités américaines, c’est également un écosystème privilégié, un modèle de formation par la recherche. Il en est de même pour l’ENS, les étudiants y sont confrontés au meilleur de la recherche dans toutes les disciplines. Les deux établissements ont en commun d’avoir su maintenir leurs spécificités à un niveau d’excellence. »

 

Conseiller culturel de l’ambassade de France aux États-Unis, Gaétan Bruel (Lettres, 2009) est aussi représentant permanent des universités françaises aux États-Unis. Il est en poste depuis 2019.

 

Une parenthèse décisive, témoignages d'alumnae

Alumnae ENS et bénéficiaires de la bourse « Jane Eliza Procter », Béatrice Longuenesse (Lettres, 1969) et Monica Michlin (Lettres, 1986) témoignent de l’importance décisive de leur année passée à Princeton sur la suite de leur carrière. Elles se souviennent d'une parenthèse exceptionnelle, sur un campus aux nombreux attraits.

 

« Est-ce que cela vous intéresse de partir aux États-Unis ? »

 

Nous sommes en 1979. Béatrice Longuenesse, élève de l’ENSJF de Sèvres, a 29 ans et termine sa thèse sur « Hegel et la critique de la métaphysique » lorsque la direction de l’ENS propose sa candidature. « Est-ce que cela vous intéresse de partir aux États-Unis ? » lui demanda Claude Imbert, alors professeur de philosophie à l’ENS. Sa réponse fut enthousiaste : « à l’âge de 17 ans, j’avais passé un été dans une famille à Long Island, c’était la période des luttes contre la guerre du Vietnam, contre le racisme. J’étais fascinée par les États-Unis. Par ailleurs, le département de philosophie de Princeton était l’un des plus prestigieux. Tout m’attirait. J’ai été éblouie par la générosité de cette bourse, par le campus, les moyens mis à disposition des étudiants et la tolérance de l’institution. En toute liberté, j’y ai terminé ma thèse et j’ai découvert une autre culture universitaire, la culture de la discussion, l’importance accordée à l’analyse des concepts et l’examen de la validité des arguments soutenant telle ou telle thèse philosophique. »

J’ai été éblouie par la générosité de cette bourse, par le campus, les moyens mis à disposition des étudiants et la tolérance de l’institution

Béatrice Longuenesse fut la première femme à bénéficier de la bourse « Jane Eliza Procter ». À l’issue de cette année, elle regagna la France pour y enseigner la philosophie, mais en 1992, l’Amérique lui fait signe à nouveau. « Mon intention n’était pas d’y retourner, mais alors que je soutenais ma thèse d’État sur Kant, Princeton m’a invitée pour une année, d’abord en tant que professeur associé puis comme « full professor » et j’y ai enseigné jusqu’en 2004. Ils se souvenaient de moi et étaient intéressés par mes recherches dans un domaine, celui de l’histoire de la philosophie allemande, en particulier Kant et l’idéalisme allemand, pour lequel, depuis plusieurs années, ils cherchaient à recruter un nouvel enseignant. » Après 11 ans à Princeton j’ai choisi de répondre à l’offre de la NYU où j’ai enseigné jusqu’en 2020. À Princeton, et plus encore à NYU, j’ai pu élargir mon domaine de recherche à la philosophie contemporaine du langage et de l’esprit, domaine dans lequel NYU a une équipe d’enseignants et de chercheurs mondialement connus. »

Professeur Béatrice Longuenesse
Pr. Béatrice Longuenesse
Philosophe
New York University

Béatrice Longuenesse est Silver Professor, professeur de philosophie émérite et membre de l'American Academy of Arts and Sciences.


Ses deux premiers livres, résultant respectivement de sa thèse de 3e cycle et de sa thèse d’État, sont parus en français : Hegel et la Critique de la métaphysique (Vrin 1981, 2e édition, 2015) et Kant et le Pouvoir de juger (PUF 1993).


Après leur première publication en français, ils furent remaniés et traduits en anglais : Kant and the Capacity to Judge (Princeton University Press, 1998) ; Hegel's Critique of Metaphysics (Cambridge University Press, 2007).


Elle a en outre publié Kant on the Human Standpoint (Cambridge University Press, 2005) ; I, Me, Mine. Back to Kant, and Back again (Oxford University Press, 2017) ; The First Person in Cognition and Morality (Oxford University Press, 2019).


