Une avancée majeure dans la quête de la vie sur Mars

La présence d’une communauté microbienne sur Mars il y a plusieurs milliards d’années aurait fortement compromis la possibilité de sa propre survie

Créé le
27 octobre 2022
Une équipe de chercheurs de l’ENS-PSL, de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) et de l'université d'Arizona ont réussi à conduire le tout premier bilan quantitatif de l'habitabilité de la croûte martienne durant le Noachien, il y a plus de 3,7 milliards d'années. Leurs conclusions ? Le sous-sol du début de Mars était très probablement habitable par des microbes méthanogènes. Cependant, la présence de ces microorganismes aurait eu un impact dramatique sur l'atmosphère et le climat de la planète, réduisant fortement la possibilité de vie à sa surface.
Photo : vue de face de l'atmosphère de Mars par la sonde Viking 1 © NASA (domaine public)
Photo : vue de face de l'atmosphère de Mars par la sonde Viking 1 © NASA (domaine public)

En 1965, Mariner 4, lancée par la Nasa, est la première sonde de l'histoire à survoler Mars, séparée de la Terre par un peu plus de 78 millions de kilomètres. Il faudra ensuite attendre 1976 pour qu’une autre sonde, Viking 1, puisse se poser sans encombre sur la planète rouge. Un atterrissage historique, qui marqua le début de la recherche de signes de vie sur cette terre inconnue. Plus de quarante ans après, les missions d’exploration sur Mars se sont multipliées et l’on y dénombre aujourd’hui pas moins de six objets artificiels actuellement en activité sur son sol, cherchant pour la plupart des preuves attestant l'existence d’organismes vivants. Si la question reste toujours en suspens, les scientifiques mènent des recherches de plus en plus prometteuses pour tenter de résoudre l’un des plus grands mystères spatiaux du XXIe siècle. Parmi eux, Régis Ferrière, mathématicien à l’Institut de Biologie de l’ENS (IBENS).

Une possible vie primitive sur Mars

Son équipe, en collaboration avec des chercheurs de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) et de l'université d'Arizona, a réussi à établir par modélisation mathématique et numérique le tout premier bilan quantitatif de l'habitabilité de la croûte martienne durant le Noachien, il y a plus de 3,7 milliards d'années. Les scientifiques ont ainsi pu établir une cartographie des traces fossiles d’une possible vie primitive sur la planète, et évaluer les chances de découvrir de telles traces dans les sites actuellement explorés par les robots tels que Curiosity et Perseverance.

Les résultats de ce bilan quantitatif montrent que le sous-sol des débuts de Mars était très probablement habitable par des microbes méthanogènes. « Mais ceux-ci auraient provoqué un refroidissement total de la planète, qui aurait mis fin aux potentielles conditions chaudes et propices à la vie, compromettant l'habitabilité de la surface. La biosphère aurait alors migré profondément dans la croûte martienne pour survivre », explique Régis Ferrière.

Des microbes à l’origine d’un refroidissement total de la planète rouge

Les chercheurs ont évalué l’habitabilité sur Mars par rapport à l'un des métabolismes les plus primitifs sur Terre, la méthanogenèse hydrogénotrophe, qui utilise le dihydrogène (H2  comme source d'énergie et produit du méthane comme déchet. En consommant du dihydrogène atmosphérique et en libérant du méthane, cette importante communauté microbienne aurait profondément modifié l'atmosphère et le climat de la planète rouge. L'effet provoqué aurait été exactement le contraire de celui produit sur la Terre primitive : un refroidissement global plutôt qu'un réchauffement. « Comme conséquence stupéfiante, le changement climatique provoqué par la communauté microbienne noachienne elle-même aurait compromis l'habitabilité de la surface, et la biosphère aurait été ainsi forcée à des kilomètres plus profondément dans la croûte martienne », indique Régis Ferrière.
Le Noachien, qui va de 4,1 à 3,7 milliards d’années, correspond à la période pendant laquelle, sur Terre, les premiers écosystèmes se sont vraisemblablement structurés. « L’atmosphère martienne était alors probablement riche en dioxyde de carbone (CO2) et en dihydrogène, la température beaucoup moins froide qu’aujourd’hui, et l’eau abondante, liquide à la surface, ou sous forme de saumures dans les couches supérieures de la croûte », détaille le chercheur.  « Eau liquide, CO2 et H2 sont des ingrédients favorables au fonctionnement d’un métabolisme qui, sur Terre, fut sans doute l’un des premiers : la méthanogénèse hydrogénotrophe, que je mentionne plus haut ».
Les cellules qui possèdent ce métabolisme consomment CO2 et H2 pour produire de l’énergie, et fabriquent du méthane comme produit dérivé. Elles utilisent alors cette énergie pour maintenir leur intégrité physiologique, grossir et se reproduire, en consommant le carbone, l’azote et le phosphore disponibles pour construire leur biomasse. « En combinant les modèles les plus poussés du système géo-physico-chimique martien primitif, nous avons pu évaluer la viabilité de l’écosystème que de tels méthanogènes auraient pu former avec leur environnement », précise Régis Ferrière.

