« Trouver un chemin qui ait du sens pour moi et pour les autres »

Rencontre avec Fiene Marie Kuijper, diplômée du programme Médecine-Sciences

Diplômée du programme Médecine-Sciences de l’ENS-PSL en 2020 et désormais en 5e année de médecine, Fiene Marie Kuijper s’oriente vers la neurologie pour la suite de sa carrière médicale . Nourrie par une soif d’apprendre et un profond besoin d’engagement, cette normalienne future médecin entend guérir des maux engendrés par le changement climatique et la pollution mais surtout, pour aller plus loin, penser et agir sur leur cause.
Fiene Marie Kuijper
Fiene Marie Kuijper

Si Fiene Marie Kuijper est d’origine néerlandaise, cette normalienne diplômée en 2020 du programme Médecine-Sciences de l’ENS-PSL a grandi sur un domaine viticole dans le Sud de la France, dans un environnement « naturel et très préservé », comme elle le définit non sans nostalgie. Un cadre de vie qui, au premier abord, ne la prédestinait en rien à la carrière de spécialiste en neurologie vers laquelle elle a choisi de se tourner. Et pourtant. « Ces racines ont été fondamentales dans la définition de qui je suis et dans mes choix » explique Fiene Marie Kuijper, « elles m’apportent aujourd’hui encore – même à 750km de distance – la stimulation et la confiance nécessaires pour m’épanouir. »

 

Un terrain fécond pour sa vocation

Pour l’étudiante, il n’y a pas de doute, cette curiosité pour tout ce qui l’entoure, cette soif d’apprendre et de comprendre, mais aussi ce besoin d’engagement, elle le doit à cet environnement stimulant et unique, terreau fertile de sa vocation. Il y a quelques semaines, Fiene Marie Kuijper a d’ailleurs retrouvé dans sa bibliothèque le livre qu’elle avait demandé en cadeau pour ses 11 ans : Une Vérité qui dérange de Al Gore. « Je n’avais aucun doute sur ce que je voulais accomplir dans ma vie : « sauver la planète », tout simplement » se rappelle-t-elle. Et si la normalienne admet avec les années être devenue plus réaliste et modérée dans ses objectifs, elle considère avoir gardé « cette détermination à trouver un chemin qui ait du sens pour [elle] et pour les autres ».

Fiene Marie Kuijper se destine d’abord à une carrière dans la politique, « pour le spectre d’action large et la possibilité d’avoir une action sociétale concrète », mais elle réalise vite que ce milieu n’est pas forcément adapté à sa personnalité. Son envie de faire médecine nait plus tard, lors d’un stage d’orientation en classe de seconde. « C’est un métier qui traite les sujets fondamentaux de la vie, et qui est en perpétuelle évolution. Un médecin reste un élève toute sa vie », explique la normalienne. « Cela permet de rester intellectuellement stimulé, tout en développant une modestie, une humilité face à l’ampleur de ce que nous ne savons pas encore. » Pour Fiene Marie Kuijper, la médecine est aussi l’un des seuls domaines d’activité qui encourage à multiplier les approches : clinique, enseignement, recherche, « c’est pour moi une énorme richesse », admet-elle.
Du lycée à La Trinité à Béziers où elle a fait ses études secondaires, elle garde un très bon souvenir. Cette période est l’une des phases de sa vie où elle s’est le plus sentie « nourrie intellectuellement ». Et lorsqu’on lui demande lors de la remise des diplômes du bac, la « clé de sa réussite », sa réponse vient avec spontanéité et simplicité : « le plaisir d’apprendre ». Insatiable curieuse, Fiene Marie Kuijper aime autant les sciences que les lettres, la rédaction d’essais que la résolution de problèmes mathématiques.

 

Stimulation intellectuelle et ouverture d’esprit

Elle commence des études médicales à la faculté de Montpellier. Après « la classique période d’exaltation » de tout étudiant en médecine qui vient de réussir son concours PACES (1), Fiene Marie Kuijper sent rapidement un manque. « Je ne voulais pas me laisser emporter par la vague, où la mémorisation - certes, rigoureuse - d’une grande quantité de connaissances, année sur année, mène au concours, puis à l’internat, sans avoir eu besoin de se poser quelconque question » explique la normalienne, qui ne voulait en aucun cas devenir une « machine à retenir ». Pour Fiene Marie Kuijper, développer un esprit analytique, savoir raisonner et questionner ce qui l’entoure sont autant de précieux apprentissages qu’elle peine à retrouver dans ses études. « J’ai toujours su que je voulais faire de la science en parallèle de la médecine, mais cette prise de conscience a joué un rôle d’accélérateur dans mon parcours », constate-t-elle.

