Ce qui nous lie : pour une approche « desmologique » en philosophie

Ce colloque a pour objectif d’explorer philosophiquement, et sous toutes ses facettes, le concept de lien en tant qu’il peut s’avérer pertinent pour décrire et comprendre nos rapports à nous-mêmes, à autrui, et au monde. 
À l’heure où les replis identitaires fragilisent partout l’idée de vie commune, où les agrégations de la vie virtuelle tendent à remplacer l’union réelle de l’action collective, où les rapports de compétition se substituent aux liens de la coopération, à l’heure où, en un mot, le sujet est toujours davantage un individu et toujours moins un concitoyen, la philosophie doit faire ce qu’elle sait faire : analyser et distinguer, catégoriser et classer, comparer et décentrer, inventer des concepts et produire des typologies, afin de mieux comprendre et faire comprendre non seulement ce qui nous lie mais ce qui, en nous, dépend des liens que nous nouons et grâce auxquels nous nous formons.
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Ce colloque a pour objectif d’explorer philosophiquement, et sous toutes ses facettes, le concept de lien en tant qu’il peut s’avérer pertinent pour décrire et comprendre nos rapports à nous-mêmes, à autrui, et au monde. Notre hypothèse de départ est que dans ces rapports il y a plus que de vagues relations dont la pluralité et la diversité mêmes rendraient toute analyse impossible ou illusoire, mais que se joue quelque chose de plus fort, de plus substantiel, un engagement incorporant à la fois des formes de contrainte, un désir de cohésion et un élément affectif et sensible. L’approche « desmologique » (du grec desmos, lien) que nous voulons susciter entend ainsi explorer à nouveau frais sous le prisme du concept de lien les conditions de notre subjectivation, du devenir-sujet du sujet, ainsi que tout un ensemble de phénomènes caractéristiques de l’expérience humaine ressortissant à ce devenir, dans le champ de la psychologie, de l’éthique, de la politique, du religieux, de l’art…

Cette approche  « desmologique » est nouvelle dans la mesure où elle sonde et analyse les conditions du devenir-sujet en prenant pour objet les liens que tout un chacun vit comme essentiels et le rôle que ces liens jouent dans ce devenir. Dans l’histoire de la philosophie s’est imposée une conception du sujet fondée sur un paradigme individualiste, lequel, sans nier la présence d’autrui, tend à inscrire le moi au fondement de l’existence et à penser l’autre par dérivation. Penser nos liens avec les autres reviendrait, dans cette perspective, à analyser ex post facto les modalités concrètes de ces liens entre autrui et nous, et ce que ces derniers produisent sur nos subjectivités. Dans cette perspective égologique, une théorie du lien serait tributaire, en premier ressort, d’une théorie du sujet fondée sur la souveraineté du moi. Mais qu’autrui, de fait, nous apparaisse après coup ne prouve pas qu’il ne soit pas déjà là et primitivement contenu en nous avant même que nous ne le rencontrions.

De là plusieurs questions qui sont à l’horizon de ce colloque. 

Les liens à autrui seraient-ils conditionnés par un lien primitif envers soi-même ou au contraire, ne serions-nous pas toujours déjà liés à et par autrui, tant et si bien qu’il serait naïf de chercher une priorité logique et ontologique entre ces deux liens ? En élargissant encore la focale, il conviendra de se demander ce que signifie nouer des liens, étant entendu que tout rapport à l’autre n’est pas nécessairement un lien. Autrement dit, qu’éclaire-t-on de l’amitié, de l’amour, de la solidarité ou de la fraternité, voire de la religion, quand on les caractérise comme des liens ? Symétriquement, qu’est-ce que l’amitié, l’amour, la solidarité ou la sororité nous disent de leur commune nature de lien ? Si tout lien incorpore une forme de contrainte, de dépendance ou d’interdépendance, si tout lien engage celui qui se lie, au point que tout sujet existerait aussi dans et par ses liens, quelles conséquences s’ensuivent quant à l’analyse qu’on peut faire de la responsabilité et de la liberté ? La dimensions affective et sensible inhérente à tout lien est-elle une condition de notre liberté ou au contraire un obstacle ? Ne se lie-t-on pas à soi-même aussi pour mieux se libérer ? Certains liens à autrui ne sont-ils pas d’abord des liens qui libèrent, en ce qu’ils dissolvent d’autres liens purement contraignants ? Et que dire de l’expérience de la déliaison et des formes qu’elle peut prendre ? Qu’advient-il lorsque nos liens se distendent au point de se rompre ? Si la négation de nos liens est négation de ce que nous sommes, comment la négativité œuvre-t-elle au sein de notre subjectivité ?

