« Mener une démarche concrète pour répondre aux inquiétudes environnementales »

Des étudiants engagés dans le premier bilan carbone de l’ENS-PSL

Au mois de février dernier, l’ENS-PSL présentait un premier bilan carbone à l’ensemble de sa communauté. Un travail de longue haleine porté par sept étudiants. Dans le cadre des enseignements du Centre de formation sur l'environnement et la société (le CERES) de l’École, avec l’appui de la Direction de l'ENS et du cabinet de conseil A2DM et ClimatMundi, ils ont œuvré pendant plusieurs mois à l’élaboration de ce bilan, afin de mieux saisir l’impact environnemental des activités de l’École. Rencontre avec deux étudiants instigateurs et pilotes de ce projet, Louise Fontan-Ducret et Audran Borella.
Louise Fontan-Ducret et Audran Borella
Louise Fontan-Ducret et Audran Borella

Aller de l’avant

« De la nécessité de passer de l’abstrait au concret », « une mise en œuvre d’actions indispensable », « aller de l’avant »… En s’engageant dans la réalisation du bilan carbone de l’ENS-PSL, Louise Fontan-Ducret et Audran Borella, respectivement en troisième année aux départements de littératures et langage et de physique de l’ENS-PSL, n’avaient qu’un seul souhait : agir.
« Établir quelles actions ont de l’importance, en estimant les réductions d’émissions associées, est capital. Cela permet de transformer des impératifs comme ‘réduisez vos émissions de 45 % !’ en actions que l’on peut réaliser à notre échelle, à l’échelle de l’ENS », explique Audran Borella, à l’initiative du projet de bilan carbone. Un projet qui a commencé à germer dans son esprit il y a un peu plus d’un an, alors qu’il consultait le site Internet de l’association étudiante environnementale de l’ENS-PSL, Écocampus : « ses membres avaient déjà débroussaillé entièrement le terrain, et c’est grâce à ce travail de préfiguration que cette initiative a pu naître », précise Audran. « Mes études se concentrent sur le même sujet, l’atténuation du changement climatique, et je souhaite effectuer une thèse dans le domaine de l’atténuation du changement climatique, j’étais donc décidé et motivé à mener ce projet » poursuit-il.

Le normalien en discute d’abord avec Louise Fontan-Ducret, une autre étudiante de l’ENS-PSL avec qui il a l’habitude de mener des projets ;  les deux normaliens ont travaillé ensemble pendant un an lors de leur mandat conjoint au COF, le bureau des étudiants de l’ENS. « Quand il m’a parlé du projet, je lui ai tout de suite demandé si je pouvais y participer », se rappelle Louise. « C’était l’occasion de mener une démarche très concrète dans notre cadre de vie et d’études qui puisse répondre aux inquiétudes environnementales dont nous faisons tou.te.s les frais. » Pour la normalienne, savoir clairement quels sont les principaux pôles émetteurs de carbone à l’ENS est un prérequis indispensable à la mise en œuvre d’actions, quelles qu’elles soient. « Et maintenant que nous avons ces connaissances, plus d’excuse à l’inaction… » commente Louise.

 

L’articulation d’un projet collaboratif

Le projet de bilan carbone a commencé à se concrétiser lorsque Louise et Audran contactent Adrien Baysse-Lainé, alors Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) au Centre de formation sur l’environnement et la société de l’ENS (le CERES) et des membres d’Écocampus. « Nous avons ensuite présenté notre projet et nos ambitions à la Direction de l’École, avec qui nous avons échangé tout au long du premier semestre de 2020 ; c’est là que tout a pris de l’ampleur », détaillent les deux étudiants. Très vite, le projet s’est mis en route, notamment par la prise de contact avec le cabinet de conseil A2DM, spécialisé en développement durable et bilan carbone. Le CERES propose alors aux étudiants d’intégrer le projet à leurs modules de cours, leur permettant d’obtenir des crédits universitaires pour leur travail. Louise et Audran lancent ensuite un premier appel à participation à destination de l’ensemble des normaliens, renouvelé en avril 2020. En juin, l’équipe est au complet, Louise et Audran sont rejoints par cinq autres camarades : Valentin Cocco, Cassandra Windey, Éva Philippe, Matthieu Ombrouck et Nolwenn Schmoderer. Qu’ils soient étudiants en biologie, géopolitique, économie ou bien encore mathématiques, tous sont animés par l’envie d’agir et d’apprendre. Encadrés par l’équipe de consultants d’A2DM et par deux membres du personnel administratif de l’ENS-PSL, les étudiants peuvent désormais commencer à travailler le projet.

