Médecin, germaniste, podcasteuse : pourquoi choisir ?

Rencontre avec Elsa Touretz, étudiante à l’ENS et future médecin

Aussi loin qu’elle se souvienne, Elsa Touretz a toujours voulu travailler dans le soin et l’aide aux personnes. Aujourd’hui en première année du programme Médecine-Humanités de l’ENS-PSL, cette étudiante fascinée par la naissance souhaite orienter sa future spécialité vers le domaine de la maternité. Rencontre avec une future médecin passionnée, pour qui l’interdisciplinarité et les sciences humaines sont essentielles à la pratique clinique.
Elsa Touretz
Elsa Touretz

Elsa Touretz, étudiante en première année du programme Médecine-Humanités a toujours voulu travailler dans le soin. « J’ai longtemps hésité entre sage-femme et médecin », explique la normalienne. « La naissance, cette étape formidable de la vie, m’a toujours fascinée et je souhaite m’orienter plus tard vers l’obstétrique ou plus généralement vers le domaine de la maternité. » Sa motivation principale ? L’humain au centre de la pratique médicale. La normalienne affiche volontiers son désir profond d’aider et d’être à l’écoute de l’autre : « j’aime échanger avec les personnes, leur donner espoir, comprendre leur vécu mais aussi leurs attentes et les accompagner dans l’épreuve qu’est la maladie. »

Elsa apprécie également « le tâtonnement et la réflexion que nécessite la médecine », citant ses professeurs, dont quelques-uns lui ont rappelé avec expérience et bienveillance que la médecine « n’est pas une science exacte ». Ce questionnement constant, cette recherche perpétuelle de la pleine compréhension de l’autre est, loin de la décourager, sans doute l’un des aspects de la médecine qui lui plait le plus. « Chaque patient est unique et de ce fait le dossier médical l’est aussi : c’est un travail constant d’adaptation des connaissances médicales à la personne prise en charge. Un travail incroyable et magnifique. »

Au lycée, Elsa se tourne d’abord vers les études germaniques, « par amour des langues vivantes » précise-t-elle. Elle suit une classe ABIBAC qui offre une préparation à la fois au baccalauréat français et à l’Abitur, l’équivalent du bac allemand. L’enseignement lui permet de découvrir la littérature allemande mais également la culture germanique et son histoire, avec par exemple des cours d’histoire-géographie dans la langue de Goethe. Germanophone aguerrie, elle passe 6 mois à Berlin en classe de seconde grâce au Programme Voltaire de L'Office franco-allemand pour la Jeunesse, où elle vit en famille d’accueil tout en étant scolarisée au lycée allemand. « Mais l’attirance que j’avais toujours eue pour la médecine a pris le dessus », se rappelle la normalienne. De retour en France, elle décide de poursuivre sa scolarité en terminale scientifique et s’inscrit après le bac en première année d’études communes de santé (PACES). Après une préparation « intensive » du concours, Elsa intègre la deuxième année de médecine : « cette étape m’a largement confortée dans mon choix d’orientation mais m’a aussi fait prendre conscience de la faiblesse de certains questionnements dans les enseignements proposés en cours de médecine, notamment ceux autour de la personne ».

Soucieuse de construire de la manière la plus adaptée et la plus précise possible sa vision de la médecine, Elsa cherche ce qui pourrait répondre à ses interrogations. Et si elle connait l’ENS depuis le lycée, elle n’apprend l’existence du programme Médecine-Humanités de l’École qu’au cours de sa deuxième année d’études. Elle est assidue au séminaire hebdomadaire du cursus qui est ouvert à tous : « j’ai été fascinée par la présentation de travaux de recherche sur des sujets très différents mais qui se rapportaient tous à une même problématique médicale, de manière à se compléter. » Chaque semaine, chercheurs en histoire, philosophie, sciences de l’Antiquité, littérature, histoire des arts, sciences sociales, médecine… et artistes prennent la parole et proposent une approche croisée des « humanités médicales » autour de savoirs et de représentations liées au corps, à la maladie et au soin. « J’ai été très enthousiaste à cette prise de conscience de l’interdisciplinarité nécessaire à la pratique clinique » se rappelle Elsa. « L’ENS représentait déjà pour moi un idéal en terme de savoir et de recherche, une institution toujours en train de se réinventer. Mais surtout, ce double-cursus offrait une véritable possibilité de comprendre les ressorts humains au centre de la pratique médicale grâce à d’autres disciplines. C’est ce qui m’a décidé à candidater. » ajoute la normalienne.

