Séminaire Autobiographie et correspondance

Meritxell Simon-Martin
Les échanges épistolaires : la genèse dialogale et collaborative du pamphlet féministe de Barbara Bodichon Women and Work (1857)

Barbara Bodichon (1827-1891) fut une des pionnières du mouvement en faveur des droits des femmes de l’Angleterre dix-neuvièmiste. Elle est l’auteur d’un des pamphlets les plus osés du féminisme mid-victorien : Women and Work (1857) – une revendication catégorique en faveur du droit des femmes à l’éducation, à la formation professionnelle et au travail rémunéré. Les analyses textuelles de Women and Work qui ont été proposées jusqu’à présent, centrées sur l’étude de ce texte dans sa forme publiée, ont omis de s’interroger sur la façon dont les exigences qui y sont formulées ont été générées. Dans le but d’aborder cette problématique jusque-là négligée, nous tâcherons d’étudier la conception et le développement de Women and Work au moyen de l’analyse du rôle des échanges épistolaires dans la phase pré-rédactionnelle (de Biasi 2011) de la production de ce pamphlet. Nous explorerons ainsi le potentiel de la Critique Génétique comme méthode dans le domaine de l’Histoire du Féminisme et prospecterons ainsi la possibilité d’une approche interdisciplinaire dans l’étude de Women and Work. A cette fin, nous examinerons la correspondance personnelle de Barbara Bodichon comme avant-texte : en tant qu’instruments constitutifs du processus de création de cet écrit féministe. La relecture de ce pamphlet à la lumière de cet outil de Critique Génétique nous permettra de mettre en exergue la formation et le développement dialogal et coopératif de la pensée féministe de Bodichon telle qu’elle est exprimée dans sa publication. 
La correspondance personnelle de Bodichon pose une difficulté méthodologique : les lettres écrites par elle représentent seulement une fraction comparativement petite du corpus général. La majeure partie de celui-ci consiste en des lettres qui lui ont été adressées ou qui ont été échangées parmi les membres de sa famille, ses amis et ses connaissances et qui font référence à elle. La nature déséquilibrée de ce corpus représente un défi : l’étude génétique de Women and Work à travers, du moins partiellement, de l’image de Bodichon qui émerge des lettres non écrites par elle. Outre l’étude de la genèse de Women and Work, c’est au moyen de cette démarche méthodologique que nous envisageons de proposer une réflexion épistémologique sur l’importance distincte des lettres écrites par Bodichon, celles qui lui ont été adressées et celles qui font référence à elle en tant que sources de savoir historique et donc sources de « savoir génétique ». 


Meritxell Simon-Martin est enseignante d’anglais au Centre de Ressources en Langues de l’Université du Maine (Le Mans) et chercheuse associée à l’ITEM (janvier 2015-janvier 2017). Elle est docteur en Histoire de l’Éducation (Université de Winchester, Angleterre) et titulaire d’une thèse sur ‘Barbara Bodichon’s Bildlung : Education, Feminism and Agency in Epistolary Narratives’, (EA Centre for the History of Women’s Education [CHWE], 2012). Ses domaines de recherche sont l’histoire de l’éducation des femmes, l’histoire des femmes et du genre, l’histoire du féminisme, la théorie autobiographique, les études épistolaires. Elle est membre de : History of Education Society, Women’s History Network, Asociación Española de Investigación de Historia de las Mujeres, International Auto/Biography Association 


 

Greg Kerr
Armen Lubin, une approche biographique

Armen Lubin est l’un des deux pseudonymes littéraires de Chahnour Kerestedjian (1903-1974), réfugié arménien arrivé en France en 1923 à la suite du génocide arménien. Auteur d’un roman et de nombreux articles et nouvelles en langue arménienne parus sous le nom de plume de Chahan Chahnour, Kerestedjian est atteint de tuberculose osseuse à partir de 1935, maladie qui le contraint dès lors à séjourner dans divers sanatoriums et établissements médicaux jusqu’à son décès au Home arménien de Saint-Raphaël en 1973. Relevant dans une certaine mesure d’une littérature « autopathographique », l’œuvre en langue française de Lubin comporte Transfert nocturne (1955), texte très fortement marqué par l’expérience hospitalière de l’auteur, ainsi que plusieurs recueils de poésie : Le Passager clandestin (1946), Sainte patience (1951), Les Hautes terrasses (1957) etc. Parmi les caractéristiques marquantes de ces derniers, l’on peut constater la présence de nombreuses reprises, variantes et substitutions qui participent du souci de perfectionnement dont Lubin fait part dans sa correspondance avec ses contemporains Jacques Brenner, Henri Thomas ou Jean Paulhan.

Outre sa capacité à étayer une approche biographique de l’auteur, la correspondance de Lubin semble ainsi présenter un corpus génétique en constante rectification, tel un corps qui tente en vain de se redresser, à l’image de cette figure de « l’homme étalé » qui revient sous sa plume : double allusion à son invalidité et à sa condition d’apatride qui traduit la désagrégation de son moi. Dans ces conditions, chez Lubin c’est le poème qui émerge non pas un comme espace neutre où le sujet saurait se réfugier et où, de façon naïve, il aspirerait à placer son affirmation propre, mais plutôt comme une sorte d’intervalle dans le déroulement de la fonction affirmative qui permettrait de problématiser cette dernière. Tout au long de ses poèmes, la présence d’inégalités métriques, le recours plus ou moins épisodique à la rime et la récurrence de différents procédés de répétition ou de variation témoignent du sentiment d’incapacité chez Lubin à inscrire son dire dans la durée.


Greg Kerr est maître de conférences en littérature française à l’Université de Glasgow en Écosse, est actuellement accueilli en France (ATILF, Nancy) dans le cadre d’une bourse Marie Skłodowska-Curie (Individual Fellowship). Il mène un projet de recherche sur la notion d’apatridie dans la poésie d’expression française du vingtième siècle. Le projet comporte divers volets, entre autre la rédaction d’une monographie sur quatre poètes (Armen Lubin, Gherasim Luca, Edmond Jabès et Michelle Grangaud) et l’organisation d’une journée d’études au mois de mai prochain à l’ATILF sur le thème « Poésie européenne et apatridie ».

Mis à jour le 30/12/2016