Ils organisent d’abord une première phase de collecte des données au début de l’année universitaire 2020-2021 qui seront traitées ensuite par le cabinet de conseil A2DM,. Pour cela, ils se répartissent en groupes de travail, selon la nature des données à récolter : avec Valentin et Éva, Audran s’est concentré sur la consommation énergétique, le numérique, les achats à court et long termes, les déchets et la vie associative de l’École. Louise, Nolwenn, Matthieu et Cassandra, quant à eux, se sont penchés sur la question des déplacements (par exemple les moyens de transports qu’utilisent les chercheurs pour se rendre à des conférences), pôle pour lequel les normaliens avaient prévu plusieurs enquêtes de taille significative. « Tout n’a pas pu être réalisé, mais cela ne fait qu’ouvrir la voie vers de futurs projets… » commente Louise.
En janvier 2021, ils lancent une consultation à l’ensemble de la communauté normalienne pour évaluer ce que chacun est prêt à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’ensemble de l’équipe est encore en train de traiter les retours. À partir de ces données et des résultats du bilan carbone, Cassandra et Audran s’attèleront dans les prochaines semaines à contribuer à l'élaboration d’une proposition de plan d’actions.

Pendant plusieurs mois, les normaliens ont ainsi travaillé à un rythme soutenu sur le projet, portés par leur engagement et leur volonté de changer les choses à leur échelle. « En tant qu’individus, la lutte contre la crise environnementale peut quelquefois sembler désespérée, tant sont puissants certains des pouvoirs politiques et économiques. […] L’action politique collective, à notre échelle, se heurte souvent à la surdité totale des institutions et des gouvernants et à une forte résistance fondée sur des intérêts économiques. Je ne pense absolument pas qu’il faille déserter le champ politique, mais se consacrer en même temps à des projets plus petits et concrets permet d’aller de l’avant ! » souligne Louise avec conviction. « Le projet bilan carbone est un exemple parmi tant d’autres de ces initiatives à une échelle bien plus réduite, correspondant finalement à celle de notre vie quotidienne, et à laquelle les problèmes et les réponses à apporter sont visibles, à notre portée. C’est à la fois l’occasion d’améliorer notre cadre de vie, de se donner les moyens d’agir et d’être témoin des résultats de notre action. »

 

« Changer les choses à notre échelle »

Louise est particulièrement attentive aux préoccupations environnementales, que cela soit dans le cadre de ses études ou de son temps libre : « l’un des aspects particulièrement précieux de l’ENS est l’insistance qui y est faite sur la pluridisciplinarité et la curiosité intellectuelle. Ainsi, bien que je sois élève du département littératures et langage, j’ai pu suivre de nombreux cours dans d’autres départements, dont ceux du CERES, qui s’enrichissent d’année en année. On voit d’ailleurs aux maquettes d’enseignements des départements de l’École que les préoccupations environnementales, déjà bien installées dans les sciences, commencent à pointer leur nez dans les humanités. »
Du reste, la normalienne suit en parallèle de son cursus à l’École, un master en sciences sociales de l’Amérique latine à l’IHEAL (Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, Paris III), lui permettant de travailler sur les questions environnementales depuis la sociologie et l’anthropologie, en adoptant notamment l’approche de l’écologie politique. « Avant de prendre cette voie, je participais déjà à plusieurs mouvements écologistes étudiants. La sphère politique et celle des études sont donc finalement assez complémentaires. » constate-t-elle.

