« L’océan est un acteur majeur du système climatique et joue un rôle essentiel dans l’atténuation du réchauffement »
Entretien avec Laurent Bopp, climatologue et océanographe à l'ENS-PSL
Quel rôle l'océan peut-il jouer dans l'atténuation du réchauffement climatique ? Qu'est-ce que le cycle carbone ? La France est-elle sensible aux enjeux liés à l'océan ?
Ce sont autant de questions auxquelles Laurent Bopp, climatologue et océanologue, Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique de l’Institut Pierre-Simon Laplace, répond dans cet entretien donné à l'occasion du forum des transitions du CERES de mai 2025 sur le thème « Utiliser l’océan pour y stocker plus de carbone : solution miracle pour sauver le climat ou fausse bonne idée ? ».
Pouvez-vous vous présenter ?
Laurent Bopp : Tout a commencé à l’École normale supérieure, où j’ai intégré le département de Géosciences — encore appelé à l’époque TAO, pour Terre-Atmosphère-Océan — en tant que jeune normalien en 1994. C’est dans ce cadre, grâce à quelques cours marquants et à des enseignants remarquables, que j’ai choisi de m’orienter vers la climatologie et l’océanographie. Après une thèse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, suivie d’une expérience à l’étranger, j’ai intégré le CNRS en 2003. En 2017, je suis revenu à l’ENS, attiré par l’opportunité de m’impliquer dans l’enseignement et par la richesse des échanges interdisciplinaires qu’offre l'environnement de l'école.
Quel rôle les océans peuvent-ils jouer dans le ralentissement du réchauffement climatique ?
Laurent Bopp : Je préfère parler de l’océan, au singulier, pour souligner que tous les bassins sont interconnectés et échangent en permanence matière et énergie. L’océan est un acteur majeur du système climatique et joue un rôle essentiel dans l’atténuation du réchauffement. Chaque année, il absorbe plus de 25 % de nos émissions de CO₂, ce qui freine l’accumulation de ce gaz dans l’atmosphère. Il stocke également plus de 90 % de la chaleur excédentaire générée par l’augmentation des gaz à effet de serre. Comprendre et anticiper le changement climatique est donc impossible sans prendre pleinement en compte le rôle central de l’océan.
Vos recherches portent notamment sur le cycle carbone de l'océan. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ? Pourquoi ce sujet d'étude ?
Laurent Bopp : Le cycle du carbone océanique est passionnant à bien des égards. Son étude permet de répondre à des questions majeures, comme l’évolution du puits de carbone océanique — qui ralentit le changement climatique — ou les effets de l’acidification de l’océan sur les écosystèmes marins, causée par l’absorption de CO₂. Sa compréhension mobilise de nombreuses disciplines : la biologie et l’écologie pour le rôle central du phytoplancton et du zooplancton, la physique pour la circulation océanique qui redistribue le carbone, et la chimie car le CO₂, une fois dissous, entre dans des réactions acido-basiques clés. Enfin, ce cycle agit sur des échelles de temps très diverses : au-delà du changement climatique actuel, il est aussi crucial pour comprendre les grandes variations climatiques du passé, comme les cycles glaciaires et interglaciaires.
Le forum des transitions, organisé par le Centre de formation sur l'environnement et la société (CERES) en mai 2025 portait sur le thème « Utiliser l'océan pour y stocker plus de carbone : solution miracle pour sauver le climat ou fausse bonne idée ? ». Quels étaient les objectifs de cette conférence ?
Laurent Bopp : Il s’agissait d’explorer les méthodes d’élimination du dioxyde de carbone fondées sur l’océan (ou marine carbon dioxide removal, mCDR). Depuis plusieurs décennies, et compte tenu des propriétés uniques de l’océan, diverses techniques ont été envisagées pour en accroître la capacité de stockage du carbone. Celles-ci vont de méthodes controversées, comme la fertilisation artificielle en ajoutant du fer pour stimuler le phytoplancton, à des approches plus consensuelles, telles que la restauration ou la conservation des écosystèmes côtiers (mangroves, herbiers marins…). Cette conférence visait à faire le point sur ces solutions, à en discuter les limites et les enjeux, en croisant les regards scientifiques, industriels, politiques et sociétaux.
La France vous semble-t-elle sensible à ces enjeux ?
Laurent Bopp : Sans doute encore bien trop peu ! La France est pourtant une grande nation maritime, avec la deuxième plus vaste zone économique exclusive (ZEE) au monde, répartie sur l’ensemble des bassins océaniques. Cette ZEE abrite une biodiversité exceptionnelle, constitue un puits de carbone majeur et offre des opportunités considérables, notamment en matière d’énergies marines renouvelables. Pourtant, la place de l’océan dans le débat public et politique reste marginale. En tant que scientifiques et océanographes, nous avons la responsabilité de faire émerger ces enjeux dans les discussions, de rappeler l’importance de protéger l’océan pour les nombreux services qu’il rend, et enfin d’éclairer les choix liés à son utilisation.
