[Médiation scientifique] « Faire de la médiation scientifique devrait être pleinement encouragé et reconnu »

Rencontres avec ceux qui rendent la science vivante : portrait de Valentine Blanpain, élève au département de mathématiques à l'ENS-PSL

Créé le
6 janvier 2026

À l’École normale supérieure, Valentine Blanpain s’investit dans la médiation scientifique, convaincue que les mathématiques et l’informatique peuvent passionner si elles sont présentées de manière accessible. De la Fête de la Science aux conférences pour enfants, elle rapproche le public de la recherche et transforme l’image souvent élitiste des sciences.

Valentine Blanpain
Valentine Blanpain

Dès sa première année à l’ENS, Valentine Blanpain est attirée par la médiation scientifique, un domaine où curiosité et pédagogie se rencontrent. Son premier contact avec une professionnelle de la médiation a été avec la présidente de l’association Femmes et Mathématiques, créée par d’anciennes normaliennes de Sèvres. C’est là que nait son envie de transmission. « J’ai commencé par raconter mon parcours à des lycéennes, puis j’ai donné des conférences sur le rôle des femmes dans le développement de l’informatique. Ces échanges m’ont beaucoup appris ». De fil en aiguille, ses interventions se sont multipliées, d’abord auprès de lycéennes et de collégiennes, puis dans le cadre d’événements grand public comme la Fête de la Science 2025. Cette médiation scientifique lui a plu : elle s’apprête prochainement à donner une conférence destinée aux enfants, élargissant encore son horizon de médiation.

Pour Valentine, le mieux, c’est l’émerveillement du public : « J’aime voir l’émerveillement chez un public qui ne pensait pas être si intéressé par les sciences. Je pense que beaucoup de personnes ont une image des sciences, et en particulier des mathématiques, comme un domaine difficile, et peu accessible, alors que c’est tout le contraire ». Pour elle, n’importe qui, peu importe son bagage culturel, peut comprendre une recherche complexe. Par exemple il y a quelques semaines, pendant sa participation à la Fête de la Science, elle a été surprise de voir que « les enfants de moins de 10 ans y arrivaient très souvent mieux que les personnes au collège et leurs parents ».

Mais il n’y a pas que ses expériences en tant que médiatrice qui nourrissent son envie de transmettre aux autres. Son attrait pour la médiation trouve aussi ses racines dans ses propres expériences de jeunesse. Elle se souvient de ses visites au Palais de la Découverte étant enfant, où elle a assisté à des expériences qui l’ont marquée, comme celles illustrant la force centrifuge et centripète. « Ces moments m’ont inspirée et je les ai souvent en tête lorsque je prépare mes interventions », confie-t-elle. Au lycée, elle y est retournée avec sa classe ; elle a assisté à une journée de conférences organisées par l’association Sephora Berrebi. Les conférences sur le jeu de la vie l’avaient fasciné. Ces expériences ont jeté les bases de ce qu’elle considère aujourd’hui comme essentiel : faire ressentir au public l’émerveillement et la curiosité, bien avant de transmettre un savoir précis. C’est parce qu’elle a pu vivre des expériences étant enfant que Valentine a eu l’envie de transmettre la science aux autres.

Déconstruire l’image de l’excellence

Valentine voit un tournant dans sa pratique de la médiation lors de la semaine de conférence From Research to Outreach, où elle participe à un atelier de création de stands de médiation. Là-bas, elle y créé un stand sur la « cryptographie post-quantique ». Le nom ne parle à pas grand monde, et ça peut être un sujet difficile pour le grand public. À ce moment-là, Valentine se rend compte que la compréhension d’un atelier de médiation, c’est avant tout une question d’appréhension du sujet et non de sujet en lui-même, « tout domaine de recherche, même très actuel, peut être vulgarisé si on y consacre assez d’énergie, et surtout si on y travaille à plusieurs ».

La médiation devient alors bien plus qu’un acte de transmission : c’est un moyen de déconstruire l’image parfois intimidante des mathématiques et de la recherche scientifique. « Quand le public vient, par exemple pour la Fête de la Science, on peut lui montrer qu’il peut comprendre ce qu’on fait, et se reconnaître en nous, surtout les jeunes », explique-t-elle. À Normale Sup’, ça peut paraitre plus compliqué. L’image d’excellence peut décourager certaines personnes, particulièrement celles qui ne sont pas familières avec ce type d’événement. Valentine cite la sociologue Clémence Perronnet dans « La Bosse des Maths n’existe pas » : « Il faut un bagage culturel important pour franchir le pas et venir à des événements de médiation scientifique ».