Le programme Médecine-Humanités s’adresse en effet aux étudiants en deuxième année de médecine, curieux de découvrir de nouvelles disciplines dans le champ des humanités. Il leur permet à la fois d’approfondir des disciplines abordées au lycée comme la philosophie et l’histoire mais surtout d’en découvrir de nouvelles telles que la sociologie, l’anthropologie, l’économie. « Depuis la terminale je n’avais plus eu l’occasion d’apprendre une nouvelle langue, de débattre, ou tout simplement de partager avec d’autres personnes sur des lectures », explique Elsa. « J’ai choisi ce cursus car je souhaitais découvrir de nouveaux horizons. De plus, avant même d’intégrer la faculté de médecine, je me questionnais déjà sur la position du soignant par rapport au patient, sa responsabilité, ce qu’implique le consentement éclairé ainsi que sur beaucoup d’autres sujets d’éthique. J’étais convaincue de trouver des réponses en intégrant ce programme », justifie la normalienne.

Elsa intègre le cursus Médecine-Humanités en parallèle de sa troisième année de médecine en septembre 2020. Quelques mois plus tard, elle fait le point avec enthousiasme : « je ne regrette absolument pas mon choix, bien au contraire ! J’apprécie énormément la diversité de ce programme. » La normalienne apprend le coréen, suit des cours de cinéma et d’histoire et pour elle l’ENS est « une vraie ressource pour la curiosité ». Pour l’étudiante, la liberté dans les choix de cours contribue beaucoup à la valeur de ce programme : « le cursus permet à la fois de s’éloigner de la médecine mais également de s’en rapprocher, puisqu’il éclaire les enjeux de société que l’on retrouve à l’hôpital et dans la pratique médicale en général », constate-t-elle. Car en tant que future médecin, Elsa considère qu’il est impossible d’ignorer les inégalités sociales et les enjeux ethno-psychologiques rattachés au fonctionnement du système de soins. « Ce cursus enrichit considérablement ma vision de la médecine et me permet de considérer les changements ou les améliorations à y apporter. L’enseignement et les rencontres qu’il offre sont formidables et constituent une expérience inoubliable » témoigne l’étudiante. Elsa souhaite par la suite intégrer les connaissances acquises en Humanités dans la prise en charge des patients : « lors de mon stage dans un service de psychiatrie, j’ai pu mesurer la ressource que constituent l’écriture et l’art dans l’arsenal thérapeutique » raconte-t-elle, « avec tous les questionnements qu’il soulève, ce cursus donne véritablement de l’épaisseur à la réflexion clinique et j’ai hâte de pouvoir apporter des changements à mon échelle dans la pratique médicale. »

Grâce aux stages qu’elle effectue dans le cadre de ses études de médecine, la normalienne se rend compte qu’elle aime être auprès des patients et des malades : « c’est là-bas que je me sens à ma place. Quand je rentre chez moi, je suis heureuse de mon temps passé à l’hôpital et je suis contente d’y retourner le lendemain. » constate-t-elle, ravie de s’être trouvée. « Les stages me confortent dans l’idée de replacer l’humanité et la solidarité au centre du soin », ajoute-t-elle avec sincérité.
Et si la normalienne reconnait qu’il y a parfois des moments de tristesse et de doute dans l’apprentissage pratique et théorique de la médecine, elle les considère « tellement moindres » en comparaison des joies et à la satisfaction de l’engagement dans le soin.  