Une migration de la vie martienne en sous-sol

Le nouveau modèle créé par les équipes de recherche prédit un refroidissement global et substantiel de Mars, sous l’effet de l’activité des micro-organismes méthanogènes consommateurs d’hydrogène. « Selon le point de congélation de l’eau dans la croûte - un paramètre que les mesures physico-chimiques disponibles ne permettent pas d’estimer avec précision - ce refroidissement aurait pu causer un effet “boule de glace” global de la planète », résume le scientifique. « Mars ainsi drapée d’une couche de glace très tôt dans son histoire, on peut imaginer que les échanges gazeux entre la croûte et l’atmosphère devinrent impossibles, condamnant ainsi les méthanogènes hydrogénotrophes qui dépendaient de ces échanges à périr ou ne subsister qu’en profondeur, à proximité d’autres sources de nutriments et d’énergie, comme des sources hydrothermales internes ou d’autres phénomènes internes liés par exemple à la radioactivité. »
La vie à la surface de Mars, déjà fragilisée par le vent solaire, principal responsable de l’érosion de l'atmosphère, aurait donc été rendue impossible par la glaciation provoquée par les micro-organismes eux-mêmes.

Simulation de l'état de la surface de Mars sous l'effet de l'activité métabolique de microorganismes consommateurs d'hydrogène et producteurs de méthane. Sur l'échelle de temps considérée (ici quelques centaines de milliers d'années), la température chute et la glace s'étend jusqu'à recouvrir la quasi-totalité de la surface planétaire, compromettant la viabilité même de la biosphère.
Simulation de l'état de la surface de Mars sous l'effet de l'activité métabolique de microorganismes consommateurs d'hydrogène et producteurs de méthane. Sur l'échelle de temps considérée (ici quelques centaines de milliers d'années), la température chute et la glace s'étend jusqu'à recouvrir la quasi-totalité de la surface planétaire, compromettant la viabilité même de la biosphère.

 

Cartographier la surface de Mars pour chercher la vie

Mais comment rendre compte in situ de cette prédiction, modélisée par Régis Ferrière et son équipe ? Pour cela, les chercheurs ont utilisé leur modèle pour cartographier les zones de la surface de Mars susceptibles de comporter des fossiles ou d'autres biomarqueurs de ces micro-organismes. « Nous avons estimé la probabilité que certaines “poches” microbiennes aient vécu à ou près de la surface noachienne, malgré le refroidissement global déclenché par la vie », justifie le scientifique. « Les projections spatiales de nos prédictions indiquent que les sites de plaine à des latitudes basses à moyennes sont de bons candidats pour découvrir des traces de cette vie précoce à la surface ou près de celle-ci », explique-t-il. En chaque point de cette carte martienne, le modèle établi par les chercheurs calcule la probabilité que l’écosystème méthanogène hydrogénotrophe ait pu exister à une profondeur donnée.

« Les conditions d’une présence durable, donc susceptible de laisser des traces fossiles détectables, près de la surface et à une profondeur accessible aux forages prévus par les prochaines missions martiennes sont très contraintes ». Le score de la région actuellement explorée par le robot Perseverance, obtenu grâce au modèle prédictif, figure dans la fourchette des valeurs hautes de cette probabilité, « mais cela reste peu élevé », tempère le scientifique. « Notre modèle indique d’importantes probabilités de présence de traces microbiennes fossiles dans des conditions très spécifiques et dans une région de Mars bien précise, mais jugée, pour des raisons techniques - météo, état du terrain - malheureusement défavorable à une exploration robotique pour le moment. »

 

Comment modéliser un écosystème extraterrestre datant de 3,7 milliards d'années ?

L’évaluation de l’habitabilité de planètes et corps planétaires est un problème complexe. La nouvelle approche de Régis Ferrière et de ses équipes repose sur la modélisation mathématique et la simulation numérique.
Le principe ? Utiliser la modélisation pour tester in silico la viabilité d’écosystèmes hypothétiques dont l’émergence est envisageable sur la planète Mars. Les scientifiques ont ainsi modélisé un écosystème en couplant un modèle de population d’organismes hypothétiques très simples, unicellulaires, à un modèle géo-physico-chimique de l’environnement planétaire de Mars.
Grâce à cet écosystème, les chercheurs ont pu simuler la dynamique de cette biosphère hypothétique et de son environnement physico-chimique. Puis, ils ont défini l’habitabilité de Mars, en prenant en compte la possibilité que le système couplé de la biosphère et de son environnement puisse persister à long terme.
Les scientifiques ont pu ensuite formuler le résultat en termes probabilistes, en prenant en compte l’incertitude sur le modèle géo-physico-chimique et ses paramètres et sur la biosphère hypothétique, c'est-à-dire l’incertitude sur les métabolismes possibles et les paramètres de ces réactions biochimiques.

