« S’ouvrir aux disciplines, c’est construire sa personnalité de chercheur »

Depuis le lycée, Samuel Dumont a toujours été partagé entre les sciences et les lettres. À l’ENS-PSL, il a su concilier ses deux passions et se consacre aujourd'hui à la philologie des textes relatifs au vivant, entre sciences de l’Antiquité et biologie. Rencontre avec ce normalien qui n’imagine pas la recherche sans interdisciplinarité.

Samuel Dumont, dans le laboratoire de l'ENS
Samuel Dumont, sur le toit l'ENS

Comment s’orienter lorsqu’on aime à la fois les sciences et les lettres ? Ce dilemme a longtemps été celui de Samuel Dumont, aujourd’hui en 4e année au département des Sciences de l’Antiquité de l’ENS. Pour l’étudiant, « choisir une discipline, c’était renoncer à beaucoup d’autres choses qui m’intéressaient. »

Entre botanique et latin

Au collège, Samuel découvre d’abord le latin : « J’avais un professeur exceptionnel, qui savait rendre son cours très vivant, se rappelle-t-il. Il avait par exemple fait tourner une adaptation antique de la série humoristique Kaamelott. J’ai découvert qu’on pouvait avoir un autre rapport à cette civilisation. » Sa passion pour le latin et plus largement l’Antiquité ne le quittera plus.

Attiré aussi par les sciences du vivant, Samuel se dirige vers la filière scientifique, spécialité SVT, de son lycée : Hilaire-de-Chardonnet à Chalon-sur-Saône. « Je suis tombé dans la botanique quand j’étais petit, explique celui qui a grandi au cœur de la campagne bourguignonne.  Je passais beaucoup de temps dans les bois et les champs, à contempler la nature, se rappelle le normalien. C’est ce que disait déjà Rousseau, la botanique c’est regarder autour de soi, admirer et observer comment tout fonctionne. » Jardinier amateur depuis l’enfance, activité qu’il pratique avec sa famille, la botanique est aussi pour Samuel une histoire de famille, « à forte dimension affective. »

Le Bac en poche, il bifurquera finalement et choisira de rejoindre la classe préparatoire littéraire au lycée Carnot de Dijon, où il approfondit l’étude du latin et du grec ancien. « J’aime l’aspect énigme de cet autre alphabet qu’il faut déchiffrer. En grec ancien, le sens du texte n'apparaît pas spontanément, il faut l’affronter, estime l’étudiant. C’est aussi une langue de pensée, celle des philosophes et des premiers médecins, biologistes et historiens. J’ai découvert une culture qui fait écho à ma propre curiosité. »

Explorer les frontières entre les disciplines

Pendant ses deux années de classe préparatoire, l’attirance de Samuel pour la botanique ne faiblit pas. Il prépare le concours de l’ENS-PSL : « L’École normale promettait de me donner la possibilité d’explorer les frontières entre des disciplines très différentes les unes des autres. », justifie-t-il. Un point qui lui tient particulièrement à cœur : « On ne réfléchit pas de la même manière en sciences et en lettres. Rester ouvert à plusieurs domaines permet d’acquérir une compétence globale et une culture très riche, que l’on va pouvoir mettre au service d’un sujet de recherche. »

En septembre 2017, il intègre le département des sciences de l’Antiquité de l’ENS et, bien vite, dirige son cursus vers l'analyse des textes s'intéressant au vivant. Samuel étudie les œuvres antiques en se focalisant sur la pensée qu’elles véhiculent. « La botanique est une science qui naît en tant que telle avec Théophraste, grand successeur d'Aristote, explique le normalien. Étudier les plantes et les animaux dans un texte antique, ce n’est pas seulement analyser une figure poétique ou un symbole, mais essayer de comprendre leur place dans cette époque. »

Rester ouvert à plusieurs domaines permet d’acquérir une compétence globale et une culture très riche, que l’on va pouvoir mettre au service d’un sujet de recherche. »

Samuel s’intéresse particulièrement à la physiologie végétale : la façon dont la botanique essaie de comprendre les phénomènes biologiques comme la maturation d’un fruit ou la circulation de la sève d’un arbre. « J’aime confronter le discours moderne de la botanique avec celui des Anciens, précise Samuel. Dans l’Antiquité, la représentation des plantes était différente, cette science était basée uniquement sur de l’observation directe, et il n'y avait alors ni génétique ni photosynthèse pour servir de modèle théorique. Mais lorsqu'on traduit les textes de Théophraste, qui ont aujourd’hui plus de 2000 ans, c’est incroyable de découvrir que certaines de ses intuitions rejoignent les explications contemporaines de phénomènes végétaux ! »

Goûter le savoir pour lui-même

À l’ENS, Samuel a trouvé sa voie. Il réalise son mémoire de recherche sur les plantes dans la philosophie d'Aristote, qu’il soutient en 2019. En 2020, il est reçu à l’agrégation de lettres classiques. Le normalien fait également de belles rencontres durant sa scolarité, et cite souvent le nom de Jean Trinquier, maître de conférences en latin, dont les recherches portent, entre autres, sur l'exotisme et sur l'histoire culturelle des animaux dans l'Antiquité. « Il m’a beaucoup apporté en termes de rigueur et de connaissances, et m’a montré à quel point la passion pouvait être une boussole dans la recherche. »

J’ai aussi beaucoup apprécié le décloisonnement des disciplines et les passerelles que l’ENS permet entre elles. »

Outre les enseignements proposés au département des Sciences de l’Antiquité, Samuel, très attiré par les langues, a suivi aussi des cours d’italien, de persan et de bambara, langue africaine particulièrement courante en Afrique de l’Ouest. « J’ai par ailleurs assisté aux cours de François-Xavier Fauvelle, professeur d’histoire et archéologie des mondes africains au Collège de France et suivi des cours de botanique au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris », précise le normalien. « Les années à l’ENS passent très vite », constate-t-il alors qu’il aborde sa cinquième et dernière année de scolarité. Pour lui, l’École a tenu ses promesses : « J’ai le sentiment d’avoir de la chance. J’ai eu la possibilité de faire tout ce à quoi je m'intéressais juste parce que cela m'intéressait, de goûter le savoir pour lui-même, et non parce que j’étais obligé de suivre un cours. C’est assez extraordinaire dans la vie d’un étudiant, témoigne-t-il. J’ai aussi beaucoup apprécié le décloisonnement des disciplines et les passerelles que l’ENS permet entre elles. »

La passion de transmettre

Pendant ses études, Samuel a donné des cours de grec ancien à l’Université de Créteil et des cours de latin à l’ENS-PSL. « On reçoit beaucoup à l’ENS, mais il faut aussi savoir donner en retour », estime le normalien. Féru de recherche, soucieux de transmettre… Lorsque Samuel confie vouloir devenir enseignant-chercheur, ce choix de carrière sonne comme une évidence. « La recherche et l’enseignement ont beaucoup à s’apporter, les deux se nourrissent », ajoute-t-il.

En attendant, soucieux de guider celles et ceux qui souhaiteraient intégrer l’ENS, Samuel n’hésite pas à leur prodiguer quelques conseils : « Ne vous censurez pas, peu importe le lycée ou l’université où vous étudiez, avec du travail et de la motivation, chacun peut avoir sa chance. » Pour le normalien, il est indispensable de cultiver en permanence sa curiosité. « En khâgne, c’est ce qui m’a permis d’acquérir une culture très riche, mais cela reste valable pour l’ENS. Explorer plusieurs disciplines est essentiel pour se construire une personnalité de chercheur », conclut-il.

Mis à jour le 23/2/2023