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Entretien avec Sabrina Speich, océanographe et enseignante

Créé le
11 mai 2023
Sabrina Speich est océanographe au Laboratoire de Météorologie Dynamique et professeure au département de géosciences de l’ENS-PSL. Depuis trente ans, elle étudie la dynamique des océans et leur rôle sur le réchauffement climatique, et dirige aujourd’hui d’importantes missions scientifiques aux quatre coins de la planète.
 
À l’heure où la protection des océans est mise au-devant de la scène mondiale par l’adoption, historique, aux Nations Unies du traité sur la haute mer, Sabrina Speich revient sur les moments-clés qui ont jalonné sa carrière de chercheuse et d’enseignante. Elle témoigne également de l’importance d’une collaboration scientifique internationale et interdisciplinaire, pour faire face aux défis environnementaux d’aujourd’hui et de demain.
Sabrina Speich (en rouge) avec une partie de l’équipage du NO Marion Dufresne II
Sabrina Speich (en rouge) avec une partie de l’équipage du NO Marion Dufresne II pendant la campagne en mer internationale BONUS-GoodHope dans l’Océan Austral. © BONUS-GooHope

Vous coordonnez des missions scientifiques d’envergure au plan international. Quels sont les enjeux à piloter de tels projets ?

Sabrina : La coordination internationale est essentielle pour résoudre les enjeux globaux tels que le changement climatique, la sauvegarde de la biodiversité et toutes les limites planétaires auxquelles nous sommes confrontés, comme la pollution plastique ou la disponibilité de l'eau, pour n'en citer que quelques-unes.
Notre domaine scientifique, la science du climat, a démontré l’importance d’un travail collaboratif et international. Le climat, comme l'océan, n'appartient à personne et à tous. Sa valeur pour l'humanité et le monde vivant en général est infinie. Travailler à l'échelle internationale permet de faire progresser et de partager les connaissances plus rapidement. Rendre notre science ouverte et accessible à tous permet des avancées plus rapides, ainsi que l'implication du Global South. Inclure l’ensemble des pays dans l’avancée de nos connaissances scientifiques, techniques et technologiques est pour nous un objectif capital. En collaboration avec des institutions telles que les Nations Unies, nous cherchons à être aussi inclusifs que possible dans cette science et ses impacts.

« Travailler à l'échelle internationale permet de faire progresser et de partager les connaissances plus rapidement. »

Dans tous nos projets, comme EUREC4A-OA, qui a été financé par les pays européens et les États-Unis, nous avons impliqué des étudiants ou de jeunes chercheurs de nombreux pays, y compris d'Afrique et d'Amérique du Sud. Travailler et construire, au niveau international, dans un cadre scientifique et technologique ouvert, est la seule solution pour un avenir durable de la vie sur notre planète. Notre communauté est fondamentalement très petite. C'est donc à chacun de prendre ses responsabilités. Plus que dans d'autres sciences, nous ressentons une énorme responsabilité envers la société. Nous aurions besoin de beaucoup plus de forces pour relever le défi, mais en attendant, c'est à nous de nous en occuper.

 projet international EUREC4A-OA
Campagne en mer du projet international EUREC4A-OA / Mise à l’eau du prototype de bouées autonomes OCARINA à partir du NO L’Atalante (GENAVIR) par H. Branger (IRPHE, Marseille) et C. Luneau (OSU PHYTEAS, Marseille). © Sabrina Speich.

À propos du projet de recherche EUREC4A-OA

Lancé en janvier 2020 et coordonné par Sabrina Speich, le projet international EUREC4A-OA a débuté avec une campagne de terrain menée dans l’Atlantique nord-tropical. Centrée sur la dynamique océanique à petite échelle, cette étude permet de mieux comprendre son rôle dans les échanges air-mer.

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Depuis le début de votre carrière il y a une trentaine d’années, quels changements avez-vous observés dans la recherche en sciences du climat ?

