« L’économie peut contribuer à l’amélioration des politiques publiques et donc à l’amélioration de la société »
	
			
             Entretien avec Gabriel Zucman, professeur d’économie à l’ENS-PSL et à l’initiative de la « taxe Zucman »
      
		
		
	
			Pourquoi devient-on économiste ? Comment contribue-t-on à la société quand on étudie l’économie ? Qu’est-ce que la taxe Zucman ? Ce sont autant de questions auxquelles Gabriel Zucman, économiste et professeur d’économie à l’École normale supérieure, répond dans cet entretien.
Vous êtes économiste, lauréat de plusieurs prix prestigieux récompensant vos recherches. Vous êtes-vous toujours destiné à une carrière d’économiste ? Quel a été le moteur de votre intérêt pour cette discipline ?
Gabriel Zucman : Comme le sont souvent les chercheurs en sciences sociales, j’ai été influencé par le contexte dans lequel j’ai fait mes études – soit dans mon cas celui de la crise financière de 2008-2009. J’avais 21 ans à l’époque, et cette crise économique considérable, avec ses répercussions pour des millions de gens dans le monde m’a donné envie de me plonger dans l’économie et la recherche. Je me suis rendu compte qu’on ne pouvait pas comprendre un phénomène comme la crise financière sans faire un travail approfondi : c’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser aux statistiques internationales sur les flux de capitaux, les balances des paiements, les positions internationales des pays dans lesquels on voit des centaines de milliards de dollars ou d’euros qui transitent par les paradis fiscaux, les îles Caïman, le Luxembourg. J’avais envie de mieux comprendre ce qui se passait, quelle avait pu être la contribution des paradis fiscaux, des centres financiers offshore à l’instabilité financière.
Vous êtes professeur d’économie à l’ENS depuis 2023. Quels principes souhaitez-vous transmettre à vos étudiants et étudiantes ?
Gabriel Zucman : Je veux d’abord les encourager à étudier l’économie, et les convaincre que c’est une discipline riche de la diversité des approches méthodologiques qu’elle permet de mettre en œuvre. Cela permet de progresser, modestement, vers de meilleures réponses aux grandes questions et enjeux de notre époque. Je les pousse à partir de ces grandes questions : pourquoi y a-t-il de la pauvreté, quelles sont les grandes tendances dans les évolutions des inégalités dans les économies capitalistes, quelles sont les sources de l’instabilité financière ? De façon pragmatique, on peut ensuite piocher dans les différentes méthodologies et techniques que les économistes ont pu construire pour essayer d’y apporter des réponses, sans être forcément prisonnier d’une approche unique, mais au contraire en essayant d’utiliser les approches les plus pertinentes selon la question posée.
Vous avez été l’élève de Daniel Cohen, économiste à PSE, disparu en août 2023. Quel est l’héritage de ses travaux dans le monde de la recherche en économie ?
Gabriel Zucman : Daniel Cohen a porté très haut une certaine vision des sciences sociales, selon laquelle on étudie l’économie, et la société plus généralement, pour contribuer à deux choses. D’abord, à un débat démocratique plus informé et donc à la vie démocratique des pays dans lesquels on vit. Ensuite, à un niveau très modeste, cette recherche peut contribuer à l’amélioration des politiques publiques et donc à l’amélioration de la société. Dans sa recherche et dans son action, il a poussé très loin cet idéal-là. Je m’inscris dans cette tradition intellectuelle. Il y en a beaucoup d’autres dans les sciences sociales, mais celle-là m’a particulièrement influencé – comme d’autres élèves qu’il a eus, Esther Duflo par exemple pour ne citer qu’elle. 
Vous êtes à l’initiative de la proposition de loi visant à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros en France, adoptée à l’Assemblée nationale le 20 février 2025. Quel a été le constat à l’origine de cette proposition ? Quels sont les objectifs de cette taxe ?
Gabriel Zucman : Le constat est le suivant : les plus grandes fortunes françaises ont des taux effectifs d’imposition nettement inférieurs à ceux des autres catégories de la population, ce qui représente une violation du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt. La façon la plus efficace de résoudre ce problème consiste à créer un taux minimum d’imposition exprimé en pourcentage du patrimoine, qui est bien plus difficile à manipuler que le revenu. C’est une proposition très modeste : la mise en place de cet impôt ne stabiliserait pas les inégalités de patrimoine mais ralentirait seulement le rythme de leur augmentation. Sont donc conçus deux objectifs : régler un problème d’inégalité fiscale, et rapporter de l’argent afin de financer notamment les investissements nécessaires dans l’éducation et la santé.
À propos de Gabriel ZucmanGabriel Zucman est né en 1986. Il est professeur d’économie à l’ENS-PSL et à la Paris School of Economics, Summer Research Professor à l’Université Berkeley et fondateur de l’EU Tax Observatory. Il est l’auteur de plusieurs articles publiés dans des revues telles que le Quaterly Journal of Economics, la American Economic Review et la Review of Economic Studies, et de deux livres. Ses recherches portent sur l’accumulation, la distribution et la taxation de la richesse mondiale, et ont renouvelé l’analyse des implications macroéconomiques et distributives de la mondialisation.  | 
 
 
