Constellations poétiques : lettres et sons en espace

Journée d'étude

Cette journée s’inscrit dans les axes de recherches développés par les institutions partenaires. Elle propose de réunir chercheuses et chercheurs, poètes et poétesses pour dresser une cartographie en mouvements de ces expériences poétiques.
Il s’agira de voir et d’écouter des exemples de poésie visuelle et sonore. Le choix a été fait de présenter des formats brefs, pour favoriser l’accès aux documents — textes, images, sons — en eux-mêmes, sous la forme de précipités d’interventions et de performances. La journée sera aussi l’occasion de célébrer l’enrichissement d’un fonds de poésie visuelle et sonore à la Bibliothèque de l’ENS, et d’inaugurer un cycle de lectures et de performances poétiques dans ses murs.
Houedard
Dom Sylvester Houédard, sonic water, 1964

Le modèle formel de la constellation est régulièrement adopté par les poètes et poétesses qui entendent faire sortir le poème de la page et du livre : que l’on pense à la Carte de la sphère armillaire, composée sur textile par l’artiste médiévale chinoise Su Hui et précisément analysée par Michèle Métail, aux Konstellationen d’Eugen Gomringer, aux Galaxias du poète brésilien Haroldo de Campos, ou encore aux Constellations en 2002 du représentant de la poésie spatiale Pierre Garnier, cette ouverture à l’espace infini se dit à plusieurs époques, dans plusieurs langues et sur plusieurs continents. Elle déjoue non seulement le cadre strict imposé par la page du livre imprimé mais aussi la linéarité traditionnelle qu’engage le codex. D’autres modèles sont régulièrement empruntés par celles et ceux qui jouent avec ces limites : cartes, labyrinthes et abécédaires sont autant de dispositifs qui appellent à une projection, à une redistribution ludique, hypnotique, aMAZing et volontiers méditative des lettres et des sons dans l’espace. La poésie s’y trouve redéfinie aux frontières avec les autres arts : la musique, les arts visuels, l’architecture, ou le cinéma.

Ces points de vue de médiévistes, attentives à la matérialité et à la plasticité des supports, engagent à considérer les pratiques lettristes (1) et toute forme d’expériences visuelles et sonores (2) dans la longue durée. Si les spectaculaires jeux de lettres médio-latins ont retenu à juste titre l’attention d’artistes contemporains (3), l’inventivité des corpus vernaculaires médiévaux mérite d’être précisément exhumée. Elle est d’ailleurs parfois revendiquée comme référence explicite aux XXe et XXIe siècles ou apparaît au détour d’une forme, d’une expression, d’un mot. Dans les années 1950, la poésie concrète brésilienne a fait de l’énigmatique mot médiéval noigandres son étendard ; le poète sonore François Dufrêne a enregistré la poésie du Grand Rhétoriqueur Jean Molinet ; Caroline Bergvall, ou encore Liliane Giraudon et ses acolytes du Quatuor Manicle, ont performé une Alba dans la lignée de poèmes d’amour occitans ; Ilse Garnier a composé un livre d’heures à la manière des ouvrages de dévotion médiévaux… Les exemples ne manquent pas pour montrer combien la poésie expérimentale des XXe et XXIe siècles et la poésie pré-gutenbergienne en langue vernaculaire travaillent de concert, bien qu’à des siècles de distance, à repousser les limites du livre.

Programme

14h-15h : Lettres et sons en espace : introduction
par Nathalie Koble, Amandine Mussou et Marion Uhlig

15h-17h : Cartographie : pour un atlas stellaire
- Sylvie Lefèvre (Sorbonne Université), « Palpitations : la tradition médiévale du livre-coeur »
- Abigail Lang (Université Paris Cité), « L’Alba du Quatuor Manicle : polyphonies en commun »
- Xiaoxuan Lyu (ENS Paris) : « Naissance d’une étoile : La Carte de la Sphère armillaire de Su Hui »
- Vincent Broqua (Université Paris 8) : « Constellations américaines : autour d’Anni Albers »
- Emmanuel Rubio (Université Paris Nanterre) : « Stèle pour Adam de la Halle de Gianni Bertini et Jean-Jacques Lévêque : mille-feuilles poétique »
- Agathe Sultan (Université de Lausanne) : « Ursonaten médiévales »
- Gaëlle Théval (Université de Rouen Normandie) : « “Tremplin pour quête d’oxygène” : les poèmes-partitions de Bernard Heidsieck »

18h-19h30 : Lectures et performances
- Yan Greub
- Vincent Barras
- Caroline Bergvall
- Camille Bloomfield
- Jean-Pierre Bobillot
- Pascale Bourgain
- Liliane Giraudon
- Michèle Métail
- Mira

 


Références

1. Trois ouvrages viennent de paraître sous la direction de Marion Uhlig à ce sujet : Marion Uhlig (dir.), avec Hélène Bellon-Méguelle, Fanny Maillet, David Moos et Thibaut Radomme, Lettres à l’oeuvre : pratiques lettristes dans la poésie en français (de l’Extrême Contemporain au Moyen Âge), Paris, Garnier, 2023 ; Marion Uhlig et Thibaut Radomme, avec Brigitte Roux, Le Don des lettres. Alphabet et poésie au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2023 ; Poèmes abécédaires français du Moyen Âge (XIIIe-XIVe siècles), éd. et trad. sous la dir. de Marion Uhlig, éd. Olivier Collet, Yan Greub, Pierre-Marie Joris, Fanny Maillet, David Moos, Thibaut Radomme et Marion Uhlig, Paris, Champion, 2023.
2. Sur les rapports que les poètes visuels et sonores des avant-gardes du XXe siècle entretiennent avec les corpus médiévaux, voir Nathalie Koble et Amandine Mussou (dir.), « Ut musica poesis ». La poésie visuelle et sonore au Moyen Âge et aujourd’hui, Paris, Macula, à paraître en avril 2024.
3. Voir à ce sujet Make it new. Conversations avec l’art médiéval - Carte blanche à Jan Dibbets, catalogue par Charlotte Denoël et Erik Verhagen, Paris, BnF, 2018.

Mis à jour le 6/5/2024