Sabrina : J'ai vécu une révolution. Lorsque j'ai commencé, les équipes ne partageaient ni les données, ni les modèles, ni les méthodes d'analyse, même au sein d'un même laboratoire. Aujourd'hui, tout le monde peut accéder facilement à ces informations. Scientifiques, entreprises ou grand public, chacun peut se les approprier et les utiliser à ses fins. Nous, climatologues, travaillons ensemble pour faire progresser nos connaissances et améliorer la prévision des changements et des impacts à toutes les échelles. Nous avons appris à collaborer avec plusieurs disciplines, ce qui nous permet d'aborder le problème du changement climatique de la manière la plus holistique et la plus efficace possible. Ce qui, à mon sens, n'est pas encore le cas dans d'autres domaines scientifiques.

Les sciences du climat existent depuis plusieurs siècles mais faisaient l’objet de peu d’études jusqu’à il y a quelques décennies. Comment le regard de la communauté scientifique sur ce domaine de recherche a-t-il évolué ?

Sabrina : Le système climatique est un phénomène très complexe à appréhender, à tel point que parmi les climatosceptiques se trouvent parfois des collègues issus d’autres sciences, y compris des sciences dures, même si cela devient de plus en plus rare, fort heureusement.
Certains pensent que les climatologues sont mal formés aux sciences exactes, car nos travaux nécessitent d’avoir une vision très large des choses. Pourtant, comme eux, nous sommes des physiciens, des mathématiciens ou des chimistes avec la même formation académique.
Aujourd’hui, grâce aux efforts de la communauté française des climatologues et de certains membres de l'Académie des sciences, nous avons pu inclure des chapitres sur les sciences du climat dans les programmes scientifiques des collèges et lycées, ce qui permettra de sensibiliser et de former plus largement les jeunes générations à cette discipline.

Physicienne, vous travaillez avec des experts en mathématiques appliquées, en chimie, en biologie… En quoi l’interdisciplinarité est-elle importante dans votre champ de recherche ?
Sabrina : Le fonctionnement du système climatique est un problème multidisciplinaire. Il fait appel aux sciences physiques de l'atmosphère, de l'océan, des surfaces continentales, de l'eau, de la glace de mer, des calottes glaciaires… qui sont toutes des spécialités différentes de la physique. Au-delà, il fait aussi appel à la chimie, ainsi qu'à la biologie et à l'écologie pour chacun de ses compartiments. L’étude du système climatique implique également les sciences sociales pour établir des trajectoires économiques, des politiques publiques et des études sociologiques pour répondre aux défis de ses changements.
Enfin, les sciences mathématiques et numériques, et aujourd'hui l'intelligence artificielle, sont également indispensables pour résoudre les problématiques de la dynamique des fluides géophysiques, mettre en équation le vivant, concevoir des modèles numériques pertinents, analyser de grandes quantités de données et de sorties de modèles, etc. Pour répondre quantitativement et de la manière la plus pertinente à l'urgence climatique tout en déterminant les solutions les plus justes et les plus durables pour nos sociétés, les sciences du climat doivent développer l'approche la plus holistique possible.

En quoi l’ENS-PSL est-elle un terreau propice pour cela ?

Sabrina : L'École normale est une institution sans équivalent. De nombreuses disciplines y sont représentées et les normaliens et normaliennes sont mis d'emblée dans le bain d'une formation interdisciplinaire, à travers ce qui leur est demandé pour obtenir le diplôme de l'ENS. Ainsi, beaucoup de nos étudiants ont l'occasion de se familiariser avec notre science et de s'initier aux enjeux du changement climatique.
Par ailleurs, notre propre formation au département de Géosciences est transversale. Elle s'ouvre à toutes les disciplines des sciences de la planète Terre ainsi qu'à des enseignements en sciences sociales.
Ce type de formation n'existe nulle part ailleurs en France et constitue un atout culturel important pour la formation de nos jeunes. Sur le plan scientifique, la présence à l'ENS de l'Institut Pierre-Simon Laplace, la fédération de recherche sur le climat d'Île-de-France, via mon laboratoire, le Laboratoire de Météorologie Dynamique, nous permet d'établir des liens importants entre les sciences du climat et d'autres domaines scientifiques présents dans les départements de l'École. Nous travaillons également avec les chercheurs du Laboratoire de géologie bien sûr, mais aussi avec l’Institut de biologie de l’École et les sciences économiques, les géographes de l'ENS et d'autres spécialistes d'autres disciplines.