Comme pour de nombreux étudiants la crise sanitaire a eu un fort impact sur la vie personnelle et universitaire d’Elsa. Elle a aussi fortement marqué son apprentissage de la clinique. La normalienne a été particulièrement « bouleversée » par de jeunes patients admis avec des complications graves de la Covid, « cette maladie peut toucher tout le monde. » L’étudiante s’est aussi rendue compte de la place des enjeux comptables de la santé, des enjeux complexes et parfois non exempts de sacrifices. Lors de son premier stage de l’année, la moitié du service d’Elsa a dû être réaménagée en réanimation par manque de lits. « Et au cours de mon deuxième stage s’est posée la question de l’isolement des patients positifs, au vu cette fois-ci du manque de chambres individuelles », ajoute-t-elle.

« La liberté et l’espace de parole offerts par ces deux projets m’ont décidée à m’investir »

Cette crise sanitaire a considérablement nourri les interrogations d’Elsa : l’étudiante souhaiterait à terme adosser sa pratique médicale à une réflexion collégiale sur les questions de terrain, et aimerait volontiers intégrer un comité de réflexion. Mais Elsa n’a pas attendu pour commencer à agir et prendre la parole : en février la normalienne se porte volontaire pour rejoindre l’équipe de Dès demain, premier podcast de l’ENS-PSL. Cette série de six épisodes donne la parole à la jeunesse et invite à une réflexion sur les multiples facettes de la crise sanitaire. L’équipe, composée de Zoé Varier de France Inter, d’Elsa, de Kendrys Legenty et d’Amadou Mbaye, étudiants en Médecine-Humanités, est partie à la rencontre d’artistes et de scientifiques au fil d’épisodes thématisés. L’anthropologue Frédéric Keck, la critique et historienne de l'art Elisabeth Lebovici, la philosophe Marie Gaille ou bien encore l’historien François Hartog comptent parmi les personnalités invitées. Dès demain est le premier podcast auquel Elsa participe et surtout « une incroyable aventure» pour l'étudiante. « Pouvoir dialoguer en petit comité avec un chercheur sur un sujet d’actualité telle que la crise de la Covid et ses retentissements sur toutes les dimensions de nos vies m’a vraiment séduite. Enfin, c’est l’idée de transmettre et de partager des questionnements avec les personnes qui nous écouteront que j’affectionne particulièrement. »

Enregistrement du premier épisode du podcast « Dès demain » avec Frédéric Keck, anthropologue et invité du podcast. © Frédéric Albert
Enregistrement du premier épisode du podcast « Dès demain » avec Frédéric Keck, anthropologue et invité du podcast. © Frédéric Albert

Très impliquée, la normalienne se passionne pour le projet, « dans la mesure où il permet de donner la parole à la jeunesse et de poser des questions librement à des chercheurs souvent plus âgés. » Pour elle, c’est en grande partie ce qui fait la force de Dès demain, une initiative que l’étudiante qualifie d’« intergénérationnelle », tant dans le contenu que pour le public auquel il s’adresse. Elsa est aussi particulièrement sensible au format « innovant » du podcast : « c’est un média qui permet de toucher peut-être plus de personnes que les textes écrits », estime-t-elle. « J’aime l’idée de transmettre et de partager des questionnements avec les personnes qui nous écouteront. »
Au quotidien, l’étudiante prend « un réel plaisir » à travailler sur ce projet, et ne tarit pas d’éloge quant à l’implication de Zoé Varier, Kendrys et Amadou : « le travail en groupe est riche d’apprentissage car nous nous complétons très bien au sein de l’équipe. Chacun propose ses idées et l’ambiance bienveillante permet de tirer le meilleur des suggestions » explique la normalienne. Elsa reconnait volontiers que l’opportunité de dialoguer en petit comité avec un chercheur sur un sujet d’actualité telle que la crise de la Covid et ses divers retentissements « est quelque chose de tout simplement unique ».

