[#8mars] « J'encourage les jeunes femmes à oser et viser haut, et qu’elles se sentent toujours légitimes de leurs choix. »

Journée internationale des droits des femmes

Créé le
7 mars 2025
À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, l'ENS-PSL a donné la parole à trois étudiantes de ses départements scientifiques. Elles racontent leurs parcours, la naissance de leurs vocations pour la recherche scientifique, évoquent la difficulté parfois d'être une femme scientifique, et distillent leurs conseils aux jeunes filles qui voudraient suivre leurs traces. 
Rencontre avec Charlotte Farcot-Delfini, élève en master 2 de physique quantique à l'ENS-PSL, et et boursière du programme Bourses d'excellence « Femmes & Sciences » de l’ENS-PSL.
Charlotte Farcot-Delfini
Charlotte Farcot-Delfini © Pôle communication ENS-PSL

Pouvez-vous nous parler de votre parcours d'études ?

Charlotte Farcot-Delfini : J’ai obtenu mon baccalauréat scientifique au Lycée Thiers de Marseille, puis j’ai intégré le Lycée Louis-le-Grand à Paris pour y effectuer mes classes préparatoires aux grandes écoles PCSI/PC. Je suis entrée à l’ENS en 2022 au département de physique. A la fin de ma L3, je me suis dirigée vers le master ICFP de l’ENS, et je réalise cette année mon Master 2 spécialisé en physique quantique. J’ai réalisé plusieurs stages dans des laboratoires de Physique, au Collège de France dans l’équipe de Jean Dalibard (Bose-Einstein Condensates group) et à Innsbruck en Autriche dans l’équipe du Pr Rudolf Grimm au Quantum Institute for Quantum Optics and Quantum Information (IQOQI, Ultracold Atoms and Quantum Gases group). Je débute mon stage de M2 en avril prochain au Laboratoire de Physique de l’ENS dans l’équipe de Frédéric Chevy (Ultracold many-body physics group).

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir scientifique ? Pourquoi avez-vous choisi les sciences pour vos études et votre carrière ? 

Charlotte Farcot-Delfini : J’ai toujours été très intéressée par les sciences, sans doute en partie grâce à ma mère, chercheuse en biologie au CNRS, qui m’a très tôt emmenée avec elle dans ses laboratoires de recherche, fait part de ses projets, et qui partage avec moi, encore aujourd’hui, les joies que procurent ses découvertes. J’ai ainsi très tôt envisagé d’entreprendre également une carrière dans la recherche scientifique. Mais c’est dès la fin du collège, que j’ai su, un peu comme une évidence, que ce serait dans le domaine de la physique. A partir de cette période-ci, plusieurs de mes professeurs m’ont encouragée à réaliser des classes préparatoires aux grandes écoles scientifique. Notamment, mon professeur de mathématiques de seconde m’a poussée à réaliser un stage Science Camp organisé par l’École Polytechnique réservé aux filles, l’été de mes 15 ans. Ce stage a contribué à fixer de manière définitive mon choix de m’engager dans une voix menant à une carrière dans la recherche en physique. 

Quelle a été votre expérience du manque de parité en sciences, dès le plus jeune âge ?

Charlotte Farcot-Delfini : Je n’ai commencé à ressentir les effets du manque de parité en sciences qu’à partir de la classe de première scientifique. Le nombre de filles a drastiquement diminué, et j’ai ressenti que le regard et l’attitude des professeurs (quasi exclusivement masculins) a commencé également à changer. C’est surtout la première année de classes préparatoires aux grandes écoles qui m’a semblée violente, tant par la différence de traitement filles/garçons par les professeurs que par le comportement des élèves garçons de ma classe, assez méprisants envers les filles. 
Depuis mon entrée à l’ENS au département de physique, la différence de parité est plus importante encore. Néanmoins, j’ai de nouveau l’impression d’avoir toute ma place, et je peux surtout m’épanouir pleinement, et ce, à la fois grâce à l’accueil et l’attitude de mes professeurs, que du comportement de la plupart des garçons de ma promotion. J’ai été également agréablement surprise lors de mes expériences de stage en laboratoires de recherche, aussi bien au Collège de France qu’à l’IQOQI, de la confiance que mes maîtres de stage, respectivement Raphael Lopes et Emil Kirilov, m’ont accordée.
Aujourd’hui, en prenant un peu plus de recul, je pense que ce manque de parité en sciences a toujours eu un double effet sur moi. Certes, cela m’a toujours pesé, et a été la raison de nombreuses phases de remise en doute, mais je crois surtout que j’ai toujours considéré cela comme un challenge en plus dans mon parcours et comme une motivation supplémentaire. J’ai cependant pleinement conscience qu’avec une famille moins encourageante que la mienne, qui m’a certainement aidée à contrecarrer les effets néfastes de ce manque de parité, cela puisse simplement aboutir à la démotivation de beaucoup d’étudiantes.

