Vous serez les garants de la liberté et du bien-être des soignés

Kyllian Delplace, un parcours entre pluridisciplinarité et engagement social

Étudiant en médecine et en philosophie, passionné par la littérature et la linguistique, Kyllian Delplace a rejoint le programme Médecine-Humanités en septembre 2019. Retour sur un parcours marqué par l'engagement social et une curiosité insatiable pour l’humain et le monde.
Kyllian Delplace, au centre, lors de la Nuit des idées à l'ENS-PSL | janvier 2020 © Frédéric Labrouche
Kyllian Delplace, au centre, lors de la Nuit des idées à l'ENS-PSL | janvier 2020 © Frédéric Labrouche

Un parcours guidé par des convictions et l’envie de contribuer à la société

Lorsqu’il parle de Segré, sa ville d’origine, Kyllian Delplace ne manque pas d’évoquer Hervé Bazin, l'auteur de Vipère au Poing qui, comme lui, a passé son enfance dans cette commune paisible de la région d’Angers. Aujourd’hui Kyllian est étudiant en médecine, un étudiant qui a toujours eu une attirance pour les lettres et les sciences sociales : « à la sortie du lycée j’étais intéressé par une carrière scientifique, j’ai donc décidé d’expérimenter PluriPASS à la faculté de santé d'Angers en choisissant le parcours Maths-Physique-Chimie-Informatique. J’ai aussi veillé à maintenir une culture philosophique et littéraire, car il s'agissait pour moi d'une nécessité de vie pour appréhender sainement les concours. »

En parallèle de son admission en médecine, le jeune homme se lance dans la prévention santé et du tutorat médical. Attiré par la possibilité d’un parcours pluridisciplinaire, il tente aussi le concours normalien étudiant en sciences à l’ENS-PSL, sans succès : « lorsque j'ai échoué aux oraux, le jury m'a informé qu'il trouvait mon projet scientifique peu abouti. Cette remarque a été un déclic. Je me suis rendu compte que les sciences dures ne me passionnaient pas - bien qu'elles suscitent un très grand intérêt de ma part - et que je suivais un double cursus en biologie, seulement parce qu'il était le seul proposé par l’université où j’étais. » explique Kyllian avec recul.

Loin de renoncer, il prend alors le temps de s’écouter et se met à la recherche d’un cursus médecine-lettres adapté à ses envies tout en suivant un enseignement de master en éthique. Son travail au sein d’un EPHAD et les difficultés récurrentes de soins aux patients vont l’encourager à poursuivre dans cette direction. Le programme Médecine-Humanités de l’ENS, qui s’adresse aux étudiants en médecine soucieux de compléter leur formation par un cursus adapté en sciences humaines, et ancrer leur pratique dans une réflexion sur le sens et les missions du soin est une révélation pour lui : « par son histoire, par les personnes qui l'ont traversée, par la liberté des choix d'enseignements, par son interdisciplinarité, l'ENS représentait la seule école dans laquelle je me reconnaissais et qui me permettrait de parfaire mon développement intellectuel. J'ai donc candidaté au concours médecine-humanités, m'apercevant que j'avais développé un parcours très interdisciplinaire coïncidant avec l'image normalienne. »

« Immédiatement après le Bac, j'avais choisi d'aller en médecine après avoir observé dans mon lycée en zone prioritaire d'éducation, et au sein du milieu ouvrier dont mes parents font partie, le fossé entre ces catégories de population et la médecine. J'avais donc l'envie d'introduire du soin dans ces terrains sanitaires délaissés. C'est pour cela que je me suis orienté vers la fac de médecine. Je multipliais aussi les engagements sociaux, marqué par la brutalité de l'usine dans laquelle j'ai travaillé "à côté" de mes études, afin d'avoir un impact sociétal et intellectuel chez les personnes les moins informées concernant les possibilités de soin. »

 

Une année 2020 éprouvante, entre les cours et ses engagements de soignant

Rattaché au département de philosophie de l’ENS-PSL, Kyllian étudie désormais les langues anciennes, la philosophie antique, l'économie, la littérature et la linguistique. Il savoure l’autonomie que lui donne l’ École dans son apprentissage : « la liberté est encore considérée comme formatrice à l’ENS. Je conçois que certaines institutions puissent ressentir un réconfort à savoir que le suivi est encadré avec sévérité mais certains ne s'épanouissent pas dans ces cadres rigides, et je suis de ceux-là ! Cette liberté et cette confiance permettent aux étudiants une grande créativité dans leurs idées et une approche différente de celle des facultés classiques. »

Mais Kyllian apprécie aussi la proximité avec les professeurs et les chercheurs, nécessaire selon lui pour aider les étudiants à appréhender les obstacles qui se présenteront à eux dans leur future vie professionnelle. Le normalien a l'intime conviction que c'est à chacun de faire ce qu’il veut de cette formation unique, de l'utiliser à bon escient : « elle nous construit autant qu'on la construit. » résume-t-il.

