Les 10 ans du programme Médecine - Sciences : « L'objectif de fournir une formation d'excellence restera notre boussole »

Rencontre avec Alain Bessis, directeur du programme médecine - sciences de l’ENS PSL

Créé le
3 avril 2025

Créé en 2015, le programme Médecine - Sciences a pour objectif de former une nouvelle génération de médecins-chercheurs, à la pointe de la recherche biomédicale de demain. Porté, au sein de l’Université PSL, par l’ENS - PSL, l’Institut Curie et l’Institut Pasteur, ce cursus mixte médical et scientifique de très haut niveau et interdisciplinaire inclut une initiation précoce à la recherche. À l’occasion des dix ans du programme Médecine - Sciences, son directeur, Alain Bessis, également professeur attaché à l'ENS-PSL et directeur de recherche au CNRS revient sur la décennie écoulée, ainsi que sur les enjeux pédagogiques du programme, présents et futurs. 

 

Alain Bessis est directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l'ENS-PSL
Alain Bessis est directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l'ENS-PSL

 

Pourquoi et comment s’est créé le programme Médecine - Sciences ?

Alain Bessis : Depuis les années 1970 déjà, deux à trois étudiants en médecine par an pouvaient entrer à l'ENS sur concours, et suivre la scolarité du département de biologie. 
Cette voie, qui n'avait alors pas de nom, a attiré des étudiantes et des étudiants très doués, dont beaucoup ont eu des parcours remarquables dans le monde médical et la recherche. En 2015, Antoine Triller et Patrick Charnay, respectivement directeur du département de biologie et directeur de l'enseignement, ont créé le Programme Médecine - Sciences, afin d’être plus ambitieux et mieux adapté aux besoins des étudiants. 
Ce programme s'est associé à l'institut Pasteur et l'institut Curie, des centres d'excellence très orientés vers la recherche appliquée à la médecine. Dès le départ, celui-ci a proposé un parcours d'étude spécifique pour ces étudiants, et a vu son nombre de places augmenter, aujourd’hui situé à 10 par an, grâce à la participation de l'École normale supérieure et de l’Université PSL.

Qu’est-ce qui en fait sa particularité ?

Alain Bessis : De plus en plus de facultés de médecine permettent à leurs étudiants de suivre des doubles cursus, en proposant des cours de biologie et/ou de mathématiques, de physique, de chimie, etc. en plus des cours de médecine. La particularité du Programme Médecine - Sciences est que les étudiants suivent leur scolarité à l'ENS - PSL. Durant leur première année de cours à l'École, ils suivent en parallèle leur troisième année de médecine. La deuxième année, ils suspendent leurs études de médecine pour suivre un master 2 à l’École, et en troisième année, ils peuvent choisir de retourner en médecine ou de poursuivre vers une thèse de recherche, ou par des stages. Certains ont profité de la liberté laissée par cette troisième année pour explorer des parcours plus atypiques, par exemple en lien avec l'environnement ou avec la politique publique, avant de retourner en médecine.

Ce programme est porté au sein de l’Université PSL, par l’ENS-PSL, l’Institut Curie et l’Institut Pasteur. Quelles expertises offre l’École normale supérieure au sein de celui-ci ? 

Alain Bessis : L'ENS-PSL apporte la qualité de ses cours et de ses enseignants, mais aussi de ses laboratoires de recherche. Les étudiants peuvent facilement interagir avec les chercheurs et les  enseignants-chercheurs et ainsi profiter de leurs conseils, de leur réseau, et de leurs laboratoires. L'École apporte également la possibilité de suivre des cours dans les autres départements scientifiques ou littéraires et les étudiants du Programme Médecine - Sciences sont nombreux à saisir cette opportunité interdisciplinaire !
Enfin, l'ENS apporte la vie de l'École où les étudiants de toutes les disciplines se rencontrent, discutent et interagissent et créent un bouillonnement amical et intellectuel unique et fécond.

10 ans après, quel bilan de ce programme pouvez-vous faire ?

Alain Bessis : Le premier bilan concerne le recrutement, et il est très satisfaisant dans la mesure où les étudiantes et étudiants Médecine - Sciences ont un excellent niveau académique, et qu'ils s'engagent pleinement dans la vie de l'École, contribuant ainsi à sa richesse. De plus, nous avons accueilli des étudiants de la quasi-totalité des universités françaises, y compris de La Réunion, ce qui témoigne d'une bonne notoriété du programme au-delà de la région parisienne ! 
Enfin, je n'ai pas fait une étude approfondie, mais il me semble que les étudiants du Programme Médecine - Sciences ont une grande diversité d'origine socio-économique, et c'est là encore une source de satisfaction. Cependant, bien que les promotions dans les universités de médecine sont constituées de plus de 66% de filles, autant de filles que de garçons postulent au concours et sont recrutés. Cela suggère que notre programme intéresse moins les filles, ou qu'elles s'autocensurent à postuler, ce qui serait tout aussi peu satisfaisant et c'est un point que nous travaillerons.

L’objectif du programme a-t-il évolué ? 

