Plaidoyer pour une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique

Par Magali Reghezza, géographe

Les politiques climatiques, qu’il s’agisse d’atténuation ou d’adaptation, supposent des bifurcations, économiques et sociales. Repousser l’atténuation au nom de l’adaptation est une impasse. Retarder la mise en œuvre de politiques d’adaptation à un changement que l’on sait inéluctable l’est tout autant. Face au risque climatique, la géographe Magali Reghezza plaide pour une stratégie nationale et européenne claire.
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Magali Reghezza © Philippe Dobrowolska / www.philippedobrowolska.com

Plaidoyer pour une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique

Par Magali Reghezza

L’adaptation est-elle enfin en passe d’être véritablement inscrite à l’agenda politique national et européen ? La publication en 2021 d’une nouvelle stratégie européenne d’adaptation, qui se substitue à celle de 2013, mais aussi le rapport dit « Dantec » ou le Plan national d’adaptation et de lutte contre le changement climatique 2 (PNALCC2) en 2018, semblent l’indiquer.

Alors que l’atténuation patine et que la plupart des États, y compris la France, ne sont pas sur la bonne trajectoire pour atteindre leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation n’est plus optionnelle. Le prochain rapport du GIEC lui accordera une large place. Les acteurs importants du champ de l’action climatique rappellent sans relâche que l’adaptation est une priorité : le Comité 21 a publié en 2020 un rapport très détaillé sur le sujet ; dans les territoires, de nombreuses actions se revendiquent désormais de l’adaptation ; les acteurs économiques, notamment sous l’impulsion des assureurs et réassureurs, commencent à l’intégrer dans leurs réflexions.

Pour autant, l’examen des grands textes programmatiques montre que l’adaptation est encore largement un point aveugle des politiques publiques. Elle se résume encore souvent à des incantations normatives, sous couvert de consensus apparent (il faut s’adapter). Ainsi, la « Loi climat et résilience » en débat au parlement, qui découle des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ne consacre que deux articles à l’adaptation. Celle-ci a d’ailleurs été la grande absente du mandat confié aux 150 citoyens. Pourtant, comment envisager la résilience des sociétés et des territoires au changement climatique sans parler d’adaptation ?

 

L’adaptation, nouvelle injonction à la mode ?

Depuis quelques mois, l’adaptation s’invite dans le débat public. En France, la récurrence des épisodes de canicule, les sécheresses, les inondations, les records de moyennes mensuelles des températures, accélèrent la prise de conscience de l’inéluctabilité du changement climatique. Même si la diversité et la gravité des impacts de ce dernier est encore mal perçue, une idée s’impose, nourrie par l’expérience de la crise de la COVID 19. La société française doit se préparer à mettre en œuvre des réponses anticipées, coordonnées et planifiées afin de réduire les pertes et les dommages et de préserver l’habitabilité du plus grand nombre de territoires.

Une fois le constat posé, la mise en pratique est loin d’être simple. L’adaptation appelle des transformations qui permettent de répondre à un changement, que ce dernier soit positif ou négatif. Elle peut prendre différentes formes : ajustements ponctuels, réactifs ou anticipatifs ; mutations incrémentales, par ajustements successifs ; transformations structurelles qui conduisent à une bifurcation. Les réponses aux changements peuvent être d’ordre techniques et technologiques, juridiques ou règlementaires, politiques, organisationnels, etc. Mais en pratique, en quoi consistent ces transformations, à quel échelon territorial, sur quel pas de temps et à quel prix les mettre en œuvre ?

"Le problème n’est donc pas de savoir si l’Humanité s’adaptera, mais quels seront les efforts à engager et qui devra payer."

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Measuring Crevasse Depth, Watercolor and Colored Pencil, 2015 - Art by Jill Pelto.

 

L’adaptation, blanc-seing pour l’inaction climatique ?

L’adaptation n’est pas nouvelle et n’est pas née avec le changement climatique actuel. Les sociétés humaines se sont adaptées en permanence aux transformations de leurs environnements. Le changement climatique pose toutefois la double question du rythme de cette adaptation (les perturbations induites sont extrêmement rapides et fortes) et des coûts (financiers, mais également humains, sociaux et environnementaux). Le problème n’est donc pas de savoir si l’Humanité s’adaptera, mais quels seront les efforts à engager et qui devra payer.

Le défi est d’autant plus grand que l’adaptation est encore trop souvent utilisée comme un blanc-seing pour l’inaction climatique. Si la réalité du changement global semble désormais établie – et ce même si les responsabilités anthropiques sont encore contestées par nombre de climato-sceptiques –, des voix opposent encore les capacités d’adaptation des sociétés humaines aux transformations structurelles nécessaires pour maintenir l’élévation des températures dans les limites de l’accord de Paris. Foi absolue dans l’innovation technique, biais d’optimisme, vision court-termiste, les causes sont multiples.

Avec le changement climatique actuel et futur, ni l’Humanité, ni encore moins la Planète, ne disparaîtront. Mais ses effets en cascade auront des conséquences terribles pour une partie de cette Humanité (sans parler des écosystèmes) : mortalité accrue, dégradation des conditions de vie, augmentation de l’insécurité économique, sociale et politique, risques accrus de conflits, etc.

"Avec le changement climatique actuel et futur, ni l’Humanité, ni encore moins la Planète, ne disparaîtront. Mais ses effets en cascade auront des conséquences terribles pour une partie de cette Humanité."

C’est l’ensemble des indicateurs de bien-être qui risquent d’être fortement détériorés, avec une aggravation des inégalités, des processus d’exclusion et de marginalisation. Le changement climatique et ses effets ne sont bien entendu pas les seuls responsables de cette dégradation : ils interagissent avec des situations locales, en partie héritées, en partie conjoncturelles, qu’ils viennent aggraver. Mais quelles qu’en soient les causes, l’aggravation de la vulnérabilité des populations et des territoires n’est pas une bonne nouvelle.