Au regard de votre expérience à l'ENS et dans le milieu scientifique en général, qu'est-ce qui permettrait d'atteindre plus de parité en sciences, selon vous ?

Charlotte Farcot-Delfini : Tout d’abord, pour donner le goût des sciences aux filles, la démocratisation de stages du type « science camp » est selon moi un levier important. Je serai d’ailleurs ravie, dans le cadre de ce programme Femmes et Science de l’ENS, de participer à l’organisation de ce type d’évènement.
De plus, il me semble également qu’une augmentation du nombre de professeurs femmes en sciences dès le lycée soit nécessaire, ou du moins, qu’il y ait une communication plus importante auprès des professeurs pour tenter de donner autant confiance aux filles qu’aux garçons, pour éviter l’auto-censure.

Si vous êtes d'accord pour parler de votre expérience en tant que boursière Femmes et sciences : selon vous quel impact a ce programme de bourses pour la parité à l'ENS, et pour les conditions d'étude des boursières ?

Charlotte Farcot-Delfini : Ce programme a débuté seulement un an après mon entrée à l’ENS. Ce n’est donc pas un élément qui a été décisif dans mon choix d’y effectuer mes études. Je reçois donc cette bourse un peu comme une reconnaissance. Mais il est indéniable que l’attractivité de ce programme de bourse, ainsi que la prise de conscience par les étudiantes de la volonté très soutenue qu’à l’ENS d’avoir plus de parité en science pourrait avoir un effet déclic pour les étudiantes qui s’auto-censureraient. Il pourrait également avoir un effet positif sur le long terme, notamment sur les carrières des boursières, qui entrent dans la vie professionnelle avec un atout majeur.

Quel conseil donneriez-vous à des jeunes femmes qui veulent poursuivre des études et une carrière scientifique ?

Charlotte Farcot-Delfini : Je leur conseillerais de suivre leurs goûts et de ne pas céder à la pression sociale. Aussi, je les encourage à travailler en priorité sur leur confiance en elles. En effet, depuis trois ans je donne des colles de physique en deuxième année de prépa, et j’ai pu directement mesurer l’écart d’estime envers eux-mêmes entre les filles et les garçons à compétences équivalentes, et à quel point cela pouvait être inhibiteur. Il faut également qu’elles soient conscientes, notamment pour les oraux, qu’il est important de tenter de donner l’impression qu’elles ont confiance en elles (et ce, même si ce n’est pas le cas), car cela permet de faire changer considérablement le regard de l’examinateur. Le monde du paraître n’épargne pas le monde scientifique, et c’est je pense important d’en avoir conscience au plus tôt, surtout pour les filles qui ont plus tendance que les garçons à se dévaloriser. Pour finir, je les encourage à oser et viser haut, et qu’elles se sentent toujours légitimes de leurs choix.

Enfin, que pensez-vous de la communication et des actions de l'ENS pour les femmes en sciences, qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

Charlotte Farcot-Delfini : La spécialisation vers les domaines scientifiques se faisant dès la seconde, je pense que c’est lors de cette période charnière qu’il faudrait commencer à communiquer au sein des lycées, pour augmenter le nombre de filles en sciences à l’ENS et indirectement dans tous les autres cursus scientifiques. 
De plus, comme dit précédemment, les années de classes préparatoires étant les années les plus décisives en termes de perte d’estime de soi des étudiantes en sciences, je pense que la mise en place d’un système de mentorat ou de « coaching » pour les filles serait idéalement très utile.
L’action de l’ENS d’afficher sa volonté d’avoir plus de parité en science est déjà selon moi un excellent début pour augmenter l’attractivité des filles en science. En effet, cela leur envoie le message de la réelle volonté de les avoir parmi les étudiants de l’ENS, et peut de ce fait indirectement contribuer à augmenter leur motivation et confiance en elles pour y parvenir.  Augmenter la communication sur le programme « boursière Femmes et sciences » serait ainsi selon-moi déjà un levier efficace.  

 

À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, l'ENS-PSL a donné la parole à trois étudiantes de ses départements scientifiques.

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