Ces questionnements, loin d’être exhaustifs, ne sont que quelques pistes ouvertes que ce colloque entend explorer à plusieurs moments de l’histoire de la philosophie et dans des champs aussi divers que la philosophie du sujet, la philosophie morale et politique, la philosophie du droit, la phénoménologie, le féminisme, l’esthétique ou les sciences humaines et sociales au sens large.

Programme du colloque


Mercredi 11 juin 2025

9h00-9h15 : Accueil par Dimitri El Murr et Nassim El Kabli

CONFÉRENCE D’OUVERTURE
9h15-10h15 Frédéric Worms (ENS-PSL) : « Comment les relations deviennent-elle des liens ? »

ANTIQUITÉ
10h15-11h15 Dimitri El Murr (ENS-PSL) : « De la contrainte à la cohésion : pour une interprétation desmologique de Platon »
11h30-12h30 : Christelle Veillard (Université Paris Nanterre) : « Le lien le plus sacré : le bienfait comme lien social, de Chrysippe à Sénèque »

LUMIÈRES ET IDÉALISME ALLEMAND
14h00-15h00 Nassim El Kabli  (Université de Lille / France Culture) : « Lecture desmologique des Lumières »
15h00-16h00 Orion Chatziargyros (ENS-PSL) :« La notion de lien (Band) dans la philosophie de Schelling »

PHILOSOPHIE POLITIQUE (1)
16h30-17h30 Florent Guénard (Université Paris Est Créteil) : « La communauté politique des amis »
17h30-18h00 Géraldine Muhlmann (Université Panthéon-Assas / France Culture) : « Penser le lien plutôt que l'ordre : un défi pour la philosophie politique » (par visio-conférence)

Jeudi 12 juin 2025

ESTHÉTIQUE ET PHILOSOPHIE DE L’ART
9h00-10h00 Bernard Sève (Université de Lille) : « Legato. Liens dans la musique, liens par la musique »
10h00-11h00 Céline Bonicco-Donato (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble) : « L’architecture comme art de la relation. Repenser la forme architecturale »

PHILOSOPHIE DE L’ÉDUCATION
11h30-12h30 Louise Ferté (INSPE Académie de Lille/Université de Lille) : « La desmologie : un concept pour repenser la formation à la citoyenneté »

PHILOSOPHIE MODERNE
14h00-15h00 Jean-Pascal Anfray (ENS-PSL) : « Leibniz et le vinculum substantiale : beaucoup de bruit pour rien ? »
15h00-16h00 Pascal Severac (Université Paris Nanterre) : « La déliaison chez Spinoza »

PHÉNOMENOLOGIE ET SCIENCES SOCIALES
16h30-17h30 Laurent Perreau (Université Marie et Louis Pasteur) : « Phénoménologie du lien : l'expérience du nous »
17h30-18h30 Claire Pagès (Université Paris-Nanterre) : « Les chaînes invisibles de l'individualité. Quelques réflexions sur la théorie éliasienne des interdépendances »

Vendredi 13 juin 2025

PHILOSOPHIE POLITIQUE (2)
9h00-10h00 Sophie Guérard de Latour (École Normale Supérieure de Lyon) : « Dénouer ou protéger les liens de la tradition? L'éclairage critique des féministes multiculturelles »
10h00-11h00 Gabrielle Radica (Université de Lille) : « Le contrat, le plus faible des liens ? »

NATURE ET ENVIRONNEMENT
11h30-12h30 Catherine Larrère (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « L'approche relationnelle du moi : l'éthique environnementale et la controverse entre Arne Naess et Val Plumwood sur l'identification »
14h00-15h00 Charles Stépanoff (EHESS): « Liens et déliaisons : nos attachements au-delà de l’humain »
15h00-16h00 Frédéric Fruteau de Laclos (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Ce qu'impliquent les liens. Modèle ethnologique et écologique »

CONFÉRENCE DE CLÔTURE
16h30-17h30 Jocelyn Benoist (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Sans couture »

17h30-17h45  Clôture du colloque : Dimitri El Murr et Nassim El Kabli
 

Mis à jour le 2/6/2025