Mais pour la jeune médiatrice, franchir ce pas transforme l’expérience. « Une fois que le public est là, l’excellence devient un moteur : les gens peuvent ressentir la fierté de comprendre la recherche actuelle ». Cette réalité implique une constante adaptation à son public, et ce, quel que soit son âge : Valentine se place toujours du point de vue de son public, en s’aidant de sa propre manière de penser lorsqu’elle avait l’âge des enfants ou des lycéennes qu’elle rencontre. « Je fais souvent des erreurs ou je n’explique pas de la façon la plus claire, puis je m’adapte en fonction des échanges. Chaque interaction enrichit mes futures interventions. »

Une médiation engagée et collaborative

Son approche de la médiation allie engagement, pédagogie et créativité. Comment penser un atelier ? Comment l’adapter à son public ? Sa réflexion porte d’abord sur la manière de rendre les concepts compréhensibles, pour les publics les moins aguerris. Pour elle, il faut trouver coute que coute un moyen de rendre le sujet ludique. « Je passe aussi beaucoup de temps à réfléchir à comment expliquer les choses, ou encore mieux, à faire en sorte que la personne comprenne elle-même. Un chercheur avec beaucoup d’expérience en médiation m’a dit un jour que les meilleurs ateliers de sciences sont ceux où on peut expliquer les règles en 20 secondes, puis se mettre en retrait. J’essaye d’appliquer cette approche. » 
Elle cherche toujours à montrer que les mathématiques ne se résument pas à un monde abstrait et inaccessible, mais qu’elles peuvent être comprises et appréciées par chacun et chacune. « J’ai entendu beaucoup de lycéennes me dire qu’elles aimaient bien les maths, mais qu’elles ne voulaient pas que ce soit leur unique centre d’intérêt. Elles ne se retrouvaient pas dans l’image du mathématicien obsédé par un problème mathématique. Je veux changer cette perception ».

Côté pratique, pour préparer ses interventions, Valentine combine recherche sur le contenu et ajustements en fonction du public. Pour les lycéennes par exemple, elle « adapte le vocabulaire par expérience », car elle se souvient bien de ses années lycée, quand elle était à leur place. Pour les enfants plus jeunes, elle s’inspire des expériences d’autres médiateurs et réfléchit à des moyens de les rendre actifs et attentifs malgré leur âge, même dans un format conférence. Sa médiation se construit en fonction des autres, en fonction des retours. Et ils ne manquent pas : elle se souvient d’une conférence donnée pour Femmes et Mathématiques, sur le rôle des femmes dans l’informatique, devant une centaine de lycéennes. « Une élève est venue me voir à la fin pour me demander des conseils sur l’aisance à l’oral. C’était inattendu, mais cela a permis une vraie discussion sur la confiance en soi et m’a rappelé que la médiation peut créer des connexions bien au-delà du sujet initial ».

Quels enjeux pour l’avenir de la médiation scientifique ? Le premier, est d’atteindre un public plus large et diversifié. « Lors d’événements comme la Fête de la Science, il ne faut pas se contenter d’accueillir les familles déjà sensibilisées aux sciences, comme celles des chercheurs et chercheuses de l’ENS. Il est essentiel de toucher des publics qui n’ont pas l’habitude de fréquenter ce type d’événements ». Cela implique que les institutions, les musées et autres acteurs de la transmission du savoir au grand public, aient une réflexion sur la communication autour des événements et sur les moyens de rendre la médiation attractive et accessible à toutes et tous.

Le second objectif se pose plus autour de la valorisation de la médiation dans la carrière des jeunes chercheurs. « Faire de la médiation devrait être pleinement encouragé et reconnu ». Pourquoi ? Beaucoup de doctorants ou de jeunes chercheurs hésitent encore à investir du temps dans ces activités, par crainte de ne pas être pris au sérieux dans leur domaine. Pourtant, Valentine pense que sa vision de la médiation est une extension naturelle du travail scientifique : elle permet de montrer concrètement ce que la recherche apporte, de créer du lien avec la société, remettre la science au centre du débat public et d’inspirer de nouvelles vocations. La médiation scientifique devient alors non seulement un outil pédagogique, mais aussi un vecteur de dialogue entre science et société. Elle permet de connecter avec le public d’aujourd’hui, mais aussi de préparer le terrain pour le public de demain. Valentine en est convaincue, c’est en valorisant ces interactions que l’on peut construire une culture scientifique partagée, où la curiosité et la compréhension deviennent des expériences collectives, et non des privilèges réservés à quelques-uns.