« Les normaliens et normaliennes sont mis d'emblée dans le bain d'une formation interdisciplinaire. Ce type de formation n’existe nulle part ailleurs en France. »

En 2022, Neuf jeunes sur dix se disaient inquiets à l’égard du réchauffement climatique. Avez-vous observé chez vos doctorants et étudiants un changement de comportement vis-à-vis de leur engagement ?

Sabrina : En effet, les jeunes Français qui font des études supérieures sont très préoccupés, à juste titre, par le changement climatique. Nous-mêmes, chercheurs dans ces disciplines, avons développé des symptômes psychologiques face à la réalité des résultats de nos recherches quotidiennes qui, depuis des années, nous montrent des changements de plus en plus inéluctables et de plus en plus rapides. Lors de la dernière cérémonie de remise des diplômes aux doctorants de PSL, de nombreux lauréats de disciplines autres que les sciences du climat ont exprimé leur volonté d'inscrire leur carrière professionnelle dans la lutte contre le changement climatique.
Face à ce désarroi bien compréhensible, je voudrais cependant dire que la plupart d'entre nous ont eu la chance de ne pas vivre des guerres ou d’autres situations extrêmes dans lesquelles la majorité de l'humanité est plongée. Nous avons donc la possibilité d'agir, d'être le moteur de la réponse de la société au changement. Il ne faut pas se décourager, car il n'est pas trop tard.
Par ailleurs, j'enseigne désormais un cours aux étudiants de Master 1 dans le cadre de la formation commune de Sciences Po, intitulé Océan et climat terrestre  - comprendre les opportunités et les défis des connaissances scientifiques. Nous avons commencé avec des classes de 100 places, mais nous avons dû rapidement ouvrir le cours à deux fois plus d'étudiants, tant la demande était forte. Et cela malgré le fait que nous parlons de sciences exactes - qu’ils ne s’attendaient pas forcément à aborder dans leur cursus - et que nous leur enseignons des concepts relativement difficiles, en particulier pour les non-scientifiques.
Les retours que nous avons eus des deux premières promotions sont enthousiastes. À travers les notions que nous partageons avec les étudiants de Sciences Po, ils sont désormais mieux armés pour comprendre les phénomènes et les enjeux climatiques d’un point de vue scientifique, et par extension, se sentent peut-être mieux préparés dans leur choix de carrière.

En France, on dénombre 32 % de femmes effectuant un doctorat en sciences exactes et 28 % de femmes parmi les directeurs de recherche et les professeurs du secteur public. Comment appréciez-vous cette question de la place des femmes dans la recherche et particulièrement dans votre champ ?

Sabrina : Dans mon domaine disciplinaire strict, l'océanographie physique, la présence des femmes au niveau du master, du doctorat, des chercheuses et des enseignantes-chercheuses est importante. En revanche, en ce qui concerne les postes de rang A - la catégorie hiérarchique la plus élevée dans la fonction publique - elles me paraissent en plus faible nombre. Un constat probablement dû à la forte présence des hommes qui, dans les générations précédant la mienne, ont dominé la scène, les comités de sélection et, pour certains d'entre eux, ont eu des comportements ostracisants, consciemment ou non.
En revanche, je pense que les générations suivantes sont beaucoup plus ouvertes et, grâce au travail de toutes les institutions en France pour faire connaître le problème, en débattre et apporter des solutions fortes, la situation dans le secteur public est en train de changer. Demeure encore la question de l’autocensure des femmes face à des mondes où les hommes par tradition, ou par représentation sociale, sont majoritaires.
Lorsque j'étais directrice des études dans notre département, j'ai recruté un certain nombre de femmes en tant que normaliennes, tout simplement car elles le méritaient autant que les normaliens masculins que nous avons recrutés en même temps qu'elles. Or, j'ai été étonnée par ce que beaucoup de ces jeunes femmes m'ont dit par la suite, pendant leurs études à l'ENS : elles sont venues au concours et ont pu passer les épreuves avec confiance parce qu'elles voyaient une femme dans la science et dans un poste de direction. Cela en dit long sur les problèmes de représentation sociale.

