Les défis comportementaux dans la crise du Covid-19

Entretien avec Coralie Chevallier

Lauréate avec Hugo Mercier de l'appel à projet Flash Covid-19 au printemps dernier, Coralie Chevallier revient sur l'apport des sciences cognitives aux politiques de santé publique. Entre étude des défiances envers la vaccination, chatbot et mission Castex : rencontre avec une chercheuse engagée dans l'élaboration de politiques publiques.
Coralie Chevallier
Coralie Chevallier est chercheuse en sciences cognitives et directrice des études au Département d’Études Cognitives de l’École Normale Supérieure et à l'INSERM. Elle dirige le groupe de recherche Evolution et Cognition Sociale.

Avec Hugo Mercier, comme vous chercheur en sciences cognitives, vous êtes porteuse d'un des projets de recherche retenu dans le cadre Flash ANR Covid-19. En quoi consiste ces travaux ?

L’un des volets de notre recherche est le développement d’une étude visant à anticiper les résistances croissantes de la population française à un potentiel vaccin anti-covid. Chaque mois, les données suggèrent que les intentions de vaccination diminuent en France, pour tomber aujourd'hui à 54% seulement de la population envisageant de se faire vacciner (pour comparaison, ce chiffre était de 69% fin juin).
Nous mobilisons donc notre équipe pour travailler sur des outils interactifs, des chatbots, permettant de fournir des arguments aux citoyens qui se posent des questions. Bien entendu, le vaccin n'existe pas encore. L'idée est donc d'anticiper la mise en place d'outils qui seront enrichis lorsque la nature même du vaccin, son principe d'action, son origine, etc. seront effectivement connus.

L’hésitation face à la vaccination, voire le refus complet, sont bien connus.
Cette tendance était déjà présente lors des premières campagnes de vaccination obligatoire, au 19e siècle en Angleterre.

Ce refus de la vaccination vous surprend-il ? Faut-il y voir le signe d'une défiance envers la science ?

L’hésitation face à la vaccination, voire le refus complet, sont bien connus, puisqu’ils étaient présents dès les premières campagnes de vaccination obligatoire, au 19e siècle en Angleterre. Dans les cas les plus extrêmes, les positions anti-vaccination s’accompagnent en effet souvent d’une défiance généralisée envers la science. Cependant, il ne s’agit que de cas rares, la plupart des individus étant hésitants plutôt que franchement opposés à la vaccination. On ne peut donc pas établir un lien avec une défiance envers la science. D’ailleurs, la majorité des gens exprimant une méfiance vis à vis de la vaccination n’ont pas de telles hésitations quand il s’agit d’autres formes de thérapies. Enfin, pour finir sur une note optimiste, notons que la confiance en la science semble être stable depuis des décennies, à l’inverse d’autres domaines, comme la politique, où la défiance se généralise.

 

Donnez nous un exemple de levier simple qui permettrait de convaincre le public que les décisions prises le sont dans l’intérêt général et reflètent l’état des connaissances scientifiques ?

Le levier qui serait peut-être le plus efficace consisterait à faire appel à des personnes reconnues pour leur objectivité – exempte de conflit d’intérêt  – et leur expertise pour porter le message. Le risque, du point de vue d'un gouvernement, est que l’opinion de ces personnes puisse à un moment diverger du message officiel – mais ce risque est inévitable en cas d’absence réelle de conflit d’intérêt entre ce ou ces experts et un gouvernement.

 

Un récent sondage du Forum Économique Mondial sur le refus de vaccination nous enseigne que la principale motivation serait la peur des effets secondaires. Quels arguments employer dans ce cas ?

Les facteurs cognitifs et évolutionnaires qui influencent les comportements sociaux montrent que deux types d’arguments sont alors à envisager, idéalement en tandem. Il faut d’une part essayer de fournir, en toute transparence, les données sur la rareté et l’absence de gravité des effets secondaires (dans le cas du vaccin contre la COVID-19, ces données ne sont pas encore disponibles, mais elles le seront avant la mise sur le marché du vaccin). D’autre part, il est également important de mettre en avant les risques encourus, pour nous et pour les autres, si on ne se vaccine pas. La COVID-19 est une maladie potentiellement grave, voire mortelle, ce seul fait devrait, par comparaison, diminuer les craintes face à d'éventuels effets secondaires du vaccin.

...Un vaccin ne contient pas de virus actif, contrairement à ce que pensent parfois les gens.

Le manque de confiance dans le vaccin contre la COVID-19 pourrait-il être suffisamment important pour compromettre l’efficacité de son déploiement ? Vos recherches participent-elle de ce point de vue aux efforts de « vulgarisation scientifique » ?

Oui, dans le sens où une bonne compréhension de comment la vaccination fonctionne, comment les essais cliniques sont conduits, etc. devrait conduire à une plus grande acceptation de la vaccination. Par exemple, un vaccin ne contient pas de virus actif, contrairement à ce que pensent parfois les gens.

 

Utiliser des chatbots dans une recherche scientifique semble novateur, est-ce un exemple de l’apport des sciences comportementales à la crise ?

Dans ce cas, l’apport des sciences comportementales se situe à deux niveaux, théorique et méthodologique. D’un point de vue théorique, l’hypothèse est qu’un des meilleurs contextes pour transmettre de nouvelles connaissances est celui de la discussion, discussion qui peut être émulée par un chatbot. D’un point de vue méthodologique, les sciences comportementales permettent des tests rigoureux de cette hypothèse avant son implémentation à grande échelle.

 

Nous l’avons vu dans cette crise, l’écart reste toujours grand entre politiques publiques et chercheurs.  Mais y’a t-il, depuis ces derniers mois, une plus grande prise de conscience de la nécessité de prendre en compte la psychologie humaine pour améliorer les politiques publiques ?

Les choses évoluent dans ce sens, en effet. L’Organisation Mondiale de la Santé a par exemple récemment monté une équipe en sciences comportementales. L’Union Européenne soutient également ce type d’approche. En France, enfin, l’équipe sciences comportementales de la Direction Interministérielle pour la Transformation Publique travaille avec de nombreuses administrations pour mieux prendre en compte la psychologie humaine et ainsi améliorer l’action publique. Pour ce qui me concerne, j'ai fait partie avec d'autres de la Mission Castex, qui a été appelée pour préparer le déconfinement. Nos travaux visaient à veiller à la praticabilité et surtout à l’acceptabilité des mesures imposées à la population.