Fiene Marie Kuijper commence alors à se renseigner sur les possibilités qui peuvent s’ouvrir à elle. La découverte du double cursus Médecine-Sciences de l’ENS est « comme une révélation » pour la poursuite de ses études. D’une durée de trois ans et porté par l’École normale supérieure, l’Université Paris Sciences et Lettres (PSL), l’Institut Curie et l’Institut Pasteur, ce programme offre un parcours mixte médical et scientifique de haut niveau, incluant une initiation précoce à la recherche. « Pouvoir me construire dans un centre d’excellence scientifique, mais aussi et surtout un bassin de stimulation intellectuelle et d’ouverture d’esprit – c’est exactement ce que j’espérais trouver », confie Fiene Marie Kuijper. « L’Histoire le prouve, l’École n’est pas seulement bonne en sciences « dures », elle est le berceau des plus grands auteurs du XXe siècle, d’influents économistes... Cette pluridisciplinarité, cette aptitude à être au front dans des disciplines aussi diverses m’ont toujours fascinée » ajoute la normalienne.

Fiene Marie Kuijper décide de candidater au cursus Médecine-Sciences et intègre l’Institut de biologie de l’ENS (IBENS) en 2017 pour y étudier les neurosciences.
Il ne lui faut pas plus de quelques semaines pour être confortée dans ce choix d’orientation : elle a trouvé sa place. Elle se souvient avec plaisir de ses années à l’École et de la vie de campus : « l’ENS a la particularité assez unique d’être à la fois un endroit ultra connecté au monde et une bulle dans Paris où le temps semble s’arrêter ». Une image en particulier lui est restée à l’esprit : celle de la Courô, des groupes d’étudiants dans chaque alcôve sous les arbres, engagés avec passion dans de vives discussions. « J’ai énormément aimé l’atmosphère générale de curiosité qui règne dans l’École. Les étudiants se retrouvent dans un désir partagé de comprendre, de continuer à penser en dehors des limites de leurs propres disciplines, de se confronter à d’autres opinions et de « tester » la solidité des leurs. » Et si a posteriori, l’ardeur des débats auxquels elle prenait part la fait sourire, elle sait maintenant que c’est l’une des choses qu’elle a le plus appréciée à l’ENS et qui l’aura sans doute fait le plus évoluer. « Pour moi qui venais d’un cursus médical très cadré, où tous les étudiants suivaient le même parcours et avaient le même objectif professionnel, ce fut - et c’est encore - une incroyable richesse ! » Fiene Marie Kuijper est « très reconnaissante » de ses années passées à l’ENS-PSL qui lui auront permis de « grandir scientifiquement, mais aussi tout simplement de devenir une personne plus « complète » sur le plan personnel » affirme-t-elle. « Cela a certainement marqué un tournant dans mon parcours – et je dirais même dans ma vie. »

 

Neurologie, environnement et engagement

Après trois années à l’ENS où elle a notamment étudié la neurologie, Fiene Marie Kuijper espère bien poursuivre sa carrière médicale dans ce domaine qui lui tient tant à cœur. « À mes yeux, la perte d’identité et de cohérence entre conceptions de la vie et perception de soi est la pire chose qui puisse arriver à un individu » explique la future médecin. « J’éprouve un sentiment d’indignation face à l’absence profonde de perspectives thérapeutiques pour une personne âgée développant une démence lui ôtant son présent, son passé – mais aussi sa dignité… »

Pour Fiene Marie Kuijper, il y encore beaucoup à faire et à découvrir en neurologie. Un champ de recherche qu’elle considère à la fois « fascinant pour soi », mais aussi avec un vrai potentiel d’impact pour les patients. De février à septembre 2019, elle effectue son stage de master dans le laboratoire de Halpern-Malenka à Stanford, spécialisé dans la modulation des troubles neuropsychiatriques, « une approche prometteuse pour le traitement de nombreuses pathologies du cerveau qui demeurent actuellement sans perspectives », souligne la normalienne. Huit mois passés aux États-Unis, « incroyablement enrichissants » d’un point de vue professionnel mais qui ont aussi beaucoup fait évoluer Fiene Marie Kuijper sur le plan personnel. « Je vivais dans une colocation avec six garçons travaillant dans l’intelligence artificielle, la robotique, les maths… Nous avons passé tellement de soirées à discuter, échanger nos expériences et connaissances radicalement différentes – ma vision de moi-même et des autres n’en est pas sortie indemne ! » se rappelle la normalienne. Stanford l’invite à rester pour finaliser le projet qu’elle avait lancé, mais lorsqu’elle rentre en France pour les vendanges, la normalienne sait – avec une certitude qui ne lui est pas familière – qu’elle veut rester. « Je suis profondément européenne, et c’est ici que je veux poursuivre ma carrière et ma vie » explique-t-elle simplement.