« Il est important de montrer la présence professionnelle des femmes à tous les niveaux de la société. »

Quel conseil donneriez-vous à toute étudiante désireuse de se lancer dans une carrière de chercheuse en sciences de l’environnement ?

Sabrina : La science est certes un monde exigeant, mais elle est ouverte à toutes et tous. Les femmes ont leur place et sont respectées au même titre que les hommes, mais il ne faut pas qu'elles s'autocensurent. Ce travail sur les représentations et le sentiment d’illégitimité devrait d’ailleurs faire partie de la formation scolaire dispensée à toutes et tous. Il est également important de montrer la présence professionnelle des femmes à tous les niveaux de la société. Dans les journaux, les livres scolaires, les interviews, les discours publics et audiovisuels.

En France, lassées de se voir systématiquement répondre "Il n'y a pas de femmes expertes !", la journaliste Marie-Françoise Colombani et la diplomate Chekeba Hachemi ont créé il y a quelques années Les Expertes, le premier annuaire gratuit et 100% numérique de toutes les femmes expertes françaises et francophones. Grâce à ce site, beaucoup de journalistes conscients de ce manque peuvent me contacter directement ainsi que de nombreuses autres collègues, du monde académique ou non. Ceci montre encore une fois que, quand on le veut, chacun peut, à son échelle, changer la trajectoire de la société.

 

Bio express de Sabrina Speich

Sabrina Speich est professeure des sciences de l'océan, de l'atmosphère et du climat à l'École normale supérieure - PSL et chercheuse au Laboratoire de Météorologie Dynamique. Elle est également doyenne des études du département de Géosciences et membre du Laboratoire de Météorologie Dynamique de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL).

 

Après avoir obtenu un master de physique à l'Université de Trieste en Italie, Sabrina effectue son doctorat à l'Université Paris VI – Pierre et Marie Curie, aujourd'hui Sorbonne Université. Sa thèse, qu’elle achève en 1992 sous la direction du docteur Michel Crépon, se concentre sur l'utilisation des simulations numériques océaniques pour comprendre les principales caractéristiques de la circulation de la mer Méditerranée. De 1992 à 1994, elle part en Californie pour un stage postdoctoral à l'Université de Californie à Los Angeles avec le professeur Michael Ghil, avant de revenir en France, cette fois pour y rester.

 

Les recherches de Sabrina Speich concernent la découverte et la compréhension de la dynamique des océans et des interactions air-mer et leur rôle sur la variabilité climatique, sur le changement climatique et les impacts connexes. La scientifique est profondément impliquée dans l'augmentation et l'amélioration de l'efficacité d'un système intégré d'observation de l'océan adapté à ses besoins. Experte internationalement reconnue dans la modélisation des océans ainsi que dans l'organisation de vastes programmes d'observations in situ, elle était également co-présidente du panel régional Clivar Atlantique jusqu’à 2021. Aujourd'hui elle est co-présidente du Ocean Observations Physics and Climate panel (OOPC) sous l’égide des Nations Unies et de l’Organisation Météorologique Mondiale.


Paroles de futurs chercheurs et chercheuse

Solange, Yan et Pablo sont tous les trois doctorants au Laboratoire de Météorologie Dynamique, où travaille également Sabrina Speich. Futurs chercheurs et chercheuse en sciences du climat, ils nous expliquent ce qui les a poussés dans cette voie et leur vision du rôle de la science dans les grands enjeux sociétaux contemporains.