Pour Audran, c’est aussi l’envie de se tourner vers des actions concrètes qui l’a poussé à s’investir dans ce projet : « je travaille, dans le cadre de mes études et de mes stages, dans le domaine de l’atténuation du changement climatique à grande échelle. On étudie en géosciences les réchauffements de plusieurs degrés autour du globe, les grands changements dans la circulation du Gulf Stream. On peut aussi s’intéresser à l’Accord de Paris, aux engagements pris par les pays, la politique européenne. Tout cela me semble finalement très abstrait. […] Pouvoir revenir à une échelle à taille humaine et quantifier l’impact de nos actions, que ce soit en termes d’émission ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de les adapter, est ce qui me semble important. C’est grâce à des projets à petite échelle comme ce bilan carbone que nous pourrons observer un changement à grande échelle. Si cela permet aussi de sensibiliser notre entourage aux enjeux environnementaux, de pousser d’autres à agir, alors nous aurons touché le gros lot ! ».
Inscrit au département de Physique, les études d’Audran sont au carrefour de la physique et des géosciences. Il s’intéresse aux sciences climatiques, particulièrement celles concernant l’atmosphère. Son programme d’études et de recherche est donc fondamentalement lié à la question du changement climatique, domaine dans lequel il souhaite poursuivre sa carrière. En parallèle, il a été engagé pendant quelques temps auprès des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat, une association qui sensibilise la jeunesse aux enjeux environnementaux actuels, tels que le changement du climat et l’érosion de la biodiversité. Et si le manque de temps l’a conduit à s’en détacher, Audran espère pourvoir y revenir très bientôt.

Car pour les deux normaliens, les nombreux enjeux écologiques de notre planète sont de taille : « l’effondrement de la biodiversité, la pollution des écosystèmes ou l’acidification des océans… sans compter les questions sociales et politiques et celles de la justice environnementale. Tous les grands enjeux écologiques mènent à poser la question de notre modèle économique et politique, de l’exploitation capitaliste des ressources « naturelles » et humaines et de la production comme de la répartition des richesses, au niveau national et mondial ». Pour Louise comme pour Audran : « les efforts tendant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la conservation de la biodiversité, à la baisse de la pollution, etc., doivent nécessairement s’accompagner d’une refonte en profondeur de notre système politique et économique ».

 

Acquérir compétences et savoir-faire

Au-delà de pouvoir agir et s’engager à leur niveau dans cette lutte environnementale, ce projet de bilan carbone a été l’opportunité pour les étudiants d’acquérir de nouvelles compétences, utiles à la suite de leur parcours universitaire comme à leurs futures carrières. Comme l’expliquent les deux normaliens, ravis de l’expérience : « nous avons eu l’occasion de travailler en équipe et de gérer la coordination entre les étudiants, le cabinet de consultation qui nous a guidé.e.s tout au long du projet, nos contacts au sein de la Direction générale des services et de l’administration… Les échanges entre les différents interlocuteurs étaient riches et nombreux. » Ils ont ainsi appris à monter un projet de toutes pièces, à communiquer auprès de toutes les personnes impliquées dans le bilan, que ce soit pour la collecte, le traitement ou l’analyse des données. « Ajoutez à cela les conditions dues à la pandémie, et vous obtiendrez une organisation qui s’approche de celle que nous pourrons rencontrer dans notre vie professionnelle » projettent Louise et Audran.