En parallèle du podcast Dès demain, Elsa s’est aussi essayée à l’écrit en s’impliquant dans la rédaction d'un numéro spécial du 1 Hebdo publié en mars dernier avec d’autres étudiants de Médecine-Humanités. S’ils ont participé aux différents choix éditoriaux du numéro, six d'entre eux, dont Elsa, racontent notamment « Les jeunes au rendez-vous du Covid » au travers d’une tribune saisissante. « L’élaboration de cet article pour Le 1 a permis un réel dialogue avec les autres étudiants du cursus afin d’élaborer un texte avec lequel nous étions tous en accord, et que nous voulions réaliste et en même temps plein d’espoir », explique la normalienne.

Dans cet article, Elsa y souhaite un futur « juste, écologique et inclusif ». La normalienne espère que « le monde d’après » puisse tirer les enseignements de cette crise sanitaire : « celle-ci a remis en question notre mode de vie ancré dans une consommation de masse et négligente du monde vivant » estime l’étudiante. « Avec cette pandémie et un confinement quasi-mondial, nous avons pu voir en 2020 un recul du jour de dépassement des ressources de la planète d’environ 3 semaines » rappelle-t-elle. « J’espère aussi que les questions soulevées par la crise – notamment celles concernant les inégalités sociales – seront discutée dans l’espace public dans un esprit plus démocratique, car l’urgence qu’entraîne la crise sanitaire court-circuite parfois le débat ». La normalienne est également inquiète pour les rapports humains du quotidien, si précieux pour elle : « j’espère que nous pourrons retrouver certains petits plaisirs d’avant, que ni le masque, ni le numérique ne deviendront la norme mais surtout que les liens sociaux et physiques retrouveront leur place dans nos vies ». Si Elsa reste préoccupée par la situation actuelle, l’étudiante se veut avant tout optimiste pour l’avenir et n’hésite pas à citer Rimbaud : « pour finir, je souhaite que la promenade de nos vies soit bordée de tilleuls verts. »

 

RESSOURCES

 

•    Site web du parcours Médecine-Humanités
•    Écoutez le premier podcast de l'ENS-PSL, Dès demain, co-réalisé par 3 étudiants du programme Médecine-Humanités
6 épisodes pour questionner la jeunesse sur la crise sanitaire que nous traversons et sur le monde que nous voulons pour demain. Amadou, Elsa et Kendrys, accompagnés par la productrice Zoé Varier de France Inter, s'interrogent et partent à la rencontre d’artistes, de chercheurs et de chercheuses.

 

•    Dans le numéro 337 du 1 Hebdo paru en mars 2021, réalisé avec les étudiants du programme Médecine-Humanités, six d'entre eux racontent « Les jeunes au rendez-vous du Covid ». Lire l'article ici et le sommaire du numéro est à découvrir là.

 

•    Le programme Médecine-Humanités de l'ENS-PSL propose depuis janvier 2021 un cycle de conférences sur le thème Pandémies : Faits et politiques, qui donnent la parole à des chercheurs de toutes les disciplines ainsi qu’à des artistes. Retrouvez l’intégralité des conférences passées à réécouter ici et inscrivez-vous aux prochaines via cette page.

 

•    Entretien avec Déborah Levy Bertherat, maître de conférences en littérature comparée, précédente responsable du programme Médecine-Humanités à l'ENS
•    Interview de 3 étudiants du programme Médecine-Humanités à l’occasion de leur participation à la nuit des idées en 2020
•    Rencontre avec Kendrys Legenty, étudiant en Médecine-Humanités : Donner la parole aux autres pour comprendre le monde d’aujourd’hui et esquisser demain