Étudiant en médecine en plus d'être étudiant en philosophie, Kyllian a prêté main forte au personnel soignant des hôpitaux ou des EHPAD pendant la crise du Covid-19. Une expérience qui l’a beaucoup touché. Face aux conséquences sanitaires, médicales et sociales de la crise il dit : « je l'ai vécue comme une crainte, la crainte que chacun peut ressentir lorsqu’on est face aux soignés, face à la maladie. La crainte de l'infection de la société par cette maladie qui a tout envahi, désemparant les plus touchés par ces questions, puisque celles-ci se manifestaient sans cesse à nos esprits, nous contraignant à la perfusion médiatique. La crainte que la vision médicale puisse subir une extension sociétale, c'est-à-dire de voir les difficultés de ce système comme une défiance vis-à-vis d'un ensemble. »

Le jeune homme s’est aussi retrouvé désemparé face à l’arrêt des cours en présentiel et à la gestion d'un emploi du temps devenu hybride. Comment s’investir auprès du personnel soignant et des patients tout en continuant à étudier ? À cela se sont ajoutés d’autres sujets de préoccupation : la peur d’être un hôte de la maladie qui l’aurait empêché de pouvoir soigner mais aussi celle de l’avenir : « je vivais difficilement cette période, notamment parce que mon expérience dans les EHPAD me laissait présager d'importantes difficultés » confie l’étudiant.

 

L’importance de l'expérience humaine, de l'ouverture et de la diversité sociale et intellectuelle en médecine

Quant à son futur professionnel, si Kyllian ne se destine pas encore à un métier précis, il compte rester fidèle à ses valeurs et à ce que lui a appris l'ENS : rester ouvert sur le monde, diversifier et encourager les projets et les innovations. « Je sais également que je maintiendrai cette proximité avec la médecine, et que je ferai partie de ceux qui se destinent à un autre type d'entreprenariat, en raison de la liberté de réalisation des projets mais aussi car cette branche est encore assez peu développée en médecine ». Pour lui, il est nécessaire d'encourager les innovations afin de sécuriser les données des personnes soignées et d'accélérer les soins en aidant le personnel soignant et en améliorant leurs conditions d'exercice.  « Je voudrais participer à un autre soin plus ancré dans la prévention et une autre recherche qui étudie plus en détail les mécanismes fondamentaux. » conclue-t-il.

Et à ceux qui se destinent à une carrière médicale, il recommande de ne jamais oublier qu’ils sont responsables du pouvoir social qui leur est donné en médecine : « notre connaissance de la médecine nous donne une aura importante dans la société. Peu remettront en cause votre rôle, à charge pour vous, d'être non seulement réflexif sur ce pouvoir qui fonde votre pratique mais de vous en méfier, individuellement et collectivement ». Une réflexion indispensable selon Kyllian, pour qui l'idée de choix médical libre et éclairé de la personne soignée relève du mythe. « Cela ne veut pas dire qu'il faut nier le choix du patient mais plutôt qu'il ne faut pas se dédouaner de ses responsabilités au motif que la personne aurait un choix libre et éclairé. Une ambition difficile qui trouve des moyens de résolution dans l'expérience humaine, dans l'ouverture et dans la diversité sociale et intellectuelle. Vous serez les garants de la liberté et du bien-être des soignés, c'est-à-dire que vous êtes ceux qui garantissez cela comme possible. Ce n'est pas un diplôme qui fait de vous des soignants mais la mise à disposition de votre savoir afin de répondre au mieux aux attentes des personnes à travers le soin, qui est d'abord un lien social. C'est en maintenant ce lien social que vous éviterez les possibles frustrations que les personnes peuvent ressentir et que vous deviendrez authentiquement vecteurs de soin. »

 

À propos du programme Médecine-Humanités
Ce programme créé en 2018 relie les principes généraux des humanités aux questions les plus nouvelles posées par les savoirs et les pratiques de la médecine. Il s’adresse aux étudiants en médecine qui souhaitent compléter leur formation professionnelle par un cursus adapté et au plus haut niveau en Humanités à l’École normale supérieure.