Trouver des médicaments en combinant intelligence artificielle et physique théorique

La start-up Aqemia contribue à la recherche thérapeutique sur le Covid-19

Cofondée par Emmanuelle Martiano et Maximilien Levesque, chercheur au département de chimie de l’ENS-PSL, la start-up Aqemia met à disposition des compétences hautement techniques dans l’effort de recherche pour trouver un médicament contre le Covid-19. Sa spécialité : la prédiction dans un temps record avec un haut degré de précision de l’affinité d’une molécule avec une cible thérapeutique. Elle reçoit aujourd’hui le soutien et financement d’un géant de l’industrie pharmaceutique pour l’application de sa technologie disruptive à la découverte de médicaments efficaces contre le Covid-19.
Emmanuelle Martiano et Maximilien Levesque, cofondateurs d’Aqemia
Emmanuelle Martiano et Maximilien Levesque, cofondateurs d’Aqemia

Suite à l’annonce le jeudi 10 décembre, du soutien et du financement de Sanofi pour l’application de sa technologie dans la lutte contre le Covid-19, cet article initialement publié en avril 2020 a été mis à jour.

En juin 2019, après plusieurs mois de travail intense avec l’équipe de Bruno Rostand de PSL valorisation naissait la start-up Aqemia. Sa mission ? Participer à la recherche de médicaments grâce à un processus accéléré de reconnaissance et de tri de molécules, utilisant intelligence artificielle et physique théorique. Pour en savoir plus, rencontre avec Maximilien Levesque, cofondateur de cette start-up prometteuse.

 

Mise à jour

 

Le 10 décembre 2020 Aqemia reçoit le soutien et financement de Sanofi pour l’application de sa technologie disruptive à la lutte contre le Covid-19. La start-up deeptech, dont la technologie pour concevoir et tester de nouvelles molécules innovantes a été mise au service de la lutte contre le coronavirus dès le début de la crise sanitaire, bénéficie désormais de l’appui d’un géant pharmaceutique pour faire avancer ses recherches.

 

Dans le cadre de cet accord, Aqemia appliquera son IA générative couplée à ses algorithmes propriétaires disruptifs de calcul d’affinité entre cible thérapeutique et molécules candidat-médicaments à l’identification de molécules ayant une action sur la main protéase du coronavirus. (Plus d’information dans le communiqué de presse ci-contre)

 

Le screening, ou comment repérer parmi des millions de molécules chimiques celles qui feront le médicament de demain

La première étape de recherche d’un médicament est faite par des virologistes et biologistes qui, en comprenant le mécanisme d’une maladie comme le Covid-19 induite par le virus SARS-CoV-2, identifient des cibles thérapeutiques, par exemple la 3CLpro1.

Il s’agit ensuite de trouver une molécule chimique ayant une affinité maximale avec la cible thérapeutique, « un peu comme trouver la meilleure molécule-clé pour la cible-serrure, schématise Maximilien Levesque. Par exemple, si l’on trouvait une clé pour la “serrure“ 3CLpro, on empêcherait la réplication du SARS-CoV-2. »

C’est justement l’avantage technologique majeur d’Aqemia : prédire vite et précisément l’affinité d’une molécule avec une cible thérapeutique. « En screenant des centaines de milliers de molécules, on trouve rapidement et beaucoup plus précisément qu’avec les technologies classiques la molécule qui correspond le mieux. De plus, grâce à l’apport de l’intelligence artificielle, nous pouvons générer des molécules qui n’ont pas encore été synthétisées jusque-là », précise son cofondateur.

« Screener une base de données de molécules sur une cible thérapeutique consiste à sélectionner celles qui maximisent la probabilité de devenir un médicament 10 ans et 2 milliards d’euros plus tard. »
Pour se rendre compte de l’ampleur de l’opération, il faut savoir que les bases de données de départ peuvent contenir des millions de molécules candidates, filtrées ensuite drastiquement par expériences ou logiciel pour n’en garder que plusieurs centaines à dizaines.

Mais la plupart de ces méthodes restent peu précises. Celle que l’équipe d’Aqemia a développé est assez rapide pour être utilisée en screening et beaucoup plus fiable que les processus existants. « Nous diminuerons donc le nombre de faux-positifs et faux-négatifs, trouvant beaucoup plus vite la meilleure molécule possible dans la base de données. Voire en inventant de nouvelles molécules optimales avec notre intelligence artificielle générative. »

 

Répondre à l’urgence d’un traitement médicamenteux

Pour le Covid-19, aller vers un traitement médicamenteux, c’est l’urgence. Contribuant à l’effort de recherche thérapeutique engagé partout dans le monde, Aqemia offre de screener les 3000 médicaments aujourd'hui sur le marché : des molécules déjà testées sur l'homme et facilement disponibles en quantité.