Alain Bessis : L'objectif pédagogique à long terme du Programme Médecine-Sciences est d'offrir une formation de haut niveau en biologie fondamentale à des étudiants en médecine pour qu'ils s'engagent dans une carrière de médecin-chercheur. Un bilan positif serait que les alumni se dirigent effectivement dans une carrière de médecin-chercheur et deviennent des leaders internationaux dans leur domaine. Cependant, les études médicales sont longues et les premiers diplômés du programme qui ont fait une thèse commencent seulement à entrer dans la carrière médicale, et nous manquons encore de recul pour évaluer pleinement l'impact du programme. L'objectif de fournir une formation d'excellence est, et restera notre boussole.  

Quelles sont les grandes orientations pour les 10 ans à venir ? 

Alain Bessis : Pendant les 10 prochaines années, j'espère que nous pourrons continuer de collaborer avec l'Université Paris Cité pour faciliter la scolarité de nos étudiantes et étudiants. J'espère également que nous pourrons poursuivre et développer notre partenariat avec les Instituts Pasteur et Curie, et pourquoi pas en établir avec d'autres centres d'excellence pour offrir des perspectives encore plus d'opportunités à nos étudiantes et étudiants.

« Les étudiantes et étudiants doivent être capables de comprendre et de maîtriser ces technologies pour savoir ce qu'elles peuvent apporter sans se laisser éblouir par leur nouveauté. »

Le programme Médecine - Sciences a pour but d’aider les étudiants en médecine et pharmacie à s’adapter aux bouleversements scientifiques et aux progrès technologiques récents qui transforment radicalement l’exercice de la médecine et de la recherche biomédicale. Quels sont ces bouleversements aujourd’hui ? Ont-ils beaucoup évolué en 10 ans ? 

Alain Bessis : Le bouleversement majeur d’aujourd'hui est l'arrivée de nouvelles technologies d'analyse du vivant – normal ou pathologique – comme le séquençage ou l'imagerie. Celles-ci changent non seulement notre manière de comprendre le vivant mais génèrent aussi des quantités exponentielles de données. 
Dans ce nouveau contexte, ces jeunes étudiantes et étudiants doivent être capables de comprendre et de maîtriser ces technologies pour savoir ce qu'elles peuvent apporter sans se laisser éblouir par leur nouveauté. Ils doivent également être en mesure d'analyser ces données de manière critique pour leur donner du sens. C'est à cette condition qu'ils contribueront à changer notre manière de comprendre le vivant, et à inventer de nouvelles thérapeutiques.

« Beaucoup d’étudiantes et d’étudiants du Programme Médecine - Sciences, conscients des enjeux de la biologie et de la médecine moderne se forment de manière extrêmement performante à l'analyse de données. »

Comment le programme Médecine - Sciences s’est-il adapté à l’arrivée de ces nouvelles technologies ?

Alain Bessis : Les études au département de biologie de l’ENS-PSL ont une forte composante de bio-informatique et d'analyse de données, qui donne des premiers outils aux étudiantes et étudiants du programme. Ceux-ci ont également accès aux cours des autres départements de l’École et notamment à ceux d'informatique ou de physique pour d'approfondir ces aspects. 
Ce qui est remarquable, c'est que beaucoup d’étudiants du Programme Médecine - Sciences, conscients des enjeux de la biologie et de la médecine moderne se forment de manière extrêmement performante à l'analyse de données.

En tant que directeur de ce programme, avez-vous un moment qui vous a marqué lors de cette décennie ?

Alain Bessis : Chaque rentrée est un moment marquant où nous voyons les nouveaux étudiants comprendre la richesse humaine et intellectuelle de l'École normale. Leur plaisir à suivre les cours et leurs performances académiques toujours spectaculaires sont de bons indicateurs que nous ne nous sommes pas trompés dans le recrutement !
En plus de cela, j’ai effectivement un moment qui m’a particulièrement marqué : il y a quelque temps, je discutais avec un étudiant qui venait de rejoindre le programme. Je lui ai demandé s'il était à l'aise en codage. Sa réponse : « Non, pas vraiment. Je ne sais coder qu'en Python et je me débrouille en C+ ». Nous avons vraiment changé d'ère et ces jeunes recrues nous préparent un bel avenir !  

Savez-vous ce que sont devenus les alumni de ce programme ? 

Alain Bessis : Je le sais précisément ! D'abord parce que je suis la carrière des anciens étudiants individuellement – c'est le privilège des petites promotions – mais aussi parce que les alumni sont très attachés à l'ENS-PSL : ils sont toujours contents d'y revenir et de donner de leurs nouvelles. 
Après le Programme Médecine - Sciences, environ la moitié des étudiantes et des étudiants retourne en médecine et l'autre moitié commence une thèse de science, principalement à l'institut Pasteur ou l'Institut Curie. Toutes celles et ceux qui font une thèse retournent ensuite en médecine, mais nous n'avons pas encore assez de recul pour savoir ce que ces derniers sont devenus.

Avez-vous un conseil pour toute personne qui souhaiterait postuler à ce programme ?

Alain Bessis : Je conseille aux jeunes qui veulent nous rejoindre, d'abord de questionner leur motivation. Pourquoi en tant qu'étudiantes et étudiantes en médecine, souhaitent-ils faire de la recherche ? Pourquoi pensent-ils que c'est à l'ENS qu'ils pourront le mieux se former ? De manière beaucoup plus pragmatique, si la décision est prise, alors je leur conseille de lire attentivement les rapports que les jurys ont écrit sur les épreuves et qui sont disponibles sur notre site. Ils peuvent également consulter « L’Oral anormal », où les étudiants du programme racontent leur vécu du concours.