Une équipe française remporte pour la première fois le 2è Prix Buchalter de Cosmologie

Rencontre avec Lucas Pinol, post-doctorant au Laboratoire de physique de l’ENS-PSL et co-lauréat

Créé le
14 mars 2024
Lucas Pinol, post-doctorant dans l’équipe GRACES au Laboratoire de physique de l’ENS-PSL et Sébastien Renaux-Petel, chercheur CNRS et Denis Werth, tous deux à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP), ont remporté le deuxième Prix Buchalter de Cosmologie 2023. Il s’agit de la première équipe de recherche française récompensée par ce prix prestigieux.
 
Ces travaux novateurs relèvent de la physique théorique appliquée à la cosmologie et, plus précisément, aux scénarios décrivant l’univers dans les premières fractions de seconde de son existence. Dans cet entretien, Lucas Pinol revient en détail sur ces recherches inédites et nous explique leur contribution à une meilleure compréhension de l’univers et de la physique théorique.
Lucas Pinol
Lucas Pinol, post-doctorant dans l’équipe GRACES au Laboratoire de physique de l’ENS-PSL

Vous êtes chercheur en cosmologie théorique, en quoi consiste exactement cette discipline ?

Lucas Pinol : La cosmologie est la science qui vise à comprendre l’univers au sens large. Elle consiste en l’étude des propriétés du cosmos, à la fois d’un point de vue observationnel et théorique. Les astronomes fournissent la matière à penser des cosmologistes : les données issues des observations de l'univers.
À partir de ces données brutes - positions des galaxies et supernovas, rayonnement du fond diffus cosmologique, etc.- les cosmologistes parviennent à remonter le temps et à élaborer le scénario le plus probable d’évolution de l’univers. On peut parler d’une forme d’archéologie cosmique. Au sein de la cosmologie, les théoriciens inscrivent ces scénarios dans un cadre rigoureux et cohérent avec les grandes lois de la physique : gravité, interactions fondamentales…

« Nous proposons une nouvelle méthode appelée « flot cosmologique » pour calculer les propriétés statistiques de l’univers dans presque tous les scénarios d’inflation, y compris ceux les plus complexes. »

Le 2è prix Buchalter de Cosmologie 2023 récompense vos travaux novateurs en cosmologie et le développement d’un cadre théorique pour étudier la physique de l’univers primordial. En quoi consistent ces recherches ?

Lucas Pinol : Mes travaux qui ont été récompensés par le prix Buchalter de Cosmologie 2023 relèvent de la physique théorique appliquée à la cosmologie et, plus précisément, aux scénarios décrivant l’univers dans les premières fractions de seconde de son existence, ce qu’on nomme dans le jargon l’univers primordial.
Le scénario le plus probable, au vu des observations de l’univers dont nous disposons actuellement, se nomme l’inflation cosmologique, et consiste en une période d’expansion accélérée de l’univers. Il reste néanmoins à déterminer le processus expliquant cette forme d’expansion, car les modèles les plus simples ne s’inscrivent que rarement dans un cadre théorique rigoureux.

Dans ces travaux récemment primés, mes collaborateurs et moi proposons une nouvelle méthode que nous appelons le « flot cosmologique » pour calculer les propriétés statistiques de l’univers dans presque tous les scénarios d’inflation, y compris ceux plus complexes inspirés de théories physiques fondamentales comme la théorie des cordes. Pouvoir prédire ces caractéristiques est absolument primordial, car en comparant prédictions et données réelles, on peut alors distinguer les scénarios probables de ceux improbables, et donc avancer dans notre compréhension de l’univers et de la physique théorique.

Cosmoflow
Illustration du flot cosmologique.

Illustration du flot cosmologique. Un satellite observe notre univers (galaxies, fond diffus cosmologique, etc.). Les propriétés statistiques de ces grandes structures sont héritées de celles, initiales, encodées dans ce qu’on appelle les corrélateurs cosmologiques. Ces corrélations statistiques sont représentées ici par les lignes rouges et triangles bleus. Leur évolution au cours du temps (représenté par la flèche noire), à partir des fluctuations quantiques initiales et jusqu’à la fin de l’inflation, est décrite par le « flot cosmologique ». La nouvelle génération de grands relevés cosmologiques permettra d’explorer les traces laissées dans le ciel par ces corrélateurs, offrant la possibilité de sonder de nouvelles théories physiques pour décrire.

 

En quoi ces travaux s’inscrivent-ils dans les enjeux actuels de la cosmologie ?

Lucas Pinol : Dans les prochaines années, de nombreuses collaborations internationales collecteront une quantité astronomique de nouvelles données, toujours plus précises. On peut penser au satellite européen Euclid, construit et opéré par l’ESA, lancé l’été passé, et qui observera plusieurs milliards de galaxies ! Cependant, ces investissements colossaux ne porteront leurs fruits que si les prédictions théoriques se situent au même niveau de précision. Nos travaux s’inscrivent précisément dans ce contexte : en proposant une systématisation des prédictions théoriques pour de nombreux scénarios décrivant l’univers primordial, nous permettons une interprétation sans biais des données de grande qualité à venir.

Ces travaux sont le fruit d’une collaboration interétablissement avec Sébastien Renaux-Petel, chercheur CNRS et Denis Werth, tous deux à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP). Comment celle-ci est-elle née ?