« Si les molécules actuellement évaluées ne se révélaient pas à la hauteur ou avec des effets secondaires trop forts, nous espérons pouvoir proposer aux médecins et chercheurs hospitaliers des molécules disponibles mais dont l’utilisation aurait semblé moins évidente » indique Maximilien Levesque. « Espérons que les médecins chercheurs hospitaliers aient déjà la bonne molécule en essai : notre travail permettra alors d’aider les virologistes moléculaires à mieux comprendre les modes de liaison entre les cibles thérapeutiques et les médicaments. Ce sera utile pour la suite de la lutte contre ce virus et ses descendants. »

Les difficultés sont nombreuses sur ce cas et le chercheur en liste plusieurs : « D’abord l’urgence. Après notre levée de fond de 1,6 millions d’euros en octobre 2019, nous ne pensions lancer notre outil que dans quelques semaines. Les équipes ont dû travailler d’arrache-pied pour avoir un prototype utilisable maintenant. »

Ensuite, les calculs effectués nécessitent d’avoir connaissance de la structure atomique des cibles thérapeutiques. « C’est un travail de recherche habituellement long, effectué par des équipes de spécialistes. Un mouvement extraordinaire des laboratoires de recherche académiques et privés du monde entier a permis en quelques semaines de déterminer la structure des cibles les plus pertinentes (Spike protein2, Main protease 3CLpro, ACE2, …). » se réjouit Maximilien Levesque.

Représentation de la main protease SARS-CoV2, ciblée par Aqemia
Représentation de la main protease SARS-CoV2, ciblée par Aqemia

 

Le choix des cibles est d’ailleurs l’une des étapes les plus importantes. Le screening d’Aqemia se fait pour une cible thérapeutique donnée, comme il le précise. « Nous cherchons à nous entourer de chercheurs capables de nous orienter vers les meilleures d’entre elles. Le système le plus efficace pourrait être de viser plusieurs cibles, comme c’est par exemple fait contre le VIH. Une chercheuse du laboratoire P4 Jean Mérieux-Inserm de Lyon nous recommandait ainsi de viser (screener) à la fois la main protéase et la polymerase. »

Paradoxalement, cette incroyable course contre la montre et ces collaborations à l’échelle mondiale engendrent une autre difficulté : quotidiennement, des centaines d’articles scientifiques nouveaux sont référencés sur le virus SARS-CoV-2 responsable de Covid-19, soit une quantité phénoménale d’information à trier.
Chaque jour, des nouvelles données sont ainsi ajoutées au screening pour améliorer encore sa performance. Créée il y a seulement quelques mois, Aqemia n’a pas encore les compétences en biologie et virologie pour choisir elle-même les cibles de façon pertinentes. Elle fait donc valider tous ses choix sur le problème précis et urgent de Covid-19 par les plus grands spécialistes français et internationaux.

 

1 La protease 3CLpro est une des enzymes du Covid-19, elle possède un rôle central dans son cycle viral.

2 La Spike protein du coronavirus est un élément moléculaire multifonctionnelle qui assure la médiation de l'entrée du coronavirus dans les cellules hôtes.

Maximilien Levesque

 

Physicien, théoricien, expert en mécanique statistique des liquides et intelligence artificielle appliquée à la physico-chimie, le cofondateur d’Aqemia est titulaire d’un doctorat en physique quantique du CEA Saclay. Sa thèse portait sur les frustrations de spins et leurs applications dans les matériaux pour le nucléaire. Passé par l’ENS-PSL, les universités d’Oxford et de Cambridge ainsi que Sorbonne Université, il a travaillé aux côtés de grands chercheurs comme Luc Belloni, Daniel Borgis, Marie Jardat, Benjamin Rotenberg, Mathieu Salanne ou Rodolphe Vuilleumier. « Tous ont nourri mon intérêt pour la théorie et les applications numériques à l’interface entre physique et chimie » indique Maximilien Levesque.

 

Recruté au CNRS en 2013 à 27 ans dans le pôle de théorie du département de chimie de l’ENS, il se concentre aujourd’hui sur son rôle de CEO de la start-up Aqemia, spin-off du CNRS/ENS, bâtie à partir de ses travaux de recherche et financée par le fond d’investissement Elaia - PSL Innovation Fund.

 

Article réalisé en collaboration avec Bastien Saïsse, étudiant du programme Médecine-Humanités de l’ENS-PSL