Solange Coadou Chaventon, doctorante en 1re année au Laboratoire de Météorologie Dynamique

« J’étudie la physique de l’océan, un objet qui peut être abordé avec des échelles spatiales et temporelles très différentes. La description des océans en bassins et les principaux courants qui les constituent offre une image à grande échelle mais les données satellite, qui permettent de reconstituer une « photographie » de la surface, montrent une dynamique bien plus complexe qu’il n’y paraît. On observe des zones où les propriétés physiques, chimiques et biologiques changent de manière significative sur à peine quelques kilomètres ou parfois des centaines de mètres. C’est la caractérisation de ces structures ainsi que leurs impacts sur les échanges océan-atmosphère, essentiels dans la régulation du climat, qui constituent mon sujet d’étude. »

Pourquoi avoir choisi une carrière scientifique dans ce domaine ?

Solange Coadou Chaventon : J’ai grandi loin de l’océan, très loin même de toute forme de nature, et pourtant, j’ai toujours été fascinée et attirée vers lui. Lorsque je regarde l’océan, cette immense nappe d’eau qui se perd à l’horizon, alors je reprends conscience que je ne suis qu’une goutte parmi un tout qui me dépasse. Avec mes yeux d’enfant, j’y associais beaucoup de mystère : comment l’océan peut-il être tantôt si calme que sa surface ressemble à un miroir, puis tantôt tellement déchaîné qu’il en fait sombrer des navires ? Plus tard, j’ai découvert que la physique, les maths pouvaient apporter des réponses à ces questions et c’est là que j’ai compris que c’était ce que je voulais faire plus tard.

Quel est selon vous le rôle de la science dans les grands enjeux sociétaux actuels ?

Solange Coadou Chaventon : Au regard de la crise climatique et du déclin de la biodiversité que nous traversons, il est impératif que les scientifiques s’engagent plus radicalement, sortent de leurs bureaux, militent, se mobilisent, diffusent leurs connaissances pour incarner l’urgence de la situation. Cela fait des décennies que les chercheurs documentent ces crises, alertent les médias, interviennent auprès des gouvernements, en vain. Aujourd’hui, produire de nouvelles données pour affiner les trajectoires que nous sommes en train de suivre est inutile si nous ne sommes pas prêts à agir en conséquence. Les scientifiques bénéficient d’une légitimité auprès du grand public, ce qui leur confère le pouvoir de faire bouger les lignes. Ce pouvoir s’accompagne de responsabilités : chacun d’entre eux a le devoir d’alerter et d’agir par tous les moyens pour empêcher la catastrophe qui s’apprête à nous submerger.


Yan Barabinot, doctorant en 1re année au Laboratoire de Météorologie Dynamique

« Je suis en première année de thèse en océanographie physique, sous la direction de Sabrina Speich. Je travaille sur les tourbillons dits de mésoéchelle, c’est-à-dire dont la taille varie de 10 à 150 kilomètres de diamètre. Les tourbillons dans l'océan sont simplement des courants circulaires plus ou moins fermés sur eux-mêmes. Ce sont l'équivalent des cyclones et des anticyclones de l'atmosphère que l'on peut observer sur les cartes météo des journaux télévisés, à ceci près qu'ils sont plus lents et plus petits et que bien sûr il s'agisse d'eau de mer et non d'air. Ces tourbillons sont omniprésents dans tous les océans et ont un impact important sur la physique, la chimie et la biogéochimie marine. »

Pourquoi avoir choisi une carrière scientifique dans ce domaine ?

Yan Barabinot : J'ai d'abord choisi ce domaine par goût et par curiosité. Comprendre et analyser les processus physiques m'a toujours passionné, d'autant plus lorsqu'il s'agit de phénomènes complètement naturels. Ce choix a été également motivé par les enjeux actuels sur le climat, même si mon sujet n'y répond pas directement.
Quel est selon vous le rôle de la science dans les grands enjeux sociétaux actuels ?