Guider de nouveaux programmes d’observation spatiale

Désormais, les chercheurs travaillent à une adaptation de leur modèle à la période contemporaine de Mars, en s’attaquant non plus à la surface de la planète, mais à son sous-sol : « nous sommes en train de modéliser la présence « d’oasis » internes martiennes, où les éléments nécessaires à la persistance et à l’évolution de microorganismes primitifs pourraient exister ». Plus largement, les scientifiques s’intéressent à l’évaluation de l’habitabilité et à la prédiction de biosignatures pour les “lunes de glace” du système solaire, des corps célestes qui gravitent autour de Jupiter et Saturne. La présence d’eau sous forme de glace et liquide fait d’Encelade, de Titan et d’Europe des candidates à l’émergence d’une possible forme de vie. « Ces recherches pourraient bientôt guider les programmes d’observation actuels et futurs, utilisant les télescopes terrestres et spatiaux », révèle Régis Ferrière. Des modèles qui, explique le chercheur, nécessitent une meilleure compréhension des principes généraux du fonctionnement et de l’évolution des écosystèmes dans leur contexte géo-physico-chimique, de l’échelle microscopique locale à l’échelle planétaire globale. « Les théories standards développées de longue date pour les écosystèmes terrestres qui nous sont les plus familiers sont insuffisantes – les défis sont ainsi nombreux et passionnants ! »

L’interdisciplinarité, une convergence d’expertises

Cet enthousiasme et cette curiosité pour l’inconnu nourrissent le quotidien de Régis Ferrière depuis maintenant plus de 20 ans. En 2001, le scientifique fondait l’équipe Éco-Évolution Mathématique au sein de l’Institut de Biologie de l’ENS-PSL. Ce groupe de recherche, qui fait le lien entre mathématiciens et biologistes, utilise des approches numériques et mathématiques pour explorer des questions générales portant sur les systèmes écologiques et leur évolution. Les sujets d’étude sont très variés : ils portent par exemple sur l’évolution de la coopération dans les populations, le rôle de la sélection naturelle dans la diversification des espèces, ou encore sur les réponses des populations et communautés écologiques aux changements environnementaux, et les rétroactions induites sur les facteurs de ces changements.
« L’interdisciplinarité est véritablement au cœur de nos travaux » souligne Régis Ferrière « Elle se pose dans la nature de nos questions scientifiques et requiert une convergence d’expertises, ce qui s’applique à notre équipe, mais aussi de manière plus générale dans la recherche », précise-t-il. « Voilà pourquoi je conseille à tout futur chercheur de prendre le temps de se former au plus haut niveau dans les domaines qui le passionne, et de se créer les meilleures expériences possibles d’apprentissage en immersion dans la recherche, qu’il s’agisse de stages ou lors de la thèse. »

Mais pour le mathématicien, c’est aussi aux établissements de créer les meilleures conditions possibles pour former au mieux les chercheurs et chercheuses de demain. « L’ENS-PSL constitue bien évidemment un environnement intellectuel et scientifique exceptionnel », estime Régis Ferrière. « Les étudiantes et étudiants que nous recrutons sont particulièrement à même de relever le défi de la convergence pluridisciplinaire que j’évoquais précédemment. Peu de lieux permettent une telle fluidité des échanges entre disciplines, entre départements scientifiques et littéraires », conclut le chercheur.

 

La genèse d’une collaboration internationale

Ce projet inédit de bilan quantitatif de l'habitabilité martienne a pris corps il y a un peu plus de cinq ans, dans le cadre d’une Initiative de Recherche Interdisciplinaire Stratégique soutenue par l’Université PSL, intitulée « Origines et Conditions d’Apparition de la Vie » (OCAV).
OCAV fut conçu, lancé et animé par l’astrophysicien Stéphane Mazevet, aujourd’hui directeur de l’Observatoire de la Côte d’Azur. « Autour de nous s’est créée une formidable équipe, incluant notamment nos collègues François Guyot, biogéochimiste professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, Benjamin Charnay, chercheur CNRS au Laboratoire d'Etudes Spatiales et d'Instrumentation en Astrophysique, Boris Sauterey, chercheur postdoctorant, et Antoine Affholder, qui vient de soutenir sa thèse de doctorat », explique Régis Ferrière.
Des collaborations de longue date existent entre l’Université d’Arizona et la France dans le domaine de l’écologie et des sciences de l’univers. Le CNRS et l’ENS-PSL ont par exemple créé à l’Université d’Arizona un laboratoire international dédié aux études environnementales globales. « Les conditions étaient donc très propices au développement de collaborations avec nos collègues américains ».

 

Bibliographie
Early Mars habitability and global cooling by H2-based methanogens, Boris Sauterey, Benjamin Charnay, Antonin Affholder, Stéphane Mazevet & Régis Ferrière, Nature Astronomy, 10 octobre 2022