« Le théâtre Nicole Loraux est une école de l’écoute, du regard et de la pensée »

Entretien avec Marion Chénetier-Alev, maître de conférences en études théâtrales et directrice de la programmation du théâtre Nicole Loraux à l'ENS

Créé le
10 avril 2025
Comment le théâtre Nicole Loraux est-il né ? De qui tient-il son nom ? Qui joue sur ses planches ? Marion Chénetier-Alev, maître de conférences en études théâtrales et directrice de la programmation du théâtre Nicole Loraux à l'ENS, nous en dévoile l'histoire, mais aussi les coulisses. 
Théâtre Nicole Loraux
Photo du théâtre Nicole Loraux issue des répétitions de régie du spectacle Idolâtrie(s) d'Aurélien Degrez et William Ravon (2021)

Vous êtes maître de conférences en études théâtrales à l'ENS et directrice de la programmation du théâtre Nicole Loraux. Est-ce que vous pourriez revenir sur votre parcours (études, et après) ? Pourquoi avez-vous choisi de vous diriger vers la recherche en théâtre ?

Marion Chénetier-Alev : J’ai un rapport « animal » au théâtre, dans le sens où il a toujours été pour moi le lieu d’un dialogue qui passe directement par les corps, en-deçà et au-delà des mots qui sont prononcés. Pour cette raison je crois, il m’est aussi apparu, paradoxalement, comme l’endroit où les corps étaient les plus justes, et devenaient incandescents : un endroit de vie et de perception intensifiées. Je suis passionnée de littérature, et jusqu’au doctorat j’ai suivi un double cursus en Lettres et en Théâtre, mais dans les livres, je traque la même chose : le corps-à-corps entre l’écriture et le lecteur. Choisir la recherche en théâtre était donc une façon de réunir le livre et la scène, et de rester au plus près de la source vive, des questions insolubles. Les études théâtrales ont cet avantage inépuisable que toute tentative de fixation théorique y est battue en brèche.

Est-ce que vous pourriez nous éclairer sur l'histoire du théâtre Nicole Loraux  ? 

Marion Chénetier-Alev : Le théâtre semble avoir été présent dès les débuts de l’École, et certainement depuis la fin du XIXe. Il s’agissait au départ d’une « salle de théâtre », transformée en une vraie scène à l’initiative des élèves. Ce théâtre était en activité dans les années 1930-40-50, Jean-Marie Villégier et Jacques Nichet ont dû y faire leurs premiers essais dans la décennie suivante. Il a ensuite été fermé en 1984, pendant plus de vingt ans, pour des raisons de sécurité. À cette époque, les étudiants et étudiantes passionnés, Françoise Zamour (qui monte Les Troyennes), Sophie Lucet, Denis Podalydès (Les Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon), Arnaud Des Pallières (Oxtiern ou les malheurs du libertinage de Sade), Nordine Zaïmi, Jean-Pierre Rehm, jouent au Théâtre Mouffetard qui vient d’ouvrir et les accueille provisoirement. Monique Canto-Sperber, directrice de l’ENS à partir de 2005, réunit les fonds nécessaires à la réfection du théâtre et le remet en service en 2011. Françoise Zamour crée alors le système des résidences, avant que, durant la Covid et avec l’appui du nouveau directeur de l’École, Marc Mézard, Anne-Françoise Benhamou dirige la rénovation technique de la salle, désormais équipée pour permettre une prise en main ambitieuse et sécurisée par les étudiants et étudiantes, et lui donne son nom de Théâtre Nicole Loraux. Nicole Loraux, ancienne élève de l’École normale supérieure de jeunes filles et directrice de recherche à l’EHESS, est devenue une helléniste et anthropologue internationalement renommée, dont les recherches ont renouvelé de façon décisive la compréhension de la Grèce antique, en particulier du statut des femmes dans la cité, et de la tragédie grecque.

Comment sont sélectionnées les pièces qui y sont jouées ? Sont-elles jouées par des étudiants et étudiantes de l'ENS ? 

Marion Chénetier-Alev : Les projets sont sélectionnés par un comité qui se réunit deux fois par an (mi-décembre et fin juin), pour arrêter une programmation semestrielle (septembre-janvier, puis février-juillet). Des appels à projets sont diffusés chaque semestre. Les projets sont tous portés par des étudiants et étudiantes de l’ENS en scolarité, ou très récemment sortis. Depuis 2021, un régisseur général, Éric Proust d’abord, Jean Marcel à présent, coordonne, en dialogue avec les enseignants et enseignantes Théâtre du département Arts, l'activité du théâtre, et encadre pédagogiquement et techniquement les créations des étudiants. Ces créations sont présentées à raison d’un spectacle tous les quinze jours. Les spectacles sont gratuits, ouverts à toutes et à tous. Ils reflètent la diversité des étudiants et étudiantes qui s’y engagent, venus de tous les départements de l’École : répertoire classique et auteurs vivants, théâtre, danse, comédie musicale, opéra, performance… 

Parmi la riche programmation de cette saison 2024-2025, avez-vous une préférence pour une pièce en particulier ? Si oui, laquelle et pourquoi ? 

Marion Chénetier-Alev : Si vous posez cette question à des comédiens, ils vous répondront toujours que c’est le spectacle en cours qu’ils préfèrent. Pour ma part, je ne peux évidemment qu’avoir un regard d’ensemble sur les spectacles que je suis depuis la réouverture de Nicole Loraux. Certains étudiants et étudiantes ne font qu’un spectacle durant leur scolarité, d’autres en font plusieurs tout en étant déjà engagés dans des trajectoires professionnelles. Et l’équipe du théâtre, qui rassemble les étudiants et étudiantes, les régisseurs et les enseignants et enseignantes du département, a réussi à constituer une dynamique qui conduit les plus expérimentés à accompagner, dramaturgiquement, techniquement, et en jeu, les plus novices, tout en se mettant totalement au service des propositions de chacun, très différentes les unes des autres.  
La scène du théâtre Nicole Loraux présente ainsi des spectacles aux esthétiques et aux visées variées : en cela elle est, de façon très concrète, une école de l’écoute, du regard et de la pensée. C’est ce que nous voulons défendre.