Ecrire pour le climat : la puissance de la fiction face au changement climatique

Entretien avec Nicolas Coltice, professeur au département de Géosciences et copilote d'un concours d'écriture unique

Avis à tous ceux que la "fiction thématique", l'engagement ou le climat interpellent.
À vos plumes ! Une compétition d'écriture inédite est lancée, l'occasion d'échanger avec Nicolas Coltice, co-concepteur du concours. Il nous offre une mise en perspective sensible de ce que la puissance de la fiction peut apporter à la science.
Akpatok Island, Baffin, Unorganized, NU, Canada - Photo by USGS on Unsplash
L'île Akpatok - Canada - Photo par USGS sur Unsplash - Accessible uniquement par avion, l'île d'Akpatok s'élève hors de l'eau sous la forme de falaises abruptes qui s'élèvent de 150 à 243 m au-dessus de la surface de la mer.

Comment vous est venue l’idée du concours « Écrire pour le climat » , d’y réunir l’écriture littéraire et le GIEC ?

Quand je suis arrivé au département de Géosciences, j’ai rapidement découvert que la majorité des chercheuses et des chercheurs étaient mobilisés sur la question du changement climatique. J’ai essayé d’intégrer cette question au cœur de mes enseignements. Mais les discours scientifiques ont leurs limites, et face à une nouvelle ère les chemins sont brouillés. La conscience collective a gagné beaucoup de terrain sur la question du constat, mais nous continuons sur la même voie. J’ai l’impression que les imaginaires sont les moteurs de la transition à réaliser.

L’école est riche de talents, et les normalien.ne.s seront au cœur des décisions en France dans les 10 ans à venir. J’ai pensé que ce concours était un moyen de solliciter les talents, de mêler arts et sciences et de contribuer à la mise en mouvement nécessaire de la société.

C’est justement dans plis et les recoins qu’adviendront des images et des pensées qui dépasseront des paysages déjà tracés.

Avez-vous eu en tête un texte littéraire de référence ?

J’en ai, mais je souhaite justement que les imaginaires s’expriment sans borne. C’est justement dans plis et les recoins qu’adviendront des images et des pensées qui dépasseront des paysages déjà tracés. Je pense que des personnes qui n’ont pas nécessairement un engagement militant, ou qui sont peu conscientes des problèmes systémiques, peuvent à travers un texte qui n’a rien d’une anticipation ou d’une fiction, dessiner des nouvelles lignes de fuite. J’ai en tête une page complètement blanche.

Quelles sont les principales contraintes de cet exercice ? Peut-on parler de « fiction climatique » ?

Je ne souhaite qu’une contrainte : les scénarios du GIEC comme inspiration. Le reste est du ressort des candidat.e.s. Il ne s’agit pas d’un concours d’écriture de science fiction ou d’anticipation. Les scénarios du GIEC s’ancrent dans l’histoire passée, s’articulent autour des changements actuels et se projettent vers 2100. Le monde entier vit cette histoire. Il n’existe aucune frontière à ces fictions, ni dans le fond, ni dans la forme. Ces fictions sont panhumaines, davantage que climatiques. Face aux bouleversements de la nature en cours, elles portent sur l’activité humaine dans son ensemble, délimité par les frontières de la planète.

Au-delà du simple concours, qu’attendez-vous des productions ?  

Les attentes sur les questions climatiques portent une pression démesurée sur les jeunes notamment. Je ne souhaite pas avoir d’attente, plutôt ouvrir un espace dans lequel l’imaginaire peut s’insérer et proposer des textes sans autre enjeu que de toucher les lectrices et les lecteurs, et donc le jury. L’écriture peut se libérer de l’angoisse, du besoin de trouver des chemins qui nous sauveront. J’attends que ce concours soit une respiration, où les talents peuvent s’exprimer librement.

Que peut la littérature dans ce combat pour le climat, et plus généralement que peut l’art ?

La littérature, comme d’autres arts, donne à explorer le sensible. Le monde plonge en chute libre dans la science et la technologie. La science diagnostique et mesure le changement climatique. La technologie propose des outils pour modifier les scénarios écrits. Mais aujourd’hui la science n’attend plus les corps, et la technologie touche les limites terrestres et humaines. La littérature propose un temps de repos, de répit, un échange, une écoute, et le tracé de diagonales fuyantes qui peuvent mystérieusement mettre en mouvement, ou créer un sens nouveau.

C’est pour moi l’enseignement numéro 1 à transmettre aux nouvelles générations, permettre de ne plus penser en silos, de sortir de l’intelligence aveugle. Ce concours est une pièce que nous proposons ensemble.

Pensez-vous que les sujets écologiques doivent être questionnées par le croisement des disciplines ?

Le problème climatique touche l’activité humaine de manière systémique. Il est facile d’identifier qu’il est impossible de parler de climat sans parler d’énergie. L’énergie c’est l’économie, mais aussi la géologie. L’économie c’est aussi la politique. La politique c’est aussi la philosophie. Qui est aussi la littérature. La pensée complexe chère à Edgar Morin fait irruption dans l’organisation des humains avec la question climatique. L’interdisciplinarité devient indispensable pour penser le monde et avancer. C’est pour moi l’enseignement numéro 1 à transmettre aux nouvelles générations, permettre de ne plus penser en silos, de sortir de l’intelligence aveugle. Ce concours est une pièce que nous proposons ensemble.

L’ENS-PSL est un tout petit point sur la carte de France, mais porte une voie singulière et puissante quand il s’agit d’envisager le monde.

Est-ce que les textes sélectionnés donneront lieu à un recueil ?

Ce serait une contribution formidable, de diffuser la pensée d’une école dont l’essence est de former une élite académique avec une largeur de vue, transversale et ouverte.

L’ENS-PSL est un tout petit point sur la carte de France, mais porte une voie singulière et puissante quand il s’agit d’envisager le monde. La partager grâce à ce genre d’exploration me paraît une chance pour tous.

 

À propos du concours "Ecrire pour le climat"

 

En mars 2020, le département de Géosciences et le département Littératures et langage s’associaient pour proposer un concours d’écriture littéraire sur les scénarios du GIEC.  Ce projet mis à l'arrêt en raison des bouleversements causés par la crise sanitaire est aujourd'hui relancé.

 

Partant du constat que le discours scientifique ne peut être l’unique relais pour évoquer le changement climatique et que la littérature nous offre, par le recours à la fiction et à l’imaginaire, de puissants outils pour envisager et construire l’avenir, Nicolas Coltice au département de Géosciences et Pierre Musitelli au département Littératures et langage ont imaginé ce concours d’écriture littéraire : un appel à récits de fiction brefs, en vers ou en prose, dialogiques ou narratifs, sans limitation de genre ni de registre, mais fondés sur les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

 

Cinq scénarios socio-économiques et climatiques ont en effet été élaborés par la communauté scientifique dans le cadre des travaux du GIEC, dont les résumés sont présentés dans ce document "Concours Écrire pour le climat - Les scénarios du GIEC".  Ils sont autant de points de départ de vos futures fictions.