« À l'ENS, la cinéphilie a précédé les études cinématographiques »
Le ciné-club de l'ENS, un espace d'échanges culturels
La légende dit que leur projecteur 35mm leur vient de la Cinémathèque française Henri Langlois installée au 29, rue d’Ulm (1955-1963).
Le Ciné-Club de l’ENS est l’un des clubs des plus anciens de l’École. Grâce à l’action volontaire et bénévole des étudiants, l'association assure la continuité avec une cinéphilie normalienne, engagée et passionnée.
Pouvez-vous nous rappeler l'histoire du Ciné-Club de l’ENS ?
L'équipe du ciné-club : Les archives que nous avons conservées remontent aux années 1970, et laissent à penser que les activités du club, l’un des plus anciens de l’École, étaient encore plus anciennes, mais il est difficile de savoir quand il est apparu exactement. Il semble néanmoins qu’il n’existait pas encore lorsque la Cinémathèque française Henri Langlois résidait au 29, rue d’Ulm (1955-1963). L’organisation du Ciné-Club semble avoir évolué, comme son nom et son logo : « Cinéma Parallèle de la Rue d’Ulm » (1971-1972) puis « Club Ciné » (fin 1980) enfin Ciné-Club de l’ENS.
La rue d’Ulm est historiquement un lieu de rendez-vous pour les cinéphiles, avec La Cinémathèque française Henri Langlois qui s’y installa en décembre 1955. Est-ce que le Ciné-club de l’ENS est une façon pour vous de rendre hommage à cet héritage ?
L'équipe du ciné-club : La filiation avec la Cinémathèque française Henri Langlois est pertinente. Elle est d’abord matérielle : les projections en 35mm, qui font la spécificité du Ciné-Club de l’ENS, sont possibles parce que nous avons hérité d’un projecteur 35mm venu, semble-t-il, de la Cinémathèque française. D’après un témoignage d’Albert Fert, bien des normaliens de la rue d’Ulm assistaient et participaient aux projections de la Cinémathèque lorsqu’elle était au 29, rue d’Ulm, et son départ a certainement entraîné un désir de retrouver un lieu où faire perdurer la cinéphilie normalienne. La direction de l’ENS avait elle aussi conscience de ce lien : ainsi, le 14 juin 1999, lors de la réouverture de la salle Jules Ferry, ancienne salle de la Cinémathèque, qui donne lieu à une projection, Etienne Guyon, alors directeur de l’École normale supérieure (1990-2000), fait explicitement lien avec les soirées de la Cinémathèque auxquelles il dit avoir assistées lorsqu’il était lui-même élève, entre 1955 et 1959.
Une différence essentielle existe néanmoins entre le Ciné-Club et la Cinémathèque : le Ciné-Club n’a pas de mission patrimoniale. Cependant, d’après nos archives, entre 1970 et les années 2000, les membres du Ciné-Club ont régulièrement mis en place des séminaires pour éduquer au cinéma puis ont milité auprès de l’administration pour que se constituent des cours puis une section de cinéma au sein de l’École, à une période où le cinéma n’était pas encore enseigné à l’ENS. C’était d’une manière poursuivre une mission « pédagogique » de la Cinémathèque. Le Ciné-club a ainsi pu construire au fil des années une longue histoire d’accueil des cinéastes à l’ENS : Marguerite Duras, Alain Resnais, Bertrand Tavernier ou encore Abbas Kiarostami ont pu y présenter leur œuvre.
Que représente pour vous la présence d'un ciné-club dans un établissement supérieur ?
L'équipe du ciné-club : La présence d’un ciné-club dans un établissement supérieur rappelle que pendant longtemps le cinéma n’était pas une discipline reconnue, et que sa présence dans l’espace universitaire dépendait de l’action volontaire et bénévole des étudiant·e·s, que la cinéphilie d’une certaine façon a précédé l’étude cinématographique. C’est aussi une manière de proposer un espace où se retrouver pour profiter d’une projection et de discuter du cinéma, sans que cela ne prenne la forme d’un cours, qui soit ouvert à des profils variés, plus ou moins cinéphiles, et sans qu’il n'y ait d’obligation d’assiduité.