Ces dernières années, Fiene Marie Kuijper a pris conscience qu’elle s’était éloignée du sujet qui lui importait tant enfant : la sauvegarde de l’environnement. C’est sans conteste pour elle la priorité de notre époque, non seulement d’un point de vue écologique, mais aussi médical. « La destruction des écosystèmes, le dérèglement climatique, la pollution de l’eau et des sols sont en train de s’ériger comme les premières causes de morbidité dans le monde » énumère-t-elle. « De mon enfance à la campagne, j’ai entendu tant d’histoires de viticulteurs exposés aux pesticides qui développaient des maladies de Parkinson ; de femmes ayant manipulé des produits chimiques pendant leur grossesse dont les enfants naissaient avec des maladies neuro-développementales… » témoigne-t-elle. « Je ne veux pas devenir un médecin qui se contente de guérir les symptômes engendrés par le changement climatique et la pollution, j’aimerais être menée à penser ou agir sur leur cause », soutient la future médecin.

C’est d’ailleurs pour faire le pont entre ces deux sujets qui la passionne que Fiene Marie Kuijper a travaillé auprès de Barbara Demeneix, endocrinologue renommée et directrice de recherche CNRS au Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN) en 2018. À ses côtés, elle étudie l’effet des perturbateurs endocriniens sur le système nerveux. Une voie de recherche que la normalienne souhaite continuer à approfondir, même si elle est convaincue que ces enjeux ne seront pas résolus si médecins et chercheurs demeurent dans leurs limites disciplinaires respectives. « Le grand défi de la médecine aujourd’hui réside selon moi dans la prise de recul, dans l’adoption d’un point de vue large et systémique, car nous sommes confrontés à des défis qui dépassent toute échelle de spécialité… » détaille la normalienne. « De nouvelles approches telles que Planetary Health et One Health, rassemblant médecins, écologistes, vétérinaires, urbanistes etc. ont le potentiel de bouleverser notre conception de la santé. »

Ce stage au MNHN a aussi permis à Fiene Marie Kuijper de prendre conscience qu’en parallèle de la facette académique de médecin-chercheur, l’étudiante ressent le besoin de donner une dimension « plus engagée » à son métier, de prendre part à la conversation sociétale sur ces sujets qui lui « importent énormément ». Certes, la rédaction scientifique est « passionnante et stimulante », mais n’atteint qu’un lectorat restreint de spécialistes – « si bien que toute avancée scientifique sur le sujet demeure limitée par un vrai manque de transfert politico-social ». Alors, lors de la première vague de Covid-19 et en parallèle de ses cours Fiene Marie Kuijper a commencé à écrire des articles pour le Grand Continent, le journal du Groupe d’Études Géopolitiques fondé à l’ENS-PSL. « J’ai été attirée par leur ambition de fournir des analyses approfondies et synthétiques sur des sujets importants et actuels, sans jamais tomber dans le ‘’sensationnalisme journalistique’’ ». La normalienne a notamment réalisé un entretien avec le Dr Samuel Myers, docteur en médecine interne à Harvard et président de la Planetary Health Alliance – une de ses principales sources d’inspiration « pour le développement d’une approche intégrée de la santé humaine et environnementale ». Cette expérience d’écriture s’est avéré être un « vrai déclic » pour l’étudiante ; enthousiasmée par l’exercice de synthèse et de vulgarisation que cela requiert. « Je vais certainement continuer à développer cette dimension plus axée « grand public » faisant le pont entre science et société » ambitionne Fiene Marie Kuijper.

 

Explorer les autres dimensions de son futur métier

Dans le milieu viticole depuis l’enfance, la normalienne s’est également impliquée dans le club Œns pendant ses années à l’École. « C’était impossible pour moi de ne pas développer une passion pour l’œnologie. Je rentre pour les vendanges et les assemblages, je développe mes capacités de dégustation… » raconte Fiene Marie Kuijper. « C’est un univers que j’aime énormément, avec un aspect très technique et demandant aussi une de la créativité. » Hors Covid, le club étudiant d’œnologie de l’ENS organise des dégustations, des rencontres avec viticulteurs, des concours… Un groupe « très ouvert et sympa » que Fiene Marie Kuijper continue à voir régulièrement encore aujourd’hui, en attendant de continuer à faire vivre le vignoble familial plus tard avec ses sœurs.

Pour finir, la normalienne « ne peut que recommander » le cursus Médecine-Sciences de l’ENS aux étudiants en médecine « ayant envie d’explorer les autres dimensions de leur futur métier, non enseignées dans le cursus traditionnel ». Grâce à ce programme, Fiene Marie Kuijper estime son champ de pensée « élargi ». « Lorsque j’étudie une nouvelle pathologie – par exemple, cette semaine, la sclérose en plaques – je ne peux pas m’empêcher de penser aux perspectives de recherche associées ! Cela m’a donné les clés de réflexion et la confiance nécessaires pour m’engager dans une thèse de sciences plus tard. » Et aux futurs candidats du cursus Médecine-Sciences, Fiene Marie Kuijper conseille de ne pas hésiter à « débloquer » leur esprit pour sortir du cadre de pensée propre aux concours médicaux. « Je peux en témoigner, les épreuves de l’ENS ne portaient pas tant sur nos connaissances que sur notre façon de raisonner et d’appréhender des problèmes. Il ne faut pas avoir peur de ne pas savoir, il faut apprendre à rebondir. »

(1) Première année commune aux études de santé