Le rôle des citoyens-sismologues dans la caractérisation du séisme d’Haïti de 2021

Le 14 août 2021, Haïti était de nouveau frappé par un tremblement de terre majeur, onze ans après celui, dévastateur, du 12 janvier 2010. Malgré un accès au terrain rendu difficile par l’insécurité et l’absence d’un réseau sismologique conventionnel opérationnel, une équipe internationale, impliquant des scientifiques français de l’ENS-PSL, de l’Université Côte d’Azur, de l’IRD et du CNRS, a pu caractériser ce séisme en quelques jours grâce à des « citoyens-sismologues ». Cette étude, une première mondiale, est publiée dans la revue Science, le 10 mars 2022.
Séisme

Quand les citoyens appuient les scientifiques

La mise en œuvre de stations sismologiques conventionnelles dans un pays tel qu’Haïti fait face à des défis économiques et de savoir-faire difficiles à résoudre sur le court-terme. Par ailleurs, le niveau de perception de la population – et de ses dirigeants – face à la menace sismique y reste très faible. Des chercheurs et chercheuses de l’ENS/PSL, du CNRS, de l’IRD et de l’Université Côte d’Azur, avec leurs partenaires haïtiens du Laboratoire Mixte International CARIBACT, ont donc déployé des sismomètres, à faible coût et avec une maintenance réduite1, hébergés par des particuliers volontaires. Ces appareils, connectés à Internet, produisent des données publiées en temps réel sur un site web accessible à tous 2. Ils permettent, de plus, un canal d’échanges privilégié entre citoyens et scientifiques pour mieux comprendre la perception du phénomène sismique et, plus généralement, des risques environnementaux.

 

La valeur ajoutée de la sismologie citoyenne

Ces sismomètres citoyens étaient opérationnels lors du séisme de magnitude 7.2 du 14 août 2021, qui a causé 2 500 morts, 13 000 blessés et la destruction ou l’endommagement de 140 000 bâtiments. Les données « sismo-citoyennes » ont permis de localiser plus de 1000 répliques dans les trois semaines qui ont suivi le choc principal. Leur cartographie montre que la rupture responsable de ce séisme est disjointe de celle de 2010, bien que sur la prolongation vers l’ouest du même système de failles et identifie deux groupes de répliques, qui coïncident avec deux zones de glissement cosismique déduites de données sismologiques et géodésiques  conventionnelles indépendantes. De plus, l’apprentissage automatique (ou apprentissage par une Intelligence Artificielle) appliqué aux données du sismomètre citoyen le plus proche du choc principal a permis une prévision de l’évolution temporelle des répliques, information cruciale pour l’organisation de la réponse d’urgence.

Ce cas d’étude démontre la valeur ajoutée de la sismologie citoyenne pour une réponse rapide aux tremblements de terre. Avec un bénéfice élevé pour un coût faible, la sismologie citoyenne est particulièrement pertinente pour les régions de niveau socio-économique similaire à Haïti, dans des contextes où la mise en œuvre de réseaux conventionnels exploités par des institutions officielles peut être difficile. Ce projet de « socio-sismologie », qui vise à rapprocher citoyens et sismologues autour d’un réseau d’observation dont chacun se sent partenaire, se poursuit dans le cadre du programme OSMOSE financé par l’Agence nationale de la recherche (2022-2025).

 

1https://raspberryshake.org/
2 https://ayiti.unice.fr/ayiti-seismes/

Carte du séisme
Carte des stations sismo-citoyennes RaspberryShake opérationnelles en Haïti au 24 février 2022. Les régions les plus affectées par les séismes du 12 janvier 2010 et du 14 août 2021 sont indiquées par des ellipses jaunes.

Les auteurs :

E. Calais1,2,3,4, S. Symithe3,5, T. Monfret2,3,11, B. Delouis2,3, A. Lomax6, F. Courboulex2,3, J.P. Ampuero2,3, P.E. Lara2,7, Q. Bletery2,3, J. Cheze2,3, F. Peix2,3, A. Deschamps2,3, B. de Lepinay2,3, B. Raimbault1, R. Jolivet1,4, S. Paul2,3,5, S. St Fleur3,5, D. Boisson3,5, Y. Fukushima8, Z. Duputel9, L. Xu10, and L. Meng10.

Affiliations :

1 Département de Géosciences, École Normale Supérieure, CNRS UMR 8538, Université PSL, Paris, France.
2 Université Côte d’Azur, Institut de Recherche pour le Développement, Centre National de la Recherche Scientifique, Observatoire de la Côte d’Azur, Geoazur ; Valbonne, France.
3 CARIBACT Joint Research Laboratory, Université d’État d’Haïti, Université Côte d’Azur, Institut de Recherche pour le Développement ; Port-au-Prince, Haïti.
4 Institut Universitaire de France ; Paris, France.
5 URGeo, Faculté des Sciences, Université d’Etat d’Haïti ; Port-au-Prince, Haïti.
6 ALomax Scientific; Mouans Sartoux, France.
7 Instituto Geofisico Del Peru; Lima, Peru.
8 International Research Institute of Disaster Science, Tohoku University; Sendai, Japan.
9 Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise, Université de Paris, Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS; Paris, France.
10 Department of Earth, Planetary and Space Sciences, University of California; Los Angeles,CA, USA.
11 Barcelona Center for Subsurface Imaging, Institut de Ciencies Del Mar (ICM), CSIC, Barcelona, Spain.

 

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