Yan Barabinot : Selon moi, la science doit tout d’abord être distinguée de la recherche. La science est "exacte" au sens commun du terme, tandis que la recherche ne l'est pas forcément. Évidemment, rigoureusement toutes les théories scientifiques sont fausses, car ce qui ne peut pas être réfuté ne relève pas de la Science comme le démontre le philosophe Karl Popper. La science est une collection de théories, de phénomènes et de résultats confirmés par l'expérience et qui reposent sur un consensus scientifique. À l'inverse, la recherche n'est - comme son nom l'indique - qu'un début. Elle devient une science lorsque les résultats sur un phénomène ne font plus débat.
Pour moi, dans le cadre des enjeux actuels, la science a pour but d'informer. Elle ne doit pas être politisée au risque de perdre sa neutralité et son impartialité. En revanche, les arguments scientifiques peuvent et doivent être des justifications à certaines actions.

 

Pablo Fernández, doctorant en 2e année au Laboratoire de Météorologie Dynamique

« Je m’intéresse aux interactions océan-atmosphère dans le nord-ouest de l’océan Atlantique tropical, près de l’embouchure de l’Amazone.  L’océan et l’atmosphère peuvent échanger de l’énergie comme résultat d’un déséquilibre entre la température de l’air et de l’eau, et la présence de cette masse d’eau plus douce, associée à l’Amazone, augmente la température de la mer et favorise ce déséquilibre. L’étude détaillée des effets sur les flux d’énergie air-mer de la petite échelle océanique est cruciale pour comprendre les mécanismes qui relient ces deux composantes du système climatique, mais aussi pour les représenter correctement dans les modèles numériques. Les applications de ces recherches sont très nombreuses : les flux air-mer conditionnent la quantité de vapeur d’eau et de chaleur dans l’atmosphère, deux « ingrédients » indispensables pour la formation des nuages, cyclones et précipitations.»

Pourquoi avoir choisi une carrière scientifique dans ce domaine ?

Pablo Fernández : J’ai voulu étudier la physique à l’université car j’étais fasciné par le fait de pouvoir modéliser et représenter les processus naturels avec des équations et schémas, a priori créés par l’Homme. J’avais toujours été attiré par les phénomènes naturels qui se déroulent dans l’atmosphère, comme les tempêtes, les orages, la neige … Tous les soirs à 22 heures, je regardais la météo et à chaque fois je me demandais avec fascination comment il était possible de prévoir les températures ou les vents des jours suivants, l’atmosphère étant quelque chose d’immense et chaotique. Et dans la majorité des cas, « ils » avaient raison ! C’est comme cela que je me suis spécialisé en météorologie. Mais quand j’ai commencé à étudier en détail la dynamique de l’atmosphère, je me suis rendu compte que l’océan jouait un rôle principal dans le stockage de chaleur et qu’il influence ce qui se passe dans l’atmosphère. J’ai donc plongé dans l’étude de ces interactions avec ma thèse pour avoir une image plus complète du système climatique.

Quel est selon vous le rôle de la science dans les grands enjeux sociétaux actuels ?

Pablo Fernández : Je suis absolument d’accord avec l’affirmation selon laquelle la science est la lumière qui devrait guider toutes les décisions des hommes, car il s’agit de l’outil le plus important qu’on ait pour comprendre la nature. Dans le contexte des sciences du climat, on nous a répété un million de fois que les températures augmentent, que la fonte de la glace s’accélère, que les vagues de chaleur sont plus intenses et longues… et ce depuis les années 1980, si ce n’est même avant. Je me demande donc : pourquoi ne pouvons-nous pas écouter la science ? Pourquoi ne pouvons-nous pas construire un peu plus à l’intérieur des terres et d’une façon durable si nous savons déjà que le niveau de la mer monte ? Pourquoi ne pouvons-nous pas créer plus d’aires protégées si nous savons que la biosphère et la biodiversité contribuent à la captation de CO2 ? Enfin, pourquoi ne pas se diriger vers un modèle qui ne tue pas la planète pour satisfaire nos besoins ?