Lucas Pinol : J’ai effectué ma thèse de doctorat à l’IAP entre 2018 et 2021, sous la co-supervision de Jérôme Martin et Sébastien Renaux-Petel. Après deux contrats post-doctoraux dont un à l’étranger, j’ai désormais largement développé un réseau de collaborateurs international et mes propres directions de recherche. J’ai néanmoins gardé une complicité scientifique forte avec mes deux directeurs de thèse. En particulier, les travaux récompensés sont nés lors de ma dernière année de thèse en 2021, lorsque j’ai co-encadré le stage de Master de Denis Werth à l’IAP, désormais doctorant supervisé par Sébastien Renaux-Petel.

« Mettre l’implémentation numérique de notre approche en accès libre s’inscrit dans cette démarche communautaire, que nous pensons la plus efficace pour avancer rapidement. »

Vous avez mis l’implémentation numérique de votre nouvelle approche en accès libre. En quoi est-ce important pour vous ?

Lucas Pinol : Notre nouvelle approche est extrêmement versatile, elle peut être appliquée dans de nombreux contextes et étendue dans plusieurs directions. Nous avons rapidement réalisé que le champ des possibles était trop large pour que nous soyons les seuls à l’explorer. Comme je l’ai déjà mentionné, la cosmologie théorique se doit d’atteindre le niveau de précision des observations à venir. Pour cela, il va falloir mettre nos efforts en commun. Mettre l’implémentation numérique de notre approche en accès libre s’inscrit dans cette démarche communautaire, que nous pensons la plus efficace pour avancer rapidement.

C’est la première fois qu’une équipe française remporte ce prix. Qu’est-ce que celui-ci représente pour vous ?

Lucas Pinol : C’est la récompense pour un ambitieux travail de long terme, issu d’une idée germée à la toute fin de ma thèse avec Sébastien Renaux-Petel et que Denis Werth a très largement participé à développer durant sa propre thèse. En sus de l’article court qui a été récompensé, nous avons depuis mis en accès libre un papier long de plus de 100 pages pour expliquer les détails de cette nouvelle approche, ainsi qu’une notice d’utilisation de notre implémentation numérique pour la communauté.

Que va vous permettre l’obtention de ce prix et quelles vont être les prochaines étapes de vos recherches ?

Lucas Pinol : Offrir une tournée à mes proches ! Plus sérieusement, comme je l’ai déjà mentionné, ces travaux ouvrent davantage de pistes qu’ils n’en ferment. De mon côté, je travaille déjà avec des collaborateurs japonais et chinois à une application de notre méthode pour explorer les détails d’un signal fin dans les statistiques de notre univers, appelé le « collisionneur cosmique », en comparant les prédictions de notre approche numérique à celles de nouvelles méthodes de calcul dites analytiques. Je sais que Denis et Sébastien ont également leurs propres idées, mais aussi que plusieurs autres groupes de recherche dans le monde ont déjà téléchargé notre implémentation numérique et vont commencer à l’utiliser pour leurs propres projets. L’aventure du flot cosmologique ne fait que commencer !

Auriez-vous un conseil pour toute personne souhaitant se diriger dans la recherche ?

Lucas Pinol : Patience, humilité, curiosité et force de travail sont des qualités indéniables pour travailler dans la recherche. Ces qualités ne sont pas innées et peuvent se développer avec le temps. Le monde de la recherche contemporaine est extrêmement compétitif, et il faut résister à la pression en opposant aussi une déontologie inébranlable. Malheureusement il faut dire aussi qu'il y a depuis plusieurs années une dégradation des conditions de travail des chercheurs. Il serait souhaitable que des décisions soient prises pour plus d'investissement sur le long terme pour le futur de la recherche publique, indépendante et non productiviste, qui a su faire le rayonnement de la France dans le passé.

 

À propos de Lucas Pinol

De mémoire, Lucas Pinol a toujours été avide d’apprendre. « Et mon travail de chercheur me permet tout simplement de continuer à apprendre tous les jours », estime-t-il. Son goût pour la cosmologie théorique s’est quant à lui développé avec le temps : « quand j’étais petit, je voulais inventer le médicament qui rendrait les gens immortels ! » se rappelle-t-il. Depuis, le chercheur s’est fait une raison, et a développé une curiosité pour « la description rigoureuse des phénomènes naturels qu’on observe » : la physique théorique. « Appliquer la physique théorique à la cosmologie en particulier rajoute une dimension cyclopéenne qui fait parfois tourner un peu la tête, et permet de s’échapper des considérations terriennes pour aller vers un monde exotique et passionnant », explique-t-il.

« Enfant de la rive droite parisienne », après avoir grandi dans le 18e arrondissement, Lucas Pinol passe ses années lycée à Condorcet à Saint-Lazare. Il intègre ensuite une classe préparatoire scientifique au lycée Louis-le-Grand, qui le mène ensuite au concours d’entrée de l’ENS-PSL, où il intègre le département de physique. Après un master de physique théorique à l’École normale, il effectue sa thèse de doctorat à l’IAP puis obtient un premier contrat post-doctoral à l’Instituto de Física Teórica de Madrid. Lucas Pinol décroche ensuite un financement de Sorbonne Université pour sa propre recherche, afin de s’implanter comme chercheur post-doctoral indépendant au Laboratoire de physique de l’ENS (LPENS) où il travaille désormais. « L’ENS représente pour moi un lieu de passion pour la connaissance au sens large, en plein cœur du Quartier Latin si important dans l’histoire universitaire française. Le LPENS illustre bien tout ceci, avec de nombreux groupes de recherche à la fois tournés vers les expériences et les développements théoriques les plus formels » considère-t-il. « C’est avant tout ce foisonnement des idées qui constitue selon moi le grand atout de travailler au sein d’un laboratoire hébergé par l’ENS. »