 

Atténuation et adaptation ne s’opposent pas, elles se confortent

La catastrophe de la Covid-19 a montré que les crises ne se succèdent pas. Elles se cumulent, fragilisant les plus vulnérables et augmentant leur sensibilité aux chocs futurs. Plus la mise en œuvre des politiques d’atténuation sera retardée, plus les effets du changement global pèseront sur les sociétés et les territoires, en particulier les plus fragiles économiquement et socialement, alors qu’ils seront de moins en moins capables de faire face.

Les capacités d’adaptation ne sont pas le seul fait des individus, des entreprises ou des territoires. Elles ne sont pas déterminées par les seules caractéristiques intrinsèques, pas plus qu’elles ne sont des propriétés qu’il suffit de créer ou de renforcer. Elles sont à rechercher dans les interactions complexes entre les caractéristiques des individus, entreprises, systèmes et territoires, mais aussi dans les ressources dont ils disposent en propre et dans les contextes dans lesquels ils s’inscrivent et qui permettent ou non l’accès à d’autres ressources. Tous ces éléments sont autant de causes structurelles de la vulnérabilité, sur lesquelles il faut agir pour réussir le pari de l’adaptation.

"Les crises ne se succèdent pas. Elles se cumulent, fragilisant les plus vulnérables et augmentant leur sensibilité aux chocs futurs."

L’adaptation a été beaucoup critiquée, au motif qu’elle serait un renoncement face à l’atténuation. On sait également que les efforts d’atténuation auront des effets possiblement régressifs, avec des coûts sociaux et économiques importants, notamment en matière de pertes d’emplois, de pouvoir d’achat, de reconversion économique, etc.

Mais tous les efforts qui ne sont pas engagés dès à présent pour atténuer la hausse des températures globales se solderont par une augmentation mécanique des coûts d’adaptation.

À l’inverse, substituer l’adaptation des individus et des territoires à l’atténuation revient à transférer sur les personnes et les communautés locales, la responsabilité et les coûts de leur sécurité.

Il est donc nécessaire d’accélérer les efforts d’atténuation, en corrigeant leurs effets possiblement négatifs, tout en préparant les sociétés à faire face aux chocs à venir. L’adaptation n’est pas qu’un effort demandé aux individus et aux territoires : c’est un ensemble de politiques publiques qui s’inscrivent dans les actions de réduction de la vulnérabilité.

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Landscape of Change, Watercolor and Colored Pencil, 2015. Art by Jill Pelto.

Pour une stratégie nationale d’adaptation

Pour les assureurs, le coût des catastrophes hydro-climatiques augmentera de façon conséquente dans les prochaines années, mais le changement climatique ne sera responsable qu’à 30-40%. Le reste est lié à la transformation des modes de vie, de l’habitat, de la démographie, etc., c’est-à-dire, in fine, aux évolutions des systèmes sociaux, socio-techniques, productifs. À lui seul, ce constat restaure la capacité d’action des sociétés qui peuvent se préparer à différentes échelles et réduire leur vulnérabilité par une adaptation raisonnée, dans une logique de co-bénéfices.

Nos sociétés pratiquent déjà l’adaptation comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Œuvrer à la réduction des inégalités, repenser l’aménagement des territoires pour développer la mixité sociale ou intergénérationnelle et promouvoir les solidarités, agir en faveur d’une meilleure santé des individus et des écosystèmes, bref, travailler dans la logique des objectifs de développement durable, sont des formes d’adaptation.

L’adaptation aux impacts du changement climatique est certes plus délicate à préfigurer que l’atténuation. Cette dernière s’appuie sur des indicateurs chiffrés de réduction des émissions et un horizon temporel d’atteinte de la neutralité carbone. En matière d’adaptation, il est plus difficile de fixer des objectifs évaluables. Même si les connaissances progressent, l’identification des impacts du changement climatique à l’échelle des territoires à dix, vingt ou trente ans, reste incertaine.

Les actions d’adaptation doivent donc être réversibles, envisagées à différentes échéances temporelles et mises en cohérence entre les échelons territoriaux. Mais cela n’exclut en rien un portage politique fort, avec une stratégie nationale clairement énoncée, sur le modèle de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), dont la première édition remonte à 2015.

"Repousser l’atténuation au nom de l’adaptation est une impasse. Retarder la mise en œuvre de politiques d’adaptation à un changement que l’on sait inéluctable l’est tout autant."

 Aléa et vulnérabilité, deux volets inséparables d'une même transition

Les politiques climatiques, qu’il s’agisse d’atténuation ou d’adaptation, supposent des bifurcations, économiques et sociales. Repousser l’atténuation au nom de l’adaptation est une impasse. Retarder la mise en œuvre de politiques d’adaptation à un changement que l’on sait inéluctable l’est tout autant.

L’adaptation n’est ni le pis-aller, ni le palliatif de l’échec l’atténuation. Atténuation (action sur l’aléa) et adaptation (action sur la vulnérabilité) sont les deux volets inséparables d’une même transition, qui doit conduire à la durabilité et à la résilience des sociétés humaines, face au risque climatique.

Les actions déployées dans les territoires ne peuvent se substituer indéfiniment à une politique climatique nationale et européenne, qui fixe les orientations, les échéances, les instruments et les moyens, et qui arbitre aussi la juste répartition des efforts. Il est temps d’engager des efforts fondés en sciences et démocratiquement débattus pour que la transition climatique soit la plus juste et la plus efficace possible.