Audran juge aussi que ce projet lui a permis d’acquérir des compétences plus techniques, qui lui seront utiles. « Le domaine dans lequel je souhaite travailler n’est en fait pas si éloigné du monde des bilans carbone » estime-t-il. Louise quant à elle a particulièrement apprécié de travailler en équipe, chose que ses études « ne lui permettent pas vraiment », encore moins avec des personnes dont la formation diffère autant de la sienne. « Cette expérience est donc un véritable bonus ! » avoue-t-elle et le reflet aussi des « extraordinaires » possibilités qu’offre l’ENS-PSL, pour « construire son propre parcours, y ajouter les aspects que l’on veut, dont des projets étudiants souvent fort ambitieux. » Outre le bilan carbone, elle rappelle volontiers les deux pièces de théâtre qu’elle a pu mettre en scène à l’École et ajoute : « cette chance ne se trouve à ma connaissance nulle part ailleurs ». Une pluridisciplinarité et une ouverture à laquelle Audran est aussi très sensible : « ce projet de bilan carbone aurait pu difficilement naître ailleurs, en tout cas en réunissant des étudiant.e.s aussi différent.e.s dans leur études : géopolitique, mathématiques, économie, biologie, sociologie, physique, j’en passe. Tout ce que j’ai souhaité faire a été possible ; physique, géosciences, politiques publiques, en passant par du droit ! » témoigne-t-il enthousiaste. Et à celles et ceux qui voudraient intégrer l’École, les deux étudiants conseillent « de s’accrocher et de s’en donner les moyens. Mais ne pas intégrer l’ENS, ce n’est pas non plus la fin du monde, ne serait-ce que parce que de nombreuses passerelles existent aujourd’hui. »

 

Présentation des premiers résultats du bilan carbone de l'ENS-PSL

 

 

À propos de Louise Fontan-Ducret
Louise effectue ses années de collège et une partie du lycée à Bogotá, en Colombie, avant d’arriver à Louis-le-Grand pour une première et une terminale S. « J’aimais bien les maths, mais ça n’était pas réciproque, et la littérature me manquait ; j’ai donc opté pour une hypokhâgne et une khâgne AL, toujours à Louis-le-Grand. » Elle intègre l’ENS en 2018 après deux ans de prépa et jongle entre les littératures hispanophone et anglophone. Louise s’inscrit ensuite en master de sciences sociales à la fac tout en étant élève au département de littératures et langage à l’École – « l’un des nombreux avantages de l’ENS, c’est de pouvoir continuer à ne pas choisir parmi tout ce qui m’intéresse ! » Cette année, elle poursuit un M2 de sciences sociales de l’Amérique latine à l’IHEAL (Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, Paris III), dans le cadre duquel elle travaille sur les conflits socio-environnementaux contemporains en Bolivie. Louise prévoit de s’orienter vers un M2 de littérature l’an prochain. « Je n’ai toujours pas choisi… Pour l’instant, je me dirige plutôt vers la thèse – sans être sûre de la discipline – mais rien n’est encore fixé ! »

 

À propos d’Audran Borella
Audran effectue son lycée à Fresnes (Val de Marne), en filière scientifique. « J’ai ensuite été pris – de justesse ! -  en prépa PCSI (Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur), au lycée Lakanal à Sceaux. J’ai continué en PSI (Physique et Sciences de l’Ingénieur) car je voulais initialement tenter d’entrer à SupAéro, et c’est en deuxième année que j’ai découvert l’ENS, via une présentation du directeur des études Sciences à Lakanal. » Il passe donc le concours PSI de l’ENS-PSL, pour intégrer l’École en 2018 et suit une double licence Physique-Géosciences, avant d’effectuer une année de césure en administration (droit, politiques publiques, stage au Ministère de la Transition Ecologique de six mois). Actuellement en M1 de Physique à l’ENS, Audran compte revenir en Géosciences en M2 pour se spécialiser en atmosphère, météorologie et changement climatique. « Mon intérêt est à la frontière entre la physique et les géosciences. J’aimerais ensuite tenter le concours IPEF – Ingénieur des ponts, eaux et forêts – pour m’orienter vers une carrière mixte, entre administration et recherche. Dans tous les cas, je souhaite faire une thèse, dans le domaine de l’atténuation du changement climatique. »