Une crise numérique plus vraie que nature : reportage au cœur de la PSL week du CIENS de l’ENS

Créé le
6 janvier 2025
Du 24 au 28 novembre 2025, une quarantaine d’étudiants de l'ENS-PSL, Paris-Dauphine, l'EPHE, les Mines et l’ESPCI Paris ont plongé au cœur des enjeux cyber et de lutte informationnelle lors de la PSL Week organisée par le Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS) de l'ENS-PSL. 
Consacrée aux nouveaux domaines de conflictualité – cyber, espace extra-atmosphérique, hybridité et lutte informationnelle –, cette semaine intense a comporté « un jeu sérieux », une simulation de crise ponctuée de rebondissements qui a confronté les participants aux réalités complexes de la prise de décision stratégique. Reportage par Stéphanie Braquehais, cheffe de projet du CIENS.
Reportage PSL WEEK
Crédit photos : Stephanie Braquehais, CIENS/ENS-PSL

Tout commence par une fuite massive de documents confidentiels sur Internet révélant qu'une cyberattaque contre une grande compagnie minière en Nouvelle-Calédonie aurait provoqué une fuite d’acide. Alors que l'entreprise est sous le feu des critiques, un autre front s'ouvre : à l'approche du référendum sur les Accords de Bougival, crucial pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, les réseaux sociaux s'agitent autour de possibles manipulations des listes électorales.

C’est ainsi que débute le scénario distribué aux étudiants de la PSL Week du CIENS : un dossier de plus de 30 pages rassemblant de faux articles de presse, de retranscriptions de conférences et de captures d'écran de réseaux sociaux. 

« Ma grand-mère est inscrite et pourtant, elle est morte en 2008, quelle blague », peut-on lire sur la capture d'écran d'un fil Telegram, en page 24. 

À l'occasion de la PSL Week du CIENS, dédiée aux nouveaux domaines de conflictualité, cette simulation a servi de fil rouge à une série d'enseignements sur le cyber, l'intelligence artificielle, la lutte informationnelle et les enjeux stratégiques de la région “Asie-Pacifique”, dispensés par des universitaires et des experts du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique), de l'ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) ou encore de Viginum (service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères). 

« Cela permet d’interroger de manière critique, la notion souvent mal définie de guerre hybride à travers l'exploration de ces domaines de conflictualité », explique Frédéric Gloriant, directeur du CIENS. 

Dix minutes chrono

Répartis en cellules de quatre, les étudiants endossent le rôle de conseillers du Conseil de défense et de sécurité nationale : analyste du renseignement intérieur, des services extérieurs, de la Gendarmerie ou spécialiste de la zone Pacifique.

« Le scénario se divise en trois parties, avec, à chaque fois, des rebondissements et des informations parcellaires. L'objectif : s'attaquer à des questions complexes, peser des intérêts parfois contradictoires et proposer une stratégie d’action réaliste », explique Alix Desforges, directrice France du concours annuel Cyber 9/12 Strategy Challenge de l'Atlantic Council, qui a contribué à son élaboration,

Il ne s'agit donc pas de coder ou de traquer un malware, mais de prendre en compte un contexte géopolitique complexe, d'identifier les acteurs concernés et leurs différents domaines de compétences (militaire, diplomatique, économique, etc.) et de proposer des solutions réalistes.

Le tout en dix minutes chrono. C'est le temps de présentation orale imparti pour convaincre le jury que l'analyse de la crise et le plan d'action sont les plus pertinents. L'essentiel est de structurer sa réponse plutôt que d'énumérer les options possibles, tout en précisant pour chaque ligne de conduite la temporalité envisagée (court ou long terme). Maximum : quatre actions, en estimant le rapport coût-bénéfice de chacune.

« Il n'existe pas de solution idéale à la crise, explique Marie-Gabrielle Bertran. Il faut donc faire preuve de créativité et ne pas avoir peur de prendre des risques. »

Profils variés

Entre les cours, les discussions vont bon train sur la meilleure approche à adopter. Chuchotements, tapotements frénétiques sur le clavier, feuilles froissées dans la poubelle : l'effervescence est à son comble. Le scénario évolutif se divise en trois parties avec, à chaque fois, rebondissements et informations parcellaires. L'objectif : s'attaquer à des questions complexes et peser des intérêts parfois contradictoires.
Personne ne connaît ses coéquipiers en début de semaine. La composition des groupes réunit volontairement des profils venus de disciplines et d’établissements variés au sein de PSL : Normale Sup, l’École des Mines, Dauphine, l’EPHE, ou encore Panthéon Assas… Une diversité qu'il faut transformer en atout. Trouver un langage commun, articuler les expériences de chacun et chacune, répartir les rôles dans un temps limité.

« Ce qui est difficile, c'est de faire des choix : maintien du scrutin ou non ? Attribution de la cyberattaque ? Même entre nous, on n'était pas d'accord, on a beaucoup débattu », témoigne l'un des participants.

Ultime rebondissement

Le dernier jour, les deux meilleures équipes s'affrontent pour un ultime rebondissement. L'attaquant n'était pas celui que l'on croyait. Un pays que l’on pensait être un allié de longue date a potentiellement joué double jeu. Cette fois, les étudiants disposent de vingt minutes seulement pour réadapter leur stratégie sur la base des documents fournis : un rapport confidentiel d'une agence gouvernementale et des coupures de presse. Interdiction de consulter Internet.

« À ce stade, la difficulté est immense, souligne Alix Desforges, car il faut s'adapter à une nouvelle réalité. Ce qui fait la différence, c'est une répartition efficace des rôles et une gestion rigoureuse du temps. »

Dans la salle du 29 rue d’Ulm, toute la classe vient assister à la finale.

« Je dois parler à mon homologue dans quelques minutes, quel message dois-je lui faire passer par rapport à ces récentes découvertes ? » demande Alix Desforges qui joue le rôle d'une ministre des Armées.

« Le contexte sécuritaire ne permet pas de maintenir le scrutin, répond l'un des participants. Une partie de la population n'a pas accès aux bureaux de vote, ce qui contrevient à leur droit essentiel. Nous sommes conscients que c'est un risque politique, mais nous l'estimons calculé. Nous poursuivrons bien entendu les consultations avec les populations locales. »

Verdict quelques minutes plus tard. « Nous avons eu du mal à trancher, admet Frédéric Gloriant. Il y avait des qualités et des défauts de chaque côté. Bravo à vous. Ce n'est pas évident de se présenter au public en ayant absorbé plus de dix pages en si peu de temps et à l'issue d'une semaine intense en enseignements. »

Réaction des étudiants à chaud : « C'est très stimulant et ludique ce format. Intense aussi. On a vraiment puisé dans nos réserves. »