« Les mathématiques sont un langage universel et facilitent la coopération internationale, essentielle dans la recherche »
	
			
            Rencontre avec Laure Dumaz, lauréate de la médaille de bronze du CNRS 2025
      
		
		
	
			En juin dernier, Laure Dumaz, chargée de recherche CNRS au département de mathématiques et applications de l’ENS - PSL, recevait la médaille de bronze du CNRS pour ses contributions en théorie des probabilités. Une belle reconnaissance pour cette scientifique, qui s’attache également à la transmission et au partage des savoirs.
Ce qui a d’abord attiré Laure Dumaz vers les mathématiques ? Sa poésie. « Plus jeune, j’étais émerveillée par la beauté du vocabulaire des mathématiques lié aux termes utilisés tels que « irrationnel », « imaginaire »… Cela a joué un rôle certain dans ma fascination pour cette discipline », explique la scientifique, aujourd’hui chargée de recherche CNRS à l’ENS-PSL et lauréate de la médaille de bronze du CNRS 2025. Une langue poétique et « universelle », qu’elle pratiquera rapidement au quotidien, aussi bien pour l’étudier que pour la transmettre.
Entre physique, mathématiques, analyse et probabilités
Après avoir suivi des classes préparatoires à Marseille et à Lyon, Laure Dumaz poursuit ses études à l’École normale supérieure, qu’elle intègre en 2006. Elle effectue ensuite une thèse en co-tutelle entre Paris et Budapest, puis un postdoctorat à l’université de Cambridge. Par la suite, elle devient chargée de recherche au CNRS au Centre de Recherche en Mathématiques de la Décision (CEREMADE) à l’Université Paris-Dauphine.
« Travailler à l’École normale supérieure est une expérience exceptionnelle. »
En 2020, Laure Dumaz revient à l’ENS, cette fois en tant que chercheuse en théorie des probabilités. « Le département de mathématiques et applications de l’ENS a joué un rôle clé dans mon parcours », précise-t-elle. « Étudiante, il m’a permis de me former au contact de scientifiques impressionnants mais extrêmement généreux et accueillants. Désormais enseignante et chercheuse, travailler à un tel endroit est une expérience exceptionnelle. »
Les travaux actuels de Laure Dumaz portent sur les opérateurs aléatoires de Schrödinger et de Dirac. « J’ai découvert ce domaine de recherche fascinant à la frontière entre physique, mathématiques, analyse et probabilités un peu par hasard, grâce aux liens qu’il possède avec la théorie des matrices aléatoires », justifie la scientifique.
Ces fondamentaux en physique et en chimie permettent de modéliser le déplacement des électrons : « imaginez un électron dans un cristal pur. Il est assez facile de montrer que celui-ci va se propager. Mais que se passe-t-il si l'on ajoute des impuretés dans le cristal ? La réponse dépend de façon cruciale de la dimension du système. » Des recherches qui prennent pour point de départ le phénomène de « localisation d’Anderson » datant des années 1950. « Anderson a montré que l’électron pouvait se retrouver piégé par les impuretés, ce qui a été une surprise à l’époque. Il est maintenant mathématiquement prouvé que c’est toujours le cas en dimension 1 et 2, et vrai seulement pour de grandes impuretés en dimension 3 », explique Laure Dumaz.
L’un des enjeux majeurs de ce phénomène ? Montrer qu’en dimension 3, si les impuretés sont assez petites, il y a bien propagation, comme pour un cristal pur. « Si ce domaine de recherche est très actif depuis les travaux d’Anderson, cette question reste totalement ouverte. »
Plus précisément, Laure Dumaz s’est intéressée à ce qu’il se passe en dimension 1, c'est-à-dire lorsque l’électron est contraint à se déplacer sur la ligne : comment se localise-t-il ? En utilisant des outils de calculs stochastiques, la mathématicienne s’est attelée avec Cyril Labbé, professeur à l’Université Paris Cité, à répondre à cette question. 
 
Collaborer, échanger
Des travaux pionniers, qui valent aujourd’hui la médaille de bronze du CNRS à Laure Dumaz : « Je suis très honorée de cette reconnaissance », sourit-elle. « Cela m’encourage d’autant plus à poursuivre mes recherches dans ce domaine. De nombreuses questions restent à explorer, en particulier sur les dimensions supérieures, et j’espère avancer dans cette direction dans les années futures ! »
Une belle récompense et de nouvelles perspectives, pour celle qui a toujours aimé le côté « exploratoire » de la recherche, « ce moment où l’on réfléchit longuement à un problème pour le comprendre de mieux en mieux ».
Loin des clichés du mathématicien en train de plancher seul sur ses recherches, Laure Dumaz aime faire de sa discipline un champ de collaboration et d’échange. « Les mathématiques sont un langage universel et facilitent la coopération internationale, essentielle dans la recherche ». De retour depuis peu d’un voyage au Japon, la scientifique a pu le constater par elle-même : « il était frappant de voir que nous nous passionnions pour les mêmes questions mathématiques, malgré nos différences culturelles ».
Donner le goût des maths dès le plus jeune âge
Laure Dumaz considère les mathématiques comme une véritable langue vivante, qui évolue, s’étudie et surtout se transmet : « ce dernier aspect est au cœur de mon métier, via les cours spécialisés, mais aussi les conférences ou les écoles d’été », indique-t-elle. « J’estime que cela fait partie des objectifs essentiels du métier de chercheur : il ne sert à rien de montrer des théorèmes dans son coin sans les partager avec d’autres et en particulier les plus jeunes. »
Et pour cause : c’est l’une de ses professeurs du collège qui a initié Laure Dumaz à l’apprentissage des mathématiques et lui en a donné le goût : « elle avait commencé à nous présenter de petites preuves, en particulier l’irrationalité de \sqrt{2}. J’avais trouvé le raisonnement magnifique », se souvient-elle. « À l’époque, je n'aurais cependant jamais imaginé faire de la recherche en mathématiques. »
« Les chercheuses en mathématiques communiquent plus facilement lorsqu’une certaine parité est présente. »
Laure Dumaz n’est pas la seule. En 2021, seulement 21% des filles avaient choisi les mathématiques en enseignement de spécialité au lycée. Elles représentaient également 21% des doctorants en maths, et à peine 14% des enseignants-chercheurs dans cette discipline (1). Des chiffres « désolants » pour la scientifique : « cela ajoute une barrière pour les chercheuses en mathématiques, qui communiquent plus facilement lorsqu’une certaine parité est présente », estime-t-elle. « J’ai eu la chance d’être très bien accueillie par la communauté mathématiques. De nombreuses initiatives sont mises en place pour faire évoluer les choses, mais cela se joue, hélas, dès le début de l’école primaire pour les maths, ce qui est extrêmement difficile à rattraper au niveau des études supérieures. D’où l’importance d’agir à tous les niveaux », considère la chercheuse.
Les conseils de Laure Dumaz pour qui souhaiterait se lancer en recherche mathématiques ? « Suivez vos intuitions, persévérez et gardez votre enthousiasme ! Il est facile de se laisser décourager par l’immensité de la littérature lorsqu’on commence sur un sujet. Il ne faut pas oublier que la recherche est comparable à un marathon pas à un sprint. »
(1) Source : rapport 2023 « Vers l’égalité femmes-hommes ? Chiffres clés », Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