Elle a codirigé avec Daniel Garber Kant and the Early Moderns (Princeton University Press, 2008) et a édité Le Moi/the Self/le Soi (un numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale, 2010-4).

 

 

« J’ai découvert le campus de Princeton : c’était un décor de cinéma »

 

Jeune agrégée d’Anglais, Monica Michlin quitte Paris et l'ENS pour l’Université de Princeton ; elle y passera l’année universitaire 1989-1990. « Je suis très reconnaissante à mon caïman, Pierre-Yves Pétillon, professeur de littérature américaine à l’ENS, de m’avoir sélectionnée. Je connaissais déjà les États-Unis, mon père étant américain, mais j’ai découvert le campus de Princeton : c’était un décor de cinéma, un cadre magnifique dans une petite ville cossue, des pelouses bien tondues, un dining hall impressionnant dans une structure cathédrale de style gothique, la merveilleuse bibliothèque sur le campus principal, lieu magique où l’on pouvait chercher les livres par nous-mêmes et ce faisant, en découvrir d’autres… »

 Dans le cadre de ce campus légendaire, Monica Michlin rédige son DEA sur « la voix entre logorrhée et aphasie dans l’œuvre de Saul Bellow* », étant entendu que ce serait également son sujet de thèse. Mais la rencontre avec Toni Morrison va être décisive. Cette dernière était alors professeure et writer-in-residence à Princeton.

Ce fut pour moi un moment charnière, marqué par ma rencontre avec Toni Morrison à l’automne 1989.

« Pierre-Yves Pétillon m’avait donné une lettre d’introduction grâce à laquelle Toni Morrison m’a accordé un entretien, lors duquel je lui ai dit combien ses premiers romans m’avaient marquée et combien j’avais été bouleversée par Beloved, roman pour lequel elle venait de recevoir le Prix Pulitzer. Elle m’a alors encouragée à écrire ma thèse sur son œuvre, ce que j’ai vécu comme une chance inouïe et comme une invitation que mon caïman ne pourrait refuser. À mon retour à Paris, j’ai pu entamer ma thèse, intitulée « Toni Morrison et les voix interdites », référence à la fois à la voix que Morrison donne aux sujets africains-américains et tout particulièrement aux femmes noires dans son œuvre, à l’aspect dialogique de son œuvre et à son intertexte littéraire.

J’ai eu l’honneur de rencontrer Toni Morrison à de multiples reprises pendant l’écriture de ma thèse (soutenue en janvier 1996), et notamment, de suivre durant un semestre son séminaire à l’ENS alors qu'elle venait de recevoir le Prix Nobel de littérature. Ses romans et ses essais ont marqué durablement l’histoire de la littérature américaine. Au-delà, son écriture émancipatrice garde toute sa puissance pour la jeune génération et pour les générations futures, au moment même où différents États du Sud (comme la Floride), en interdisant l’approche dite critical race theory, cherchent en réalité à décourager que l’on regarde en face ce que fut l’esclavage, y compris à l’université, que ce soit en cours d’histoire, ou de littérature. »

Saul Bellow (1915-2005) a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1976 et Toni Morrison (1931-2019) en 1993

 

Monica Michlin
Pr. Monica Michelin
Études anglophones
Université Paul Valéry (Montpellier 3)

 

Monica Michlin est présidente d’honneur de l’Association Française d’Études Américaines (AFEA) et représentante de l’AFEA auprès du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France ; elle est membre du Collegium for African-American Research.


Elle a publié des articles en littérature africaine-américaine sur Toni Morrison, Ernest Gaines, Sapphire, Phyllis Alesia Perry (et d’autres), ainsi que la monographie Jean Toomer : Cane (Paris : Didier érudition, 1997).


Elle a enseigné en licence, en séminaire de Master et en agrégation des cours sur Toni Morrison, et coorganisé avec Claudine Raynaud le colloque international « Toni Morrison’s Song of Solomon, Two Generations Later », les 24-25 septembre 2020, à l’Université Paul-Valéry Montpellier.


Elle dirige ou codirige des masters et des thèses en littérature africaine-américaine (sur Morrison, sur Richard Wright) et coorganise actuellement le colloque Black Lives Matter : Political and artistic mobilization against systemic racism in the US and the UK qui se tiendra en mai 2024 à Montpellier.

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