Pourquoi vous êtes-vous engagés dans cette association ?
L'équipe du ciné-club : La passion du cinéma motive chacun·e d’entre nous à s’engager dans l’association, et la volonté de faire perdurer l’existence du Ciné-Club de l’ENS motive sans doute à rester au sein de l’association sur le temps long (certain·e·s d’entre nous aident au bon fonctionnement du Ciné-Club alors qu’ils ne sont plus en scolarité). La volonté d’apprendre à utiliser un projecteur 35mm est aussi un des ressorts de l’engagement au Ciné-Club. Mais ce sont aussi tous les ressorts classiques d’un engagement étudiant associatif qui peuvent jouer, comme la volonté d’appartenir à une petite communauté pour mieux s’intégrer lorsqu’on est en première année.
Comment les membres du club choisissent-ils les films ?
L'équipe du ciné-club : Le Ciné-Club de l’ENS paie les droits de diffusion des films qu’il projette, comme il se doit. Cela implique de passer par une association de ciné-clubs nommé Interfilm qui négocie auprès des distributeurs des tarifs préférentiels. Cela nous facilite énormément la vie ; il serait très difficile de contacter, à chaque fois, le distributeur des films. Néanmoins, cela impose un certain nombre de contraintes. D’abord, de temps : nous sommes obligés de fixer notre programmation à l’avance puisque nous passons par un intermédiaire ; mais aussi de choix, ce qui est plus embêtant : tous les films ne sont malheureusement pas accessibles, notamment les films récents, de production indépendante ou les films dont la distribution en France est moins bien assurée.
Le processus de sélection en interne est assez libre : les membres qui souhaitent présenter et animer une séance proposent un film. Les choix sont très hétéroclites et personnels : l'idée est de partager avec le public un film qui nous a particulièrement touchés. En fonction des disponibilités et des droits, nous établissons ensuite un calendrier. Enfin, nous favorisons au maximum les partenariats internes ou externes, en laissant les partenaires choisir le film qui leur convient selon le thème retenu. Cela permet de construire un espace ouvert à tous·tes (étudiant·e·s ou non, normalien·ne·s ou non) où construire collectivement sa cinéphilie, c'est-à-dire sans programmation unilatérale portant un discours sur le cinéma (par exemple via des cycles thématiques), mais en fonction des propositions et des intérêts de chacun·e - en somme, une cinéphilie « par ricochets ».
Dans l’époque actuelle, quelle est l’importance et la place des salles obscures ?
L'équipe du ciné-club : Aujourd’hui, la cinéphilie est modifiée par de nouvelles pratiques : l’essor des séries, le petit écran, les plateformes de cinéma à la demande, le streaming... La distribution des films est de plus en plus monopolisée. Nous ne cherchons pas à lutter contre cela, bien au contraire, mais à conserver une autre pratique du cinéma : voir des films de patrimoine, mais pas seulement, d'une traite, sans mettre "pause", dans une salle obscure, avec d’autres amateur·rice·s, et si possible en 35mm, c’est-à-dire voir des films dans les conditions pour lesquelles ils ont été réalisés.
Les coups de cœur du ciné-club
- En salle : Une bataille après l’autre (2025), Paul Thomas Anderson, et Valeur sentimentale (2025), Joachim Trier
- Rétrospective (avec exposition) : My name is Orson Welles (Cinémathèque française)
- Exposition : Le Paris d’Agnès Varda, de ci, de-là (Musée Carnavalet)
- Films restaurés : Le Joli Mai (1963) , Chris Marker, ou Pink Floyd: Live at Pompeii (1972) Adrian Maben
- Théâtre : adaptation et mise en scène de Welfare de Frederick Wiseman par Julie Deliquet au Théâtre Gérard Philippe
CINE-CLUB ENS , Mode d’emploi Quand ? Les projections ont lieu généralement le mercredi à 20h